Affaiblis, les vins de Bordeaux doivent survivre à un fléau inédit : le Covid-19 (1/5)

L'impact de la pandémie de coronavirus s'est d'abord traduit par l'annulation d'un nombre croissant de salons professionnels, avant de déclencher un confinement massif de la population et la mise à l'arrêt de nombreux canaux de distribution. Malgré leur état de sidération les vignerons bordelais ont repris le chemin des vignes, tandis que le destin de la sacro-sainte Semaine des primeurs, qui devait avoir lieu début avril est encore discuté. Jusqu'au vendredi 24 avril La Tribune Bordeaux explore les recoins d'une crise viticole bordelaise sans précédent.
La distribution des salariés dans la vigne n'est pas vraiment un casse-tête, même avec le coronavirus/photo d'archive
La distribution des salariés dans la vigne n'est pas vraiment un casse-tête, même avec le coronavirus/photo d'archive (Crédits : Agence Appa/Thibaud Moritz)

Un mois après le début du confinement provoqué par la pandémie de Covid-19, la filière viticole bordelaise est, comme la plupart des autres secteurs d'activité, en état de choc. Cette imprévisible attaque virale est un nouveau coup de massue sur un vignoble qui ne s'est pas encore remis des conséquences de l'épisode de gel dévastateur de 2017. Si l'année dernière n'a pas été totalement mauvaise, les perspectives d'amélioration n'ont cessé de se dégrader, jusqu'à ce que les vins de Bordeaux se retrouvent tout près du gouffre.

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A la fois minés par un marché national en recul et des ventes à l'export menacées d'effondrement. Le plan de relance dévoilé en fin d'année par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), présidé par Bernard Farges, n'a pas encore eu le temps de produire ses effets. Le confinement mis en place pour faire face au coronavirus a littéralement gelé le marché, au moins dans un premier temps. Mais tandis que la majorité de la population reste cloitrée chez elle et que le nombre de salariés travaillant à l'extérieur de leur domicile a fondu, le vignoble ne dort que d'un œil.

"La vie reprend petit à petit, tout doucement"

"Le travail de la vigne continue. La vigne n'a pas le coronavirus. J'ai des salariés et nous nous adaptons. Il y a eu un moment de sidération, d'incrédulité, de paralysie. Les cavistes, les hôtels, les cafés et les restaurants ont fermé, et au départ il ne restait plus que la grande distribution. Un mois après, la vie reprend petit à petit, tout doucement. Nous sommes bien obligés de faire les travaux", éclaire Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne de Gironde, et cogérant dirigeant du château Gombaude-Guillot, en Pomerol.

Car la vigne est en pleine pousse. Après la taille des sarments, qui se concentre en général en janvier et février, les pieds de vigne se couvrent de feuilles, ce qui oblige notamment à les éclaircir pour garantir un meilleur développement des fleurs, qui donneront ensuite les grappes. Or l'hiver a été doux et la pousse de la vigne a encore pris de l'avance. Dans ce cadre végétal d'une grande vivacité le coronavirus, qui s'attaque aux hommes, est devenu une nouvelle menace, qui vient s'additionner aux risques dévastateurs que courent déjà les plantes avec le gel et la grêle.

Des crus dont les vignes ne sont pas taillées

L'orage qui a touché la Gironde ce vendredi 17 avril 2020 a rappelé le caractère quasi foudroyant des chutes de grêle, ces dernières ayant violemment frappé les domaines viticoles de la région de Saint-Emilion, sans compter ceux du Bergeracois. Et le coronavirus, qui oblige a modifier la façon de travailler et de circuler, c'est encore autre chose.

"Les travaux suivent leur cours. Nous travaillons en extérieur. Nos 19 salariés sont séparés. Pour recruter de la main d'œuvre saisonnière supplémentaire c'est plus dur, car les gens ne se déplacent pas. Les propriétés qui ont fait le choix de sous-traiter leurs travaux à une main d'œuvre étrangère vont souffrir. D'ailleurs il y a des crus dont les vignes ne sont pas taillées", observe Xavier Planty, à Château Guiraud, 1e grand cru classé en 1855 en Sauternes.

Il est encore trop tôt pour savoir quel sera au bout du compte l'impact réel des mesures de confinement, avec le retour des contrôles aux frontières et la fermeture de ces dernières à l'échelle de l'Espace Schengen, sur le recrutement de la main d'œuvre saisonnière dans les vignes.

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Un prestataire de services qui fait face

Co-dirigeant de la société girondine Banton & Lauret, à Vignonet, qui se définit comme la « première entreprise de prestations de services en Gironde », Benjamin Banton propose justement aux domaines viticoles du Bordelais d'assurer la taille de leur vigne, mais aussi les vendanges et le suivi œnologique, la vinification et la filtration.

"Nous intervenons beaucoup sur les grands châteaux et je n'ai pas vu de vignes non taillées. En 2017 le vignoble a connu un gros problème avec le gel, puis en 2018 avec le mildiou. Le coronavirus ne nous pose pas de problèmes de main d'œuvre. Nous nous sommes organisés pour les gardes d'enfants et nous louons des véhicules pour éviter que les salariés soient en surnombre" déroule Benjamin Banton.

Si, comme le souligne Dominique Techer, la phase de sidération initiale est passée, la pandémie de Covid-19 ne fait qu'aggraver une situation qui commençait déjà à devenir critique pour le vignoble. Au point de donner début 2019 l'impression d'un grand télescopage.

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Des situations compliquées depuis fin 2019

Fin janvier, Bernard Farges a ainsi battu le rappel des élus, à commencer par Nathalie Delattre, conseillère municipale de Bordeaux, sénatrice de la Gironde et coprésidente de l'Association nationale des élus de la vigne et du vin, et Nicolas Florian, maire de Bordeaux, pour compléter la mobilisation nationale des vignobles français contre les sanctions américaines. Washington ayant décidé le 18 octobre 2019 de faire payer une surtaxe de 25 % aux vins français de moins de 14° vendus aux Etats-Unis, dans le cadre du différent commercial entre Boeing et Airbus.

"Les Etats-Unis agissent en toute légalité. Ils surtaxent les ventes d'Airbus, à hauteur de +10 % mais frappent les vins français à hauteur de +25 %. Cela signifie qu'une bouteille de bordeaux vendue 10$ va passer à 12,5 $ et peut-être même à 15 $ en fonction du distributeur. D'où une baisse des ventes qui va venir s'ajouter au recul de l'activité en Chine (continentale -NDLR), où les vins australiens et chiliens bénéficient d'un avantage concurrentiel -avec des taxes de douane très inférieures aux nôtres. Sans oublier la situation à Hongkong qui compromet également notre commerce", recadrait ainsi le patron du CIVB dès le 27 janvier dernier.

Sachant que les vignerons français réclamaient à l'Etat la création d'un fonds de compensation de 300 M€.

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Vinexpo Paris a eu lieu malgré l'épidémie en Chine

C'était juste avant que les premiers effets de l'épidémie de coronavirus née fin 2019 dans la province chinoise du Hubeï ne commencent à vraiment se faire sentir. Alors que la filière bordelaise s'apprêtait à démarrer l'année commerciale 2020 avec au moins une nouveauté très attendue, soit le premier salon Vinexpo Paris, programmé du 10 au 12 février, le 5 février Patrick Seguin, président la CCI Bordeaux Gironde, créatrice de Vinexpo, n'hésitait pas à se montrer inquiet.

Il venait d'apprendre qu'à cause de l'épidémie de coronavirus en Chine, 240 grands acheteurs asiatiques avaient décidé d'annuler leur venue à Paris. Un vrai problème quand on sait que la Chine, malgré les baisses enregistrées, reste la locomotive des ventes de bordeaux à l'export. Le 29 février c'est la tenue de Prowein, en Allemagne, le plus grand salon mondial dédié aux vins, programmée initialement du 15 au 17 mars, qui était reportée.

Les autorités de Hongkong ne veulent pas renoncer

Le 2 mars était annoncé le report de Vinexpo Hongkong, pour la première fois en vingt ans d'existence. Cette grande manifestation, qui se déroule dans la région spéciale de Hongkong, le marché le plus important en valeur pour les bordeaux, devait avoir initialement lieu du 26 au 28 mai et a été reporté du 8 au 10 juillet. Si l'on en croit les observateurs bordelais, Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif de la région spéciale de Hongkong, aurait pesé de tout son poids pour maintenir coûte que coûte l'organisation de ce salon en 2020. Il faut dire que Bordeaux et Hongkong entretiennent des liens très étroits et sont liés par de nombreux accords commerciaux.

Au point que Carrie Lam a démarré sa visite d'Etat en France de 2018 en commençant par le port de la Lune et son emblématique manifestation biennale Bordeaux fête le vin.

"Je dois dire que je suis un peu sceptique sur le maintien en 2020 de cette manifestation à HongKong" concède Olivier Cuvelier, président de l'Alliance des Crus Bourgeois du Médoc.

Quand le président de la CCIBG avait déjà averti que les assureurs ne sont pas du tout motivés pour couvrir les professionnels français de la filière vin qui voudraient se rendre sur place. Le 12 mars denier, c'est le 21e salon des Vignerons indépendants, prévu du 13 au 15 mars 2020 avec 30.000 visiteurs et 320 exposants attendus, dont le report était annoncé du 19 au 21 juin prochains.

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Une Semaine des primeurs en septembre ?

Aucune grande manifestation n'échappe au couperet du coronavirus. Et la remise à plus tard de la sacro-sainte Semaine des primeurs, qui devait accueillir 5.000 professionnels du vin venus du monde entier pendant la première semaine d'avril et donner le ton des bordeaux du côté des grands châteaux est définitivement historique. Dans l'immédiat personne ne panique. Tandis que de nombreux châteaux envoient par la poste des échantillons de vins primeurs à déguster aux critiques et acheteurs de tous les pays, les professionnels espèrent pouvoir encore organiser cette fameuse semaine en septembre.

L'emblématique manifestation Bordeaux fête le vin, qui devait se tenir du 18 au 21 juin, n'aura pas de seconde chance en 2020. Elle est reportée d'un an, au mois de juin 2021. Un casse-tête pour les organisateurs, qui maintiendrons notamment la validité des Pass 2020 qui avaient déjà été vendus. Le poids économique de tous ces salons se retrouve dans le chiffre d'affaires global des vignobles. Et tout semble indiquer qu'une part très importante de l'activité qui a été remise à plus tard, pour peu que des salons viticoles aient encore lieu en 2020, soit définitivement perdue. Un manque à gagner qui va venir s'additionner à celui provoqué par la rupture de nombreux canaux de distribution, même si ces derniers, comme nous le verrons dans le prochain article, ont tendance à se réveiller un peu.

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Commentaire 1
à écrit le 21/04/2020 à 16:02
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Hou là mais dites moi c'est qui ce propriétaire de vignoble bordelais en plus qui fait bosser des zadistes dites moi ? ^^

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