« Face au changement climatique, le gros enjeu du vin c'est le partage du savoir » (1/4)

INTERVIEW. Directeur de la Kedge Wine School et Master of Wine, Jérémy Cukierman, est co-auteur de l'ouvrage collectif "Quel vin pour demain ? Le vin face aux défis climatiques" (Editions Dunod), publié en septembre dernier. Une étude menée avec Hervé Quénol, climatologue, chercheur au CNRS et Michelle Bouffard, journaliste canadienne, sommelière et enseignante. Cette analyse fouillée explore les enjeux et les solutions de la filière viticole face au changement climatique.
Jérémy Cukierman
Jérémy Cukierman (Crédits : Agence Appa)

LA TRIBUNE - Quelle analyse faites-vous de l'impact du réchauffement climatique sur la vigne, avec vos coauteurs ?

Jérémy CUKIERMAN - Dans ce livre nous nous sommes efforcés, entres autres, de comprendre comment le changement climatique affecte la vigne. Quelles sont les questions et quelles sont les solutions ? Ce qu'il faut tout d'abord rappeler c'est que le changement climatique n'est pas seulement synonyme de montée des températures. Il y a, avant tout, un dérèglement qui se matérialise par une variabilité annuelle et intra saisonnière, avec une multiplication des extrêmes climatiques (canicules, gels, etc.). 2021 est d'ailleurs une année très symptomatique de ces fortes variations. Fin février la chaleur est montée d'un coup à plus de 20°C dans la plupart des régions, après un début d'hiver froid, et les vignes sont sorties précocement de leur période de dormance. Il y a eu ensuite ce terrible épisode de gel début avril, qui a frappé quasiment tous les vignobles. Par la suite, il y a eu beaucoup de précipitations et un temps très instable dans de nombreux vignobles, tandis que des régions comme le Roussillon manquaient, à l'inverse, cruellement d'eau.

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Doit-on comprendre que la culture de la vigne, mais aussi la production de vin, vont devenir de plus en plus incontrôlables ? Diriez-vous que c'est le début de la fin pour la filière ?

Malgré ce réchauffement climatique et cette très forte instabilité je crois que nous avons des raisons de rester optimistes. La situation pousse tout d'abord à penser aux conséquences et à être plus responsable. Il y a aussi de nombreuses solutions, du matériel végétal à la diversité inter-variétale en passant par le travail des sols, ou encore la gestion de l'eau. Mais le gros enjeu, finalement, c'est le partage du savoir. Le monde du vin reste très fragmenté, les acteurs ont du mal à se parler alors qu'aujourd'hui il faut centraliser les connaissances et partager les stratégies d'adaptation. Certaines techniques viticoles développées localement pour contrer ces défis climatiques pourraient être étendues avec profit à d'autres vignobles. La variabilité climatique oblige à beaucoup plus d'adaptabilité. Cette année 2021 et plus globalement la dernière décennie l'ont démontré. La production va d'ailleurs chuter en volume et 2021 sera sans doute l'un des millésimes les plus rares jamais vendangé dans de nombreux vignobles, même si le résultat final est moins dramatique que ce qui était annoncé au lendemain du gel.

Comment le monde du vin qui, comme le reste de l'agriculture, dépend avant tout du climat peut-il faire face à ce déséquilibre environnemental ?

Le monde du vin doit devenir plus adaptable et bien sûr plus responsable ! Au vignoble, notamment, pour essayer de mieux protéger la vigne aussi bien des excès de chaleur et du manque d'eau, que du gel. Ces défis vont modifier en profondeur les méthodes culturales. Pour autant la plupart des régions viticoles ont encore un bel avenir, c'est ce que nous avons tenté de démontrer dans le livre. La vigne et l'homme sont plus résilients qu'on ne veut le laisser entendre. Le monde du vin a vécu beaucoup de crises et a su les surmonter. Celle que nous vivons est différente, parce qu'elle n'est pas conjoncturelle mais structurelle. Quoi qu'il en soit, les perspectives sont bien là. Je ne crois pas à ces prédictions qui nous annoncent la fin de la viticulture dans nombre de vignobles.

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