Alerte aux toxiques : pourquoi le verdict de Libourne pourrait changer la perception du HVE

Le verdict qui sera prononcé cette semaine à Libourne, et qui oppose schématiquement le CIVB, représentant l'interprofession viticole bordelaise, à l'association Alerte aux toxiques pourrait faire date. Si la plainte déposée par le CIVB entend faire condamner le dénigrement des vins de Bordeaux par l'association, le verdict risque de précipiter un débat de fond potentiellement délétère sur le label Haute valeur environnementale (HVE). (réactualisé 24/02/2021-16h57).
Parcelle de vigne dans le Médoc.
Parcelle de vigne dans le Médoc. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

C'est ce jeudi 25 février que la chambre civile du tribunal de Libourne dira si elle condamne Valérie Murat, porte-parole de l'association Alerte aux toxiques, pour dénigrement de la filière des vins de Bordeaux, comme l'a demandé dans sa plainte d'octobre dernier le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Le CIVB, qui a été rejoint dans sa démarche par la plupart des syndicats viticoles de Gironde et trois domaines viticoles, a fixé le préjudice à 100.000 euros.

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Le contentieux trouve son origine dans la publication, le 15 septembre 2020, par l'association Alerte aux toxiques des résultats d'analyses de résidus de pesticides réalisées dans 22 bouteilles de vin en label Haute valeur environnementale (HVE), dont  19 bouteilles de vin de Bordeaux, deux de Champagne et une autre de Languedoc-Roussillon. Des analyses menées par le laboratoire Dubernet, à Narbonne (Aude), dont ce type d'investigation est la spécialité.

28 substances actives identifiées

L'association Alerte aux toxiques a mis le feu aux poudres en publiant les résultats de ces analyses sous le titre "La HVE encore gourmande en pesticides !". Au centre du contentieux, la présentation par l'association, des résultats des 22 cuvées analysées. Chacun des châteaux listés se voyant accolé le type de résidu identifié par l'analyse, du type "un neurotoxique, un mortel en cas d'ingestion, un mortel par contact cutané, un mortel par inhalation...". Un lien conduit ensuite le lecteur vers les résultats chiffrés communiqués par le laboratoire.

Les analyses du laboratoire Dubernet ont identifié un total de 28 substances actives.

"De 4 à 15 résidus détectés par bouteille, une moyenne de 8 substances actives par bouteille. 22 bouteilles contiennent des PE (perturbateurs endocriniens -Ndlr), entre 3 à 14 par bouteille, une moyenne de 7,36 PE par bouteille", égrène Alerte aux toxiques.

Dubernet refuse de cautionner l'analyse

Des résultats avec lesquels le Laboratoire Dubernet a cependant clairement pris ses distances, estimant qu'ils faisaient l'objet d'une interprétation erronée de la part de l'association.

"Les laboratoires Dubernet, laboratoire indépendant et professionnel de l'analyse des vins, fournissent des analyses et conseils aux différents acteurs de la filière. L'association « Alerte aux toxiques » a ainsi fait appel à une prestation d'analyse dans notre laboratoire. Comme c'est la règle, les données produites appartiennent à « Alerte aux toxiques », qui en est la seule dépositaire.

Dans ce contexte, les Laboratoires Dubernet ne sauraient être associés ni aux contenus ni aux conclusions de cette communication. Ils ne sauraient fournir de près ni de loin une quelconque caution scientifique à la démarche de l'association « Alerte aux toxiques » dont ils contestent les termes", a notamment expliqué le laboratoire d'analyse dès septembre 2020.

La chimie de synthèse compatible avec la HVE

Interrogé à Libourne le 17 décembre lors du procès contre Alerte aux toxiques, Bernard Farges a appuyé ce constat, expliquant à nos confrères de Rue89 Bordeaux, que les teneurs de résidus dépistés étaient entre "60 et 5.000 fois en-dessous" des LMR (limites maximales de résidus autorisées dans le raisin de cuve). Joint par La Tribune, le CIVB n'a pas souhaité s'exprimer avant l'annonce du verdict du 25 février.

De son côté, Valérie Murat, la porte-parole de l'association, estime que le laboratoire Dubernet a cédé à la pression du CIVB. Et pour elle, c'est bien le label HVE (haute valeur environnementale) qui pose problème.

"Nous voulons alerter sur le label HVE, car il porte à confusion. Quand ils lisent ou entendent "haute valeur environnementale" beaucoup de gens pensent que c'est un label supérieur au Bio. Ce que nous voulons montrer, c'est qu'avec le label HVE on peut utiliser de la chimie de synthèse, de bout en bout. Il faut que les consommateurs soient bien informés, qu'ils sachent de quoi il en retourne", argumente-t-elle auprès de La Tribune.

Les élus Verts de Gironde et des Européens la soutiennent

Valérie Murat se définit comme une lanceuse d'alerte et se sent menacée de mort sociale par l'énormité des dommages qui lui sont réclamés en réparation, ce en quoi elle voit une opération d'intimidation. Elle tient à souligner que tout le vignoble n'est pas contre elle derrière le CIVB, et que plusieurs viticulteurs la soutiennent, en Gironde comme en Dordogne.

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Son association est par ailleurs soutenue notamment par les élus Génération.s-EELV du Conseil départemental de la Gironde, par Alerte pesticides Haute Gironde, mais aussi par la Confédération paysanne et des organisations européennes, comme le Umweltinsitut (Umwelt : univers sensoriel propre à chaque espèce vivante/concept de Jacob von Uexküll -Ndr) de Munich, qui mobilise actuellement contre l'usage des pesticides dans la culture des pommes au Sud Tyrol, relève Valérie Murat. De même, le porte-parole de la Confédération paysanne, et viticulteur bordelais bio, Dominique Techer se dit sidéré par ce procès.

Ce procès aura-t-il un effet boomerang ?

"D'après moi c'est une opération contre-productive qui revient à mettre une pièce de plus dans le juke-box de la crise bordelaise. C'est une mauvaise publicité pour les vins de Bordeaux, je ne comprends pas que l'on puisse faire une chose pareille, avec une affaire qui a éclaté en plein dans les ventes de fin d'année ! On se demande qui pilote la communication au CIVB. Ils remettent le couvert sur les pesticides et la HVE, mais pourquoi faire ?", lance Dominique Techer,

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Ce dernier estime que ce procès pourrait avoir l'effet inverse au but recherché au sujet des pesticides en label HVE. Comme le décrypte Jérôme Baudoin, rédacteur en chef de La Revue des Vins de France, dans une tribune intitulée « HVE, ce label sent-il le soufre ? » ce procès pourrait effectivement avoir des effets délétères.

La question des doses revient au centre du jeu

Après avoir relevé que toutes les cuvées citées par Alerte aux toxiques n'étaient pas certifiées HVE, comme annoncé par Valérie Murat, et reproché à l'association d'avoir noirci le tableau sur les résidus "(...) Sur les 171 molécules trouvées, 75 le sont à l'état de traces non quantifiables (...)", jusqu'à provoquer le désolidarisation du laboratoire, Jérôme Baudoin pointe un élément incontournable.

"(...) Bien que ces doses soient très faibles, l'association met surtout le doigt sur les types de molécules retrouvées : des perturbateurs endocriniens et des molécules de CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (...)".

Des noms qui font désormais peur, d'autant qu'avec les perturbateurs endocriniens, qui ne produisent pas de poison mais des perturbations organiques, le précepte du chimiste suisse du XVIe siècle Parcelse, "Tout est poison et rien n'est sans poison; la dose seule fait que quelque chose n'est pas un poison" aurait cessé de fonctionner.

Autrement-dit le principe selon lequel c'est la dose qui fait le poison est remis en question par la découverte depuis les années 1990 des perturbateurs endocriniens, qui même à très petites doses produisentent des effets négatifs sur le fonctionnement de l'organisme.

Et puis un dernier ressort pourrait se détendre dans l'angle mort de cette affaire, sur ce terrain en pointillés qui est encore hors sujet du procès mais pourtant au centre des enjeux : celui de l'environnement, des vignerons et des ouvriers agricoles.

Les viticulteurs et l'environnement exposés

"Il y a un très gros risque lors de la pulvérisation de ces pesticides, avec à la clé des pathologies lourdes et irréversibles. Il faut alerter les amateurs de vin car ils défendent une viticulture propre. En Gironde, 132 écoles sont exposées à ces vapeurs pestilentielles", attaque Valérie Murat.

Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, Valérie Murat n'est pas une activiste anti-pesticides qui serait venue d'ailleurs semer le trouble dans le vignoble bordelais. Valérie Murat est née dans le vignoble et c'est la fille d'un vigneron qui est mort en 2012, victime de l'arsenite de sodium qu'il utilisait. Maladie professionnelle qui a été reconnue en février 2012.

Si les consommateurs sont une préoccupation Valérie Murat mène aussi ce combat au nom du père, James-Bernard Murat, qui était viticulteur à Pujols, et par extension pour tous ceux qui travaillent la vigne.

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