Travailleurs saisonniers : "On n'est pas loin d’une forme d’esclavagisme moderne" (2/4)

A Pauillac, dans le Médoc, le maire de la ville dénonce un "marché aux esclaves" et un système mafieux de marchands de sommeil. Il vient d’alerter les châteaux sur cette problématique.
Chaque matin à Pauillac, c'est un ballet de camionnettes banalisées de prestataires viticoles qui viennent récupérer des travailleurs, majoritairement étrangers, pour les répartir dans les propriétés viticoles du Médoc.
Chaque matin à Pauillac, c'est un ballet de camionnettes banalisées de prestataires viticoles qui viennent récupérer des travailleurs, majoritairement étrangers, pour les répartir dans les propriétés viticoles du Médoc. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Chaque matin au lever du jour, devant la gare de Pauillac ou sur la place du marché, ce sont des dizaines d'hommes et de femmes français, espagnols, marocains, sahraouis, roumains ou autres qui, casse-croûte et bouteille d'eau à la main et casquette sur la tête, attendent d'être récupérés par la camionnette banalisée d'un prestataire de travaux viticoles. S'ils protestent sur les conditions ou le temps de travail, s'ils sont fatigués, s'ils sont malades : ils ne travaillent pas... Le même manège intervient au campement de la déchetterie, à quelques kilomètres de là, à la sortie de Pauillac.

Vendanges

Les prestataires viennent aussi au campement de la déchetterie, à Saint-Laurent-du-Médoc, récupérer des travailleurs (Crédits photo : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Ceux qui sont sélectionnés pour la journée pour aller travailler dans divers vignobles du Médoc sont redéposés en fin d'après-midi en centre-ville, parfois en faisant un détour par le Secours populaire pour récupérer un panier-repas. Pauillac joue le rôle de plaque tournante en raison de sa gare, de ses commerces alimentaires et de son parc de logements vieillissants.

Lire aussi : [ENQUETE] Médoc : quand les vignobles externalisent, les saisonniers trinquent (1/4)

"Le gros point noir de ce manège, c'est le logement avec un système mafieux de marchands de sommeil. On n'est pas loin d'une forme d'esclavagisme moderne, de marché aux esclaves", considère Florent Fatin, le maire de la ville. Certains prestataires de services viticoles ont ainsi monté une société civile immobilière (SCI) pour acquérir des immeubles ou une laverie par exemple.

"Ils se rémunèrent surtout en louant un logement de 40 m2 à 15 personnes sur un matelas sans drap à même le sol. A 250 € par mois et par personne, c'est un système très lucratif et très bien rodé avec des « logements témoins » nickels pour faire écran de fumée auprès des châteaux", poursuit l'élu.

Une vingtaine d'immeubles concernés

Outre la détresse humaine, la mairie de Pauillac déplore des troubles de voisinage, de gestion des déchets sans parler de l'image dans un territoire d'oenotourisme. Bâti vieillissant, matelas dans le couloir, dizaines de noms sur une seule boîte aux lettres : une vingtaine d'immeubles et jusqu'à 600 habitants seraient concernés, alimentés par "des filières bien organisées qui recrutent des travailleurs et leurs familles en Espagne, au Maroc, au Sahara occidental ou en Europe de l'Est. Et, malheureusement, quand vous arrivez en France et qu'on vous propose de gagner trois à six fois plus, vous ne rechignez pas sur le travail ou le logement...", résume Florent Fatin.

Pauillac

En plein centre-ville de Pauillac, des immeubles décrépits abritent de trop nombreux habitants (crédits photo : Thibaud Moritz / Agence APPA)

En 2017, son collègue Secundo Cimbron, maire de Saint-Yzans-de-Médoc, a hébergé chez lui un travailleur bolivien venu d'Espagne : "Pour le convaincre de venir à Pauillac on lui a promis monts et merveilles mais il s'est retrouvé à travailler dans des conditions épouvantables et à être logé en sous-location par son employeur dans une chambre où ils étaient douze à dormir sur des matelas. Le tout pour 200 € par mois ! Il y a des gens sans foi ni loi prêts à tout pour se faire du fric en profitant de cette situation." Le tout est frappé d'une forte omerta au sein de chaque communauté. "Des familles préfèrent vivre à douze avec leurs enfants dans un T2 plutôt que de dénoncer leur oncle ou leur cousin", regrette un bénévole au sein d'une association caritative.

Pauillac travailleurs saisonniers

Dans cette maison d'Artigues, à Pauillac, les matelas inondent le couloir principal (crédits : PC / La Tribune).

Elu en 2014, Florent Fatin a depuis mis en place un permis de louer et un permis de diviser pour compliquer la tâche des marchands de sommeil. "Cela nous permet de vérifier la salubrité des lieux mais, une fois que l'autorisation est accordée, on ne peut pas interdire à des personnes de dormir sur un matelas !", déplore le maire qui assure ne pas avoir tous les outils à sa disposition pour combattre ces marchands de sommeil. Et le problème concerne aussi Saint-Estèphe. "A l'occasion d'une rixe entre des Roumains et Bulgares pour un motif parfaitement futile, on s'est aperçus que 20 personnes vivait dans une maison où habitait avant un couple et son enfant", témoigne la maire Michelle Saintout.

Une liste noire en préparation

Décidé à faire bouger les choses, Florent Fatin a adressé le 27 septembre dernier un courrier à tous les châteaux de l'appellation Pauillac pour les sensibiliser à nouveau à la question et leur proposer d'établir conjointement "une liste noire des prestataires hors des clous pour ne faire intervenir que des entreprises vertueuses en termes de logement" et "endiguer ce fléau". Le maire y rappelle que des prestataires de services viticoles recourent à des "maisons témoins, des logements bien organisés, type auberge de jeunesse, pour procurer un écran de fumée qui masque la réalité" afin de convaincre les propriétés pauillacaises ou médocaines venus vérifier les conditions de logement. Il réunira les châteaux à l'issue des vendanges 2019 pour évoquer ce sujet.

Florent Fatin Pauillac

Florent Fatin, le maire de Pauillac, élu en 2014 (crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Une stratégie du "name and shame" parfaitement assumée par le maire, qui assure avoir déjà reçu la visite de plusieurs prestataires de services concernés, et partagée par sa collègue de Saint-Estèphe :

"Nous n'avons pas beaucoup d'armes pour combattre ce phénomène de logements de fortune mais dénoncer reste l'une des solutions les plus efficaces. Et je suis plutôt optimiste parce qu'aujourd'hui les châteaux ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas et ils comprennent aussi que c'est leur image qui est désormais est en jeu."

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Commentaires 5
à écrit le 15/06/2022 à 10:44
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Bonjour est il normale d'avoir un chef dans une équipe qui dors 45 minute dans ça voiture pendant que les ouvriers se grilles en pleines canicules et qui ne fait rien bosse pas avec eux vous trouvé cela normale.

à écrit le 20/10/2019 à 12:36
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J'ai eu l'occasion début des années 80 de faire les vendanges 4 ans de suite à Bégadan près de Lesparre,bien sur les conditions d'hébergement n'étaient pas top,les salaires pas super élevés mais la nourriture était super généreuse (merci à Marilou),l...

à écrit le 07/10/2019 à 22:42
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"sélectionnés" pour travailler, cela fait penser aux heures les plus sombres de l'histoire européenne.... Selon Fatin, les châteaux seraient victimes alors qu'ils sont au mieux complices, quant à lui qui "verrouillait les robinets d'eau de sa ville,...

à écrit le 07/10/2019 à 21:53
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Et dire que leurs employeurs font parti des grandes fortune du sud ouest de la France...

à écrit le 07/10/2019 à 12:52
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Pourquoi Monsieur le maire de Pauillac a t il chassé l'union locale CGT de sa ville ?

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