Les vins de Bordeaux pourraient perdre des dizaines de domaines fragilisés (3/5)

Les ventes de vin de Bordeaux souffrent du coronavirus en France mais aussi à l'export. Tous les châteaux du Bordelais sont en apnée, même si des commandes recommencent à être signées, en petit nombre. Cette épreuve sans précédent risque d'entrainer la liquidation de domaines déjà très fragilisés avant la crise. En attendant, le marché des transactions de domaines viticoles est complètement à l'arrêt. Avant d'exploser brutalement à la fin du confinement ?
Avec le coronavirus 350 à 700 châteaux bordelais très fragilisés sont menacés de disparition.
Avec le coronavirus 350 à 700 châteaux bordelais très fragilisés sont menacés de disparition. (Crédits : REGIS DUVIGNAU)

Les perspectives commerciales n'ont probablement jamais été aussi mauvaises pour les vins de Bordeaux à l'export à la fin de l'année 2019. Et depuis le début du confinement provoqué par la pandémie de coronavirus, elles frôlent le néant. Le fait que tous les vignobles français soient logés à la même enseigne n'est pas vraiment une consolation.

"Nous vendons 25 % de notre production en France et tout le reste à l'export. Aux Etats-Unis il y a eu la taxe Trump et puis le coronavirus : c'est mort. Au Royaume-Uni aussi. Nous avons signé deux petites affaires avec la Chine", éclaire Xavier Planty dirigeant du Château Guiraud (Sauternes-1e grand cru classé en 1855), qui réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 3,5 M€.

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 En Pomerol, au Château Gombaude-Guillot, Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne en Gironde, annonce une petite reprise des commandes à destination du Royaume-Uni et d'Allemagne.

"Cela se fait vraiment en mode mineur. Il y a eu un avant et un après 15 mars 2020. Nous ne sommes pas près de retrouver les volumes d'avant la crise du coronavirus", complète le cogérant de ce domaine, qui réalise 500.000 euros de chiffre d'affaires annuel.

Export : la planche de salut qui s'est brisée

Dominique Techer estime que la fermeture en France des cafés, hôtels et restaurants est un vrai coup de massue pour le vignoble bordelais. Dans ce contexte national désespérant, la reprise des ventes à l'export pourrait faire figure de planche de salut. Mais personne n'oublie les mauvaises nouvelles qui se sont accumulées dans ce domaine l'an dernier de Honnkon au Brexit en passant par les taxes Trump. Et ça c'était avant. Dans un autre monde où, malgré les difficultés, l'export maintenait son statut de pilier de grand générateur de cash. Mais l'infection de coronavirus a tout changé.

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Et c'est précisément de la République populaire de Chine (RPC), qui, avec les régions spéciales de Hongkong et Macao, s'impose comme le premier marché à l'export des bordeaux, que s'est échappé ce fléau viral. Tout un symbole. Ces trois marchés chinois pèsent lourds puisqu'ils ont représenté en 2019 pas moins de 23 % des ventes de bordeaux en volume, avec 421.000 hectolitres (soit 56 millions de bouteilles) et 27 % en valeur, avec un chiffre d'affaires régional de 573 M€ : sur un total export de 2 Md€.

Au sein de cet ensemble, la carte d'or de Bordeaux dans la région est sans conteste Hongkong, qui avec 8 millions de bouteilles génère un chiffre d'affaires de 303 M€. Soit plus que les 48 millions de bouteilles vendues en RPC, qui ont généré un chiffre d'affaires de 254 M€ en 2019 ! Quand une bouteille de bordeaux se vend en moyenne à 40,38 € à Hongkong, elle se paie 5,28 € dans le reste de la Chine...

CIVB

Chiffres de vente des vins de Bordeaux en 2019- Sachant que le chiffre d'affaires global du vignoble a été de 3,9 milliards d'euros pour 4,1 millions d'hectolitres vendus (source : CIVB)

Hongkong n'entend pas renoncer à Bordeaux

C'est sur l'île des casino de Macao que les bordeaux se vendent le plus cher, à 40,90 € la bouteille. Si Macao n'achète pas plus de 400.000 bouteilles, cette île a généré l'an dernier un chiffre d'affaires de 16 M€. Macao est le seul territoire chinois où les ventes de bordeaux aient été en hausse en 2019, à +23 %. Tandis qu'elles ont reculé de -18 % en RPC et de -7 % à Hongkong.

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En plus du soulèvement démocratique de Hongkong, dont la population est fermement décidée à conserver ses libertés héritées de la période britannique face à Pékin, et la RPC, qui a mis en frein aux ventes de bordeaux avec son programme de lutte contre la corruption, ces marchés ont été déstabilisés.

Les autorités de Hongkong n'entendent pas renoncer à leurs relations étroites avec le vignoble et la ville de Bordeaux ni même à l'organisation de Vinexpo en 2020. Autrement dit tout n'est pas perdu à plus long terme, à condition de survivre à 2020. L'effondrement des ventes à l'export, un des grands cauchemars qui hantaient le vignoble jusqu'en février dernier est brutalement devenu réel. Imaginer une situation encore plus catastrophique n'est pas impossible mais aujourd'hui totalement inutile.

Le spectre des châteaux zombies dans la crise

C'est d'autant plus vrai que tous les observateurs commencent à s'interroger sur un sujet qui ne date pas tout à fait d'hier, celui des entreprises zombies. Un sujet évoqué ce mercredi matin lors du débat vidéo en direct de La Tribune, au cours duquel Pierre Gruson, professeur de finance à Kedge BS a expliqué que la proportion d'entreprises zombies, financièrement fragiles au point d'être rayées de la carte à la moindre remontée des taux d'intérêts, représente entre 5 et 7 % du total des sociétés enregistrées en Europe et aux Etats-Unis.

Etant donnée la durée et la dureté de la crise actuelle dans le vignoble bordelais, déclenchée par l'épisode de gel de 2017, mais qui fait suite à une crise précédente démarrée en 2010, des observateurs estiment depuis plusieurs mois que ces entreprises zombies seraient devenues nombreuses parmi les près de 7.000 exploitations viticoles que compte la Gironde, jusqu'à représenter plusieurs dizaines de châteaux.

Ce qui est sûr c'est que les écrasantes tensions qui s'exercent sur les chefs d'exploitation, qui se traduisent par une chute des ventes, désormais presque absolue, et une montée en flèche des quantités de vin à stocker, étaient déjà présentes début 2019 et probablement bien engagées en 2018. Avec le confinement, le coronavirus a gelé toutes les positions. Et il a fallu que le gouvernement active, au nom de la collectivité, un gigantesque plan rouge pour éviter la liquidation quasi instantanée de centaines de milliers d'entreprises et de millions d'emplois. Un indispensable filet de sécurité relayé par les banques, qui ne va pas empêcher la Médiation du crédit d'intervenir pour traiter les cas graves.

Les viticulteurs ne sont pas tous au bord de l'abîme

Autrement-dit, et pour une période encore inconnue, le statut quo ante est encore globalement valable. Et la photographie que nous avons faite sur l'évolution des ventes de propriétés viticoles en Gironde fin janvier, avec Me Philippe Laveix, notaire girondin et président du groupement Jurisvin, qui regroupe des notaires ruraux installés dans tous les vignobles de France, est toujours d'actualité. Concernant la situation patrimoniale dans le Bordelais, Me Philippe Laveix, qui donne des cours à l'Université de Bordeaux, en droit de la vigne, ainsi qu'à Bordeaux Sciences Agro, nuance la situation.

"A Bordeaux, pour les bordeaux génériques le prix de l'hectare oscille en moyenne entre 15.000 et 25.000 €, pour grimper à plusieurs millions d'euros du côté de Saint-Emilion. D'où la question qui se pose lors d'une transmission, en particulier en période de crise : qui est celle de la date. La question temporelle prend alors un aspect crucial. A Sauternes, d'une année à l'autre, le prix de l'hectare a, par exemple, pu varier du simple au double... Alors sur quel index doit-on se fixer ?", expose Me Philippe Laveix.

Si le vignoble bordelais est en crise, là aussi ce praticien patrimonial ne veut pas entendre parler de calculs à l'emporte-pièce.

"Dans le vignoble, il y a des différences. Tous les viticulteurs ne sont pas au bord de l'abîme. Certains ont investi en bio et vendent en direct ou par le biais de contrats avec les négociants, et ça se passe bien", recadre le président de Jurisvin.

Ce dernier souligne que dans la région où il opère, aux alentours de Sauveterre-de-Guyenne, les transmissions de domaines se font principalement à des viticulteurs plutôt qu'à des investisseurs. Ce qui n'est pas le cas dans tout le vignoble.

Exploitations viticoles : personne ne vend

Quand on l'interroge sur l'impact de la crise dans les transmissions, Me Philippe Laveix est tout aussi clair.

"Ce qui est le plus notable c'est qu'il n'y a pas beaucoup de ventes de domaines viticoles. Les acheteurs sont en attente. Comme les vendeurs, qui espèrent encore céder à un meilleur prix. Comme il n'y a ni vendeurs ni acheteurs c'est difficile de parler de crise puisque tout le monde attend", éclairait déjà début février pour La Tribune ce spécialiste, évoquant une possible décantation de la situation d'ici six mois, avec l'apparition de vendeurs sans acheteurs.

De son côté Lydia Héraud, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine en charge de la viticulture et des spiritueux, confirmait à La Tribune, lors d'un entretien publié le 28 février dernier, que les vignerons sont inquiets. "Des exploitants se posent sérieusement la question de vendre leurs propriété et d'arrêter les frais avant que ça ne devienne trop catastrophique, de transmettre leur bien avant que ça ne soit trop difficile !" a-t-elle alors souligné.

Fin connaisseur du vignoble et de ses exigences, Me Philippe Laveix explique de façon éclairante pourquoi le bio ne se développe peut-être pas aussi vite que certains voudraient.

"Le marché du vin bio se porte mieux oui, c'est vrai. Mais il requiert des investissements très lourds pendant une période de conversion qui dure trois ans. C'est pourquoi tout le monde ne le fait pas. C'est d'autant plus dur quand on décide de basculer d'un seul coup au lieu d'avoir anticipé. Et puis quitte à faire des efforts, des viticulteurs préfèrent se lancer dans la haute valeur environnementale, etc.", décrypte le président de Jurisvin.

Quels que soient les leviers utilisés, il faudra bien que le marché viticole redémarre pour que le plan de sauvegarde déclenché par les pouvoirs publics devienne vraiment utile.

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