La « Parcelle 52 », nouvel arsenal de la vigne anti-réchauffement climatique (2/4)

Face au changement climatique les expériences se multiplient dans des vignobles de l'ex-Aquitaine pour sélectionner de nouveaux cépages. Un travail entamé depuis une douzaine d'années par l'Institut Supérieur de la Vigne et du Vin (ISVV), à Bordeaux, en collaboration avec de nombreux partenaires. Au sein de cet arsenal végétal anti-réchauffement des plants venus du berceau géorgien, où la vigne a été domestiquée au cours du Néolithique.
L'Institut Supérieur de la Vigne et du Vin (ISVV) est directement impliqué dans la création de la Parcelle 52
L'Institut Supérieur de la Vigne et du Vin (ISVV) est directement impliqué dans la création de la "Parcelle 52" (Crédits : ISVV)

L'œnologue consultant Stéphane Toutoundji, qui passe sa vie à écouter battre le cœur des ceps de vigne pour conseiller ses clients sur la meilleure stratégie culturale et la méthode optimale de vinification, fait un constat très proche des conclusions de Jérémy Cukierman (co-auteur de "Quel vin pour demain ? Le vin face aux défis climatiques").

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S'il focalise pour l'occasion son analyse sur le vignoble bordelais, Stéphane Toutoundji, fondateur du cabinet Oenoteam, à Libourne, et ancien stagiaire de Michel Rolland est un globe-trotter qui a largement eu le temps de prendre le pouls de nombreux vignobles dans le monde, notamment en Chine et en Turquie.

"Nous assistons à des écarts de températures de plus en plus extrêmes, avec des variations climatiques très brutales où s'enchaînent gelées, grêle, pluies diluviennes... Ces pluies favorisent ensuite la prolifération du mildiou, qui génère une énorme pression sur le vignoble et oblige à traiter plus souvent. Il y a vingt ans ce type d'accidents climatiques en série était inconnu. Aujourd'hui, les pluies sont devenues parfois si violentes qu'elles empêchent de travailler la vigne. Et la montée des températures, avec des étés plus tardifs, à tendance à produire des raisins trop mûrs, des vins trop chauds", déroule Stéphane Toutoundji.

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Un début de remise à jour des catalogues de cépages

Impossible encore de savoir de combien de degrés la température va progresser exactement dans les prochaines années, mais plus personne ou presque ne doute de  la réalité de ce mouvement à la hausse. Une tendance d'autant plus inquiétante qu'elle va de pair avec la montée en puissance de la sécheresse. Originaire du Proche-Orient, la vigne dispose à coup sûr d'atouts pour faire face à cette dangereuse évolution. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir aussi de vraies fragilités, qui varient en fonction des cépages.

C'est à cause de l'arrivée progressive de ce type de risque que les chercheurs de l'ISVV (Institut supérieur de la vigne et du vin), plus précisément ceux du laboratoire Ecophysiologie et génomique fonctionnelle de la vigne (EGFV) (*) ont élaboré dès 2007 le projet VitAdapt. Objectif : étudier le comportement des cépages bordelais dans un contexte climatique changeant. Mais aussi analyser l'adaptation et le potentiel de cépages étrangers pour les intégrer éventuellement au catalogue des plants de vigne bordelais. Autrement-dit fabriquer une véritable boîte à outils vivante pour rendre possible l'adaptation du vignoble bordelais à de nouvelles contraintes climatiques.

Stéphane Toutoundji, oenologue, co fondateur d'OenoTeam

 Stéphane Toutoundji (Agence Appa)

Des cépages espagnols, italiens, grecs, bulgares, géorgiens...

VitAdapt, qui mobilise des investissements du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et de la Région Nouvelle-Aquitaine, a pris forme en 2009 avec la création de la « Parcelle 52 ». Un nom cryptique qui renvoie au nombre de variétés plantées, soit 31 cépages rouges et 21 cépages blancs sélectionnés parmi des milliers d'autres dans le sud de la France et de l'Europe, jusqu'aux confins de la Méditerranée. C'est ainsi que la "Parcelle 52" accueille aussi bien de la syrah, originaire des Côtes du Rhône mais absent du catalogue bordelais, que des cépages grecs comme l'agiorgitiko (Péloponnèse) et l'assyrtiko (Santorin), ou encore venus du berceau géorgien de la vigne, comme le sapéravi. Cépage qui serait l'authentique descendant de la vigne sauvage originelle domestiquée par l'humanité en plein Néolithique.

"Parmi ces cépages, nous retrouvons les cépages actuellement cultivés à Bordeaux, qui nous servent de référence et de marqueurs du réchauffement climatique, mais également des cépages issus des autres vignobles français et étrangers. Nous étudions donc des cépages du Languedoc, espagnols, italiens, grecs, portugais et des cépages d'Europe de l'Est (Bulgarie et Géorgie, pays d'origine de la vigne cultivée, il y a plus de 6.000 ans). Pour cette étude, nous avons sélectionné une parcelle la plus homogène possible au niveau du sol...", indique l'EGFV.

Prince du vignoble bordelais, le merlot est menacé

L'EGFV précise que les cépages ont été choisis en fonction de plusieurs critères, dont leur notoriété et importance mondiale en superficie de plantation, leur degré de précocité, "avec une forte proportion de cépages relativement tardifs, notamment sur la maturité" ou encore leur potentiel qualitatif (équilibre, arômes, structure) dans leur zone de production.

La précocité de la maturité des raisins est l'un des éléments clés sur lequel joue le réchauffement climatique. Dans ce contexte le merlot, véritable Etoile du Berger des cépages rouges de l'ex-Aquitaine - à Bordeaux comme à Buzet, dans le Lot-et-Garonne voisin, qui pèse de tout son poids dans le goût de ces vins - est menacé de disparition.

A tel point que, dans un entretien publié récemment par la Revue du Vin de France (RVF), Nathalie Destrac-Irvine, ingénieure d'études à l'Inrae, coresponsable de  VitiAdapt, porte un jugement assez définitif sur la question, expliquant que le merlot est désormais "sorti de sa fenêtre optimale de qualité" par endroits.

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(*) L'EGFV est une unité de recherche mixte de l'Institut national de la recherche agronomique, de Bordeaux Sciences Agro et de l'Université de Bordeaux.

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