Vins de Bordeaux : et si le bio était le remède à la baisse des prix du vrac ? (2/5)

Suspendu par le confinement, le plan de relance du vignoble veut résoudre la forte baisse des prix du vrac notamment par la reconquête de marchés perdus en France. Une mission impossible hors de la production de vin bio estiment certains vignerons. Tandis que le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) joue plutôt la carte de la haute valeur environnementale (HVE). En attendant, la forte baisse des prix du vrac, qui attaque la viabilité de nombreuses exploitations, pourrait se transformer en bombe à retardement.
Le vrac de vin bio se vend nettement plus cher que les bordeaux classiques.
Le vrac de vin bio se vend nettement plus cher que les bordeaux classiques. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Dans son plan de sortie de crise présenté fin 2019, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), présidé par Bernard Farges, a notamment mis l'accent sur la reconquête du marché français, qui passe par les prescripteurs que sont les cavistes ou encore les tenanciers de bars et les restaurateurs. Avec le gel de 2017, qui a fait chuter la récolte de 39 % sur un an -du jamais vu-, les volumes de bordeaux disponibles en vrac ont fini par reculer de façon critique par rapport à la demande dans la grande et moyenne distribution (GMS).

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La GMS, avec 48 % des ventes de bordeaux, reste le premier canal de distribution pour les producteurs du Bordelais. Comme dans un mauvais scénario, ce manque de volume a mécaniquement entrainé une hausse des prix de vente qui a fini par détourner une large partie de la clientèle des bordeaux.

L'épisode historique de gel de 2017 n'est pas le seul facteur à l'œuvre dans la crise actuelle, mais il a suffisamment déstabilisé la clientèle pour aggraver le recul de la consommation des bordeaux dans la grande distribution, favorisant ainsi in fine la chute des prix du vrac début 2019.

La question de la production devrait rester entière

A tel point que la situation est rapidement devenue critique dans le vrac, qui représente près de la moitié de la production. D'où le recadrage fait par Bernard Farges en présentant le nouveau plan de sortie de crise du CIVB fin 2019.

"D'abord nous devons mettre en place des outils de régulation de l'offre. L'enjeu est clair : en 2020 il est impensable que notre production en AOC en Gironde continue d'être en décalage avec ce que nous sommes capables de commercialiser. Produire cinq millions d'hectolitres et en vendre quatre ne peut pas durer, sauf à considérer la loi de la jungle comme notre projet", avait-il ainsi prévenu.

Et c'est bien pour reprendre l'ascendant sur le marché français, où la famille des cavistes, restaurateurs et de la vente directe représente 43 % du chiffre d'affaires des bordeaux, que le CIVB a lancé en janvier dernier une vaste opération de séduction.

Ceci après avoir pris acte que des appellations abordables, comme les Bordeaux et Bordeaux Supérieurs, ont été souvent prises de vitesse en France par des vins qui se focalisent avant tout sur le marché national, avec des offres séduisantes comme Tariquet, dans le Gers, ou les Vignerons de Buzet, en Lot-et-Garonne.

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En mars 2019, un tonneau à 1.000 euros

Pour repartir à la conquête des comptoirs et des cavistes, en particulier à Bordeaux, mais aussi ailleurs, plus de 1.300 vignerons bordelais se sont mobilisés en janvier dernier pour aller sur le terrain, au contact de ces prescripteurs et des consommateurs. Une stratégie qui vient d'être provisoirement gelée par la lutte contre le coronavirus avec son confinement généralisé et la fermeture des cafés, hôtels, restaurants. Le terrible coup d'accordéon provoqué sur le vignoble par la crise de gel de 2017 s'est soldé dés le début de 2019 par une inquiétante chute des prix du bordeaux en vrac.

Dominique Techer Château Gombaude-Guillot Gironde

Dominique Techer (Agence Appa/Thibaud Moritz)

Avec un tonneau de rouge 2018 (900 litres) en entrée de gamme dont le prix à atteint 1.000 euros en mars 2019, ce qui a poussé Xavier Coumau, président du Syndicat des courtiers de la Gironde à tirer la sonnette d'alarme. Pour rappeler que les producteurs ont besoin d'un prix d'achat au tonneau compris entre 1.200 et 1.300 euros pour pouvoir vivre de leur travail. Une situation qui ne s'est pas améliorée au cours de l'année, puisque les cours du vrac ne sont pas remontés. Avec à la clé une situation de plus en plus critique pour beaucoup de producteurs, qui pourrait provoquer une déflagration dans tout le vignoble et qui, en attendant, fait apparaitre une ligne de fracture de plus en plus radicale.

Des vins bios en vrac qui partent à de meilleurs prix

"Le prix moyen du tonneau en vrac est à 940 € mais ça ne veut rien dire. Parce que ce chiffre additionne les ventes de vin bio et de vin standard avant de tout diviser par deux. Alors que les vins bio de Bordeaux se négocient entre 2200 et 2300 euros du tonneau, les vins standards se vendent à 800 euros, voire 750, même si le prix facial peut être à 900 euros. J'ai même entendu parler de ventes à 600 euros le tonneau, et là c'est la mort du petit cheval", s'alarme Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne de la Gironde et cogérant du château Gombaude-Guillot, en Pomerol, qui produit en bio.

Cette incompréhension pour le maintien d'une production de vin massivement traditionnelle, même si le vignoble bordelais a fait d'énormes progrès dans le domaine de la certification en haute valeur environnementale (HVE), est partagée par Xavier Planty, gérant du château Guiraud, 1e grand cru de Sauternes classé en 1855, qu'il a repris en 2006 avec Robert Peugeot (PDG du fonds d'investissement de la famille Peugeot), Stephan Von Neipperg (châteaux Canon La Gaffelière et La Mondotte, 1ers grands crus classés de Saint-Emilion) et Olivier Bernard (Domaine de Chevalier, grand cru classé de Graves à Pessac-Léognan).

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Histogramme Bio France

Source : InterBio Nouvelle-Aquitaine. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

La guerre des prix catalyse le débat sur la production

Xavier Planty, dont le domaine a les reins solides, mais qui doit compter avec un restaurant fermé et l'arrêt de toute activité oenotouristique, se montre critique.

"Les pertes de la filière viticole en Bordelais vont être colossales. Les gens ne comprennent pas que les consommateurs veulent être rassurés et que c'est la raison pour laquelle ils achètent des vins bios. Alors que les stocks de vin traditionnel s'accumulent dans la majorité des exploitations, les négociants enlèvent les palettes de vin bio dès qu'ils peuvent. Les écarts de prix en vrac entre vins traditionnel et bio sont désormais énormes. Même si le bio ce n'est pas la panacée", déroule Xavier Planty.

LES PREMIERS VIGNOBLES BIOS EN SURFACES

  • 1/ Occitanie (34.825 ha. 13 % du vignoble)
  • 2/ Paca (20.636 ha. 23 % du vignoble)
  • 3/ Nouvelle-Aquitaine (16.188 ha. 7 % du vignoble)
  • 4/ Auvergne Rhône-Alpes (6.085 ha. 12 % du vignoble)
  • 5/ Pays de la Loire (3.918 ha. 12 % du vignoble)

La crise sur les prix de vente en vrac catalyse plus que jamais ce débat entre les productions de vin respectueuses de l'environnement, avec la certification HVE, défendue becs et ongles par le CIVB, et le bio. Avec des lignes de fractures qui pourraient surprendre ceux qui s'imaginent qu'il s'agit dun simple affrontement entre les anciens et les modernes, les vrais agriculteurs et les bobos.

La production en vin bio intéresse un public plus large

C'est ainsi que dans les colonnes de L'Avenir (daté d'avril 2020), le bulletin de l'Union girondine des vins de Bordeaux, Magali Vérité, vice-présidente de la Chambre d'agriculture de Gironde, et viticultrice à Caplong, qui représente la jeune garde d'une agriculture très enracinée, a récemment présenté une synthèse qui en dit long sur la perception des enjeux. Magali Vérité, tout en validant l'engagement du vignoble bordelais dans la haute valeur environnementale promu par le CIVB, prend ainsi date au sujet de la production de vin bio.

"Beaucoup de viticulteurs en sont au stade de l'interrogation, confie ainsi Magali Vérité à L'Avenir, notre objectif pour fin 2020 est d'accompagner 1 000 exploitations en bio".

Le vin bio est principalement identifié par la certification AB, qui prouve que le raisin a poussé dans le cadre d'une culture biologique, mais sans englober le travail en cave. Il faut passer au label « Nature et progrès », qui combine la certification AB à un cahier des charges spécifique pour le travail en cave, pour couvrir toutes étapes. Demeter est encore une autre certification, spécifique à la biodynamie, qui combine culture bio et approche spirituelle du travail de la vigne.

Histogramme Bio Nouvelle-Aquitaine

Source : InterBio Nouvelle Aquitaine. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Pas plus de 7 % en bio mais déjà une grande surface

Comme le montrent les statistiques d'Interbio, la certification AB est en plein développement dans les vignobles de Nouvelle-Aquitaine, avec un total de 16.188 hectares en 2018, dont 28 % en conversion, contre à peine plus de 8.000 hectares en 2010. Autrement-dit les vignobles bio certifiés AB représentaient 11.610 hectares en 2018 en Nouvelle-Aquitaine, dont 7.867 hectares pour le seul département de la Gironde, soit près de 70 % du total régional, en hausse de +15 % sur un an.

Si la marge de progression reste importante, puisqu'à 16.188 hectares le vignoble bio ne représente encore que 7 % des vignes de Nouvelle-Aquitaine, contre 23 % en Provence-Alpes-Côte-d'Azur (Paca : 1e place avec 20.636 hectares), 22 % en Corse (1.454 ha) et 15 % en Centre-Val-de-Loire (3.143 ha), comme le reconnaissent tous les intervenants le bio n'est pas non plus une panacée. Et puis malgré les progrès à faire, le vignoble bio de Nouvelle-Aquitaine est déjà un des trois plus importants du pays en surface, avec ceux de Paca et d'Occitanie (34.828 ha). Le succès de la cave des Vignerons de Buzet, qui a développé toute une démarche environnementale poussée, qui mixe certifications HVE, AB, Bee friendly (je protège les abeilles) et Sans sulfites ajoutés semble le démontrer.

Lire aussi : Vins de Bordeaux : Bernard Farges reprend la tête du CIVB

Bordeaux en pointe pour la HVE au niveau national

Lors de sa dernière intervention pour présenter le bilan 2019 Bernard Farges a ainsi souligné que le vignoble bordelais, avec près de 1.000 entreprises certifiées, "est de loin le premier vignoble HVE de France". Une certification qui renvoie à la complexité du système normatif. Sachant que la certification nationale HVE porte sur l'accession à des seuils en matière d'excellence environnementale (biodiversité, stratégie phytosanitaire, fertilisation, irrigation) et qu'elle n'est pas du tout contradictoire avec la démarche bio.

Pas moyen pour le vignoble de Bordeaux, qui est le plus grand mais aussi un des plus prestigieux de France et du monde, de faire l'impasse sur le dossier des pesticides. Sujet qui a défrayé la chronique à plusieurs reprises dans le Bordelais. Une épineuse question qui est loin d'être réglée, ici comme ailleurs, et que Bernard Farges a tenu à resituer en restant dans le cadre de la production.

Pesticides : faire attention aux chiffres

"D'abord il est nécessaire de regarder les ventes de pesticides sur plusieurs années... En effet, le tonnage 2018 est à mettre au regard des conditions particulières de cette année-là, où les vignes ont subi une pression exceptionnelle du mildiou ; à noter ensuite une anticipation des achats en prévision de l'augmentation de la redevance pour pollution diffuse (RPD), taxe qui a renchéri les prix au 1e janvier 2019.... enfin, dernier point à souligner : la progression constante de l'utilisation de produits autorisés en agriculture biologique, dont le soufre et le cuivre. Or, à chaque fois qu'un viticulteur remplace un produit de synthèse par un produit bio ou de biocontrôle, les quantités de produits utilisés augmentent, car leurs doses d'utilisation sont tout simplement plus élevées", a analysé le président du CIVB.

En attendant que le déconfinement prenne fin et que la situation se dégèle, et malgré les difficultés qui ne vont pas manquer de surgir, il est certain que les préoccupations environnementales ne sont plus une option pour la vigne et l'ensemble de l'agriculture. S'il en était encore besoin, l'engagement massif du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, avec son programme Vitirev en témoigne.

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