Les Vignerons de Buzet testent la vigne de demain avec New Age (3/4)

Non contents de mettre à l'essai eux aussi des plants de vigne résistants contre le mildiou et l'oïdium, ces champignons boostés par l'humidité qui s'attaquent à la vigne, les coopérateurs des Vignerons de Buzet, sont allés plus loin. Ils viennent de mettre en culture "New Age", un tout nouveau modèle de vigne travaillé pour protéger les raisins de la chaleur. Un prototype de vigne plantée d'arbres, de légumineuses... et peuplée de petits animaux, qui veut préfigurer le futur de cette culture décisive pour l'économie de la région.
La réintroduction de la chouette chevêche (ou chouette d'Athéna) a été un moment symbolique fort du virage aux Vignerons de Buzet.
La réintroduction de la chouette chevêche (ou chouette d'Athéna) a été un moment symbolique fort du virage aux Vignerons de Buzet. (Crédits : Vignerons de Buzet)

La mobilisation de la Région Nouvelle-Aquitaine, avec son programme VitiRev, largement axé sur la lutte contre les pesticides dans les vignobles néo-aquitains ne se limite pas au Bordelais. D'autres vignobles très petits comparés à celui de Bordeaux, qui est quasiment aussi grand avec ses 118.000 hectares que celui d'Afrique du Sud (122.000 hectares), sont aussi sur le pied de guerre anti-réchauffement.

C'est le cas de celui de Buzet (Lot-et-Garonne), qui s'étire en Bordeaux et Agen sur 1.985 hectares sur le flanc des coteaux qui dominent la vallée de la Garonne à l'ouest, à hauteur du pays d'Albret (Nérac). Un territoire viticole géré à plus de 90 % par la coopérative des Vignerons de Buzet, dont le président du directoire est Eric Pozzoli, qui fédère 160 viticulteurs, compte 90 salariés et réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 26 millions d'euros.

Un petit vignoble à l'avant-garde du développement durable

Depuis une dizaine d'années Pierre Philippe, le directeur général des Vignerons de Buzet, fait de cette coopérative un modèle d'innovation dans le développement durable appliqué à la vigne. Cette dernière a ainsi été primée à plusieurs reprises par le Botanical Research Institute (Institut de recherche en botanique) du Texas (Brit), qui décerne chaque année un prix international d'excellence en viticulture durable, mais aussi par l'Ademe, en 2018, pour ne citer que ces exemples.

Dans le droit fil de cette démarche développement durable, la coopérative, qui a multiplié les innovations pour développer une culture de la vigne sans pesticides, s'est lancé en 2019 dans un nouveau projet innovant. Très différent mais aussi assez comparable à l'initiative de la « Parcelle 52 » de l'ISVV.

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Avec "New Age" la vigne s'ouvre à l'agroforesterie

"Ce projet a été élaboré en 2017 avec des viticulteurs de la coopérative, sur un terrain disponible où aucune vigne n'avait jamais été plantée. Ce qui nous a permis de récupérer 17 hectares. L'idée étant de profiter de cet espace pour nous projeter dans le futur, d'ici 100 ou 150 ans. Nous l'avons planté au printemps 2019. Il ne s'agit pas que de vigne, puisque nous intégrons dans notre démarche l'agroforesterie.

Nous plantons un rang d'arbres ou de haies tous les six rangs de vigne. Nous avons baptisé cette parcelle expérimentale « New Age » et les travaux que nous y menons s'articulent en deux approches. Avec tout d'abord un travail mené avec l'Inao sur les cépages méditerranéens, comme le tempranillo ou le niellucio, mais aussi des cépages français issus de croisements comme le marselan, l'artaban ou le vidoc...", éclaire pour La Tribune Carine Magot, cheffe du service vigne des Vignerons de Buzet.

Vignerons de Buzet vigne New Age

La jeune vigne New Age est bien enherbée (Vignerons de Buzet)

Tester des variétés étrangères pour voir ce que ça donne

Tandis que le tempranillo (Espagne) et le niellucio (Italie) ont une résistance naturelle en particulier à la montée de la chaleur et de la sécheresse, l'artaban ou le vidoc ont été produits par l'Inrae pour résister à l'oïdium et au mildiou. L'autre approche complémentaire évoquée par Carine Magot concerne merlot, cabernet-sauvignon et cabernet-franc. Des cépages totémiques de la région qui font l'objet de cultures expérimentales où se mêlent l'agroforesterie et un travail très technique sur les pieds eux-mêmes.

Cette approche culturale porte aussi bien sur la hauteur minimale que les rameaux doivent avoir par rapport au sol pour éviter le gel, que sur la hauteur maximale de ces derniers par rapport au pied. L'idée générale étant dans cette dernière approche de laisser grimper la vigne suffisamment haut pour profiter de la retombée des feuilles sur les grappes, pour les protéger de la chaleur. Il faut se faire une raison : les vendanges vertes (ou éclaircissage), au cours desquelles ont coupe des feuilles pour mieux présenter les grains de raisin au soleil seront sans doute bientôt du passé.

Eclaircir les feuilles pour exposer les raisins : trop dangereux

"Ces feuilles ne sont pas gênantes pour le mûrissement. Notre problème aujourd'hui c'est que les merlots ont trop chaud, et cela dès le mois d'août. La chaleur est telle que nous voyons des traces de grillures, de brûlures dues au soleil. Le merlot était déjà un cépage précoce et maintenant ça va beaucoup trop vite pour lui, ce qui finit par le mettre en danger où alors à le gonfler d'alcool", décrit Carine Magot.

Autant dire que la coopérative des Vignerons de Buzet fait tout ce qu'elle peut pour enrayer le processus. Avec l'agroforesterie, où sont plantés non seulement des érables champêtres, des figuiers et autres arbres fruitiers, l'idée est aussi d'améliorer la qualité des sols et de mieux protéger la vigne du soleil en faisant de l'ombre.

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Le sous-sol : un véritable microbiote végétal à surveiller

Dans la vigne "New Age" de Buzet plantée depuis à peine trois ans, les arbres sont encore jeunes, ce qui n'empêche pas les merlots et les cabernets de résister à la chaleur. S'il n'est pas question d'arroser la vigne, ce vignoble expérimental est à proximité d'une zone humide, et des graminées et des légumineuses sont par ailleurs plantées entre les pieds. Autrement-dit la terre n'est pas nue comme c'était le cas auparavant mais couverte de végétation.

Parce qu'en plus des pieds et des feuilles, tout ce qui vit à l'air libre, la coopérative sonde également la santé du sous-sol. A la manière du microbiote intestinal humain, cette partie de la vigne est elle aussi vivante et peuplée, en particulier de bactéries et de champignons. La coopérative suit cette partie de la vigne en partenariat avec les spécialistes de la société californienne Biome Makers, à Sacramento.

"Nous coopérons avec de nombreux spécialistes. Grâce à Biome Makers nous savons que si le sol contient par exemple beaucoup de bactéries de tel type, il va apporter tel genre de nutriments à la plante", explique Carine Magot.

Beaucoup de communication sur les expériences en cours

Les Vignerons de Buzet testent ainsi un tout nouveau modèle de vigne, de façon systémique, avec une palette très élargie de composants qui doit permettre d'identifier des phénomènes décisifs pour contrôler l'impact du changement climatique sur la vigne. Car ces travaux expérimentaux doivent pouvoir être transférés rapidement et sans surcoût aux viticulteurs de l'appellation. Intégré dans le programme régional Vitirev, tous ces travaux font l'objet d'échanges d'informations.

"Nous échangeons beaucoup sur ce projet, nous recevons beaucoup d'étudiants, d'entreprises... ", évoque la cheffe du service vigne.

Œnologue très attentif au produit fini dont il pilote l'élaboration, Stéphane Toutoundji s'intéresse de près à toutes les expériences menées, dans le Bordelais comme ailleurs, et se pose une question tout aussi inévitable que vitale.

Ne pas perdre le goût des bonnes choses

"Je connais de nombreux de ces cépages méditerranéens résistants. La question est quand même de savoir si nous allons réussir ou non à conserver par exemple le goût des bordeaux. Si l'on change le merlot par quelque chose d'autre, cela va fatalement se ressentir", prévient le fondateur d'Oenoteam, à Libourne.

A cette question, dont Carine Magot reconnait le caractère fondamental, cette dernière répond à sa manière que les travaux à ce sujet sont en cours. Les nouveaux cépages résistants susceptibles d'être qualifiés pour entrer dans le catalogue de l'appellation Buzet sont vinifiés à part.

"Nous commençons à travailler dessus. Après il ne faut pas oublier que c'est un travail d'assemblage. Si l'on met 10 à 15 % de tel ou tel cépage méditerranéen avec du merlot il y a quand même des chances pour que nous arrivions à conserver les qualités organoleptiques des Buzet, c'est bien ce qui est recherché", recadre Carine Magot.

Les essais et les tests ne sont pas l'apanage exclusif des centres de recherche et des coopératives : de grands domaines se sont également lancés dans la course. Reste à espérer, comme le souligne Jérémy Cukierman, que l'information soit disponible pour tous.

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