« Les vins de Bordeaux n’avaient jamais atteint un niveau aussi haut à l’export ! » (Bernard Farges)

INTERVIEW. Dans l'interview qu'il a accordé à La Tribune en fin d'année 2021, Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) revient sur une année marquée par la pandémie de Covid-19 et une mauvaise météo, sur fond de crise des ventes des vins de Bordeaux. Malgré les nouvelles menaces que fait désormais peser le Covid-19 version Omicron, Bernard Farges observe toutefois qu'en 2021 les ventes ont très fortement rebondi à l'export.
Bernard Farges
Bernard Farges (Crédits : CIVB)

LA TRIBUNE - Le vignoble bordelais n'est toujours pas sorti de la crise qui est la sienne depuis des mois, où en est-on ?

Bernard FARGES - Nous connaissons une baisse de la commercialisation des vins de Bordeaux depuis deux ou trois ans. Il s'agit d'un problème multifactoriel. La Chine a tout d'abord baissé ses taxes douanières de -20 % en faveur des vins australiens. Ce qui a généré un énorme avantage concurrentiel pour les Australiens pendant les années 2018 et 2019. Ce n'est plus le cas depuis 2020 à cause des nouvelles tensions géopolitiques entre les deux pays, mais le marché chinois n'a pas redémarré. D'autre part, les ventes de vin de Bordeaux ont chuté de -25 % aux États-Unis pendant 15 mois, à cause de leur guerre économique avec l'Union européenne.

En France, la pandémie de coronavirus a entrainé la fermeture des restaurants et sinistré le secteur de l'événementiel, qui sont des poids lourds de notre activité. Une chute d'activité qui a gonflé les stocks de bouteilles non vendues. Il faut rajouter à cela la chute de la consommation, et en particulier celle des vins rouges, qui a reculé de -15 à -20 %. C'est d'autant plus préoccupant que dans le Bordelais les vins rouges représentent l'essentiel de la production. Il s'agit là d'une évolution structurelle liée aux changements d'habitudes des consommateurs. L'autre facteur est extérieur : la Chine éternue et nous nous enrhumons.

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Comment le vignoble va-t-il pouvoir relancer les ventes ?

Malgré la situation, l'export repart bien, avec de nouveaux pays en forte croissance en Afrique comme en Asie. Ce qui au bout du compte, en additionnant tous ces marchés, créé l'équivalent d'un nouveau grand marché étranger. En 2021 l'export a été un vrai vecteur de croissance. Parce qu'avec un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros, les vins de Bordeaux n'avaient jamais atteint un niveau aussi élevé à l'export ! Des ventes qui ont concerné les grands crus mais aussi toutes les autres appellations. L'activité commerciale a clairement repris en Allemagne, Belgique et Japon. Alors qu'avec le Brexit la situation du Royaume-Uni devient difficile à suivre, à cause des décalages qui se créent au niveau douanier. Pour continuer à redresser les ventes, il faut développer la communication, entreprise par entreprise, mais aussi de façon collective. Le CIVB dispose d'un budget de 20 millions d'euros, ce qui n'est pas rien. Et puis il y a aussi le grand export. Mais là il faut que le marché s'ouvre à nouveau. Ce que ne facilite pas le contexte sanitaire actuel, qui provoque des inquiétudes, des réticences...

Les conditions météo n'ont pas été vraiment favorables à la culture de la vigne cette année, la production va-t-elle s'en ressentir ?

Le climat n'a pas été bon, avec certaines zones de culture qui ont été frappées de plein fouet par le gel en avril, puis une très forte pression des maladies sur l'ensemble du vignoble. A tel point que certains domaines ont vu disparaître l'essentiel de leur récolte, provoquant de nombreuses situations de crise. Ces épisodes climatiques défavorables se répètent et réduisent notre capacité de production. A l'heure où je vous parle il n'est pas encore possible de faire des prévisions de production pour 2021, à cause de toutes ces propriétés qui ont beaucoup perdu. Nous y verrons plus clair dans quelques semaines.

Le 12e Forum RSE des vins de Bordeaux, qui s'est tenu en décembre, a dévoilé les treize premières entreprises viticoles labellisées : c'est un virage important pour le vignoble de Bordeaux ?

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un sujet qui progresse partout dans le monde et cette démarche d'intégration du développement durable ne se résume pas au seul enjeu environnemental. Parce que cet aspect environnemental de la RSE va être très vite derrière nous : quand tout le monde aura compris qu'il n'est pas possible de faire 100 % de vin bio. Avec la RSE on se pose d'autres questions importantes, est-ce que l'on respecte ses clients, son voisin, ses salariés ? Pendant la pandémie beaucoup de gens ont démissionné et l'on voit la grande importance de ce type de questionnement. Parce que la quête de sens devient de plus en plus forte. En s'étendant toujours davantage, comme c'est le cas aujourd'hui, cette labellisation va devenir un prérequis pour pouvoir attaquer certains marchés. Ceux qui ne pourront pas répondre aux questions posées dans le cadre de la RSE ne seront pas retenus. Même si ce label ne couvre pas 100 % des marchés, il infuse.

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Valérie Murat, la porte-parole de l'association Alerte aux toxiques a été sanctionnée en justice par une lourde peine d'amende après avoir voulu dénoncer la présence de pesticides dans les bordeaux. Cet épisode ne vous a-t-il pas valu de mauvais retours de la part des marchés ?

Non nous n'avons enregistré aucun retour négatif de la part des marchés après la condamnation en justice d'Alerte aux toxiques. Il y a des vignerons qui ne voulaient pas attaquer l'association en justice et d'autres qui y tenaient. Finalement, une plainte a été déposée. La condamnation a porté sur le dénigrement, parce qu'Alerte aux toxiques prétendait que les vins de Bordeaux tuent et que sinon ils sont dangereux ! Et puis je tiens à préciser que nous n'avons pas fait ce procès pour défendre le label de la haute valeur environnementale (HVE), comme certains ont voulu le faire croire. La HVE est un référentiel du ministère de l'Agriculture et son défenseur ne peut être que l'Etat.

Comment voyez-vous l'année 2022 se dérouler ?

Nous sommes très attentifs à l'évolution de la situation sanitaire. Nous espérons que nous allons pouvoir redécoller et nous sommes conscients du fait que nous sommes aussi en train d'apprendre à vivre avec le virus. Il y a encore beaucoup de travail à faire au plan local. Et puis se profile la campagne électorale présidentielle. Les candidats vont venir nous dire qu'ils nous aiment, mais nous il nous faudra des preuves d'amour...

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