Bordeaux Euratlantique maintient ses objectifs mais assure avoir « changé de méthode »

INTERVIEW. Depuis son arrivée comme directrice générale de l'EPA (établissement public d'aménagement) Bordeaux Euratlantique en août 2021, Valérie Lasek a cherché à imposer l'idée d'un avant et d'un après dans la façon de conduire cette grande opération d'aménagement urbain. La dirigeante prône le pragmatisme et le consensus à l'heure où les crises successives bousculent les chantiers de l'aménageur. Entretien
Avant d'arriver à la tête d'Euratlantique, Valérie Lasek a notamment été conseillère de l'aménagement dans le cabinet ministériel de Cécile Duflot en 2012.
Avant d'arriver à la tête d'Euratlantique, Valérie Lasek a notamment été conseillère de l'aménagement dans le cabinet ministériel de Cécile Duflot en 2012. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - 18 mois après votre arrivée à la tête de l'EPA Bordeaux Euratlantique vous définissez une nouvelle feuille de route stratégique. Souhaitez-vous marquer une rupture avec vos prédécesseurs ?

Valérie LASEK - Je pense que ça fait du bien à tout le monde de se poser pour que l'on puisse faire cet état des lieux de la trajectoire qu'était celle de Bordeaux Euratlantique et de poser la question d'où l'on en est aujourd'hui. Il faut voir comment on veut prolonger la suite pour répondre au mieux aux objectifs qui sont ceux de l'OIN [opération d'intérêt national, ndlr], c'est-à-dire accueillir des habitants dans de bonnes conditions sur le cœur de la métropole, accueillir des emplois exogènes qui participent à la dynamique du territoire, tout en luttant contre l'étalement urbain assez endémique en Gironde. Si on ne fait rien, on sera sur une tendance qui aggrave la situation du point de vue environnemental. Ce sont ces interrogations que l'on partage à la faveur des échanges autour du bilan et des perspectives pour la suite.

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Est-ce à dire que les ambitions d'origine du projet Euratlantique, fixées au début des années 2010, ne sont plus entendables maintenant ?

Je ne le dirais pas comme ça. Les objectifs sont toujours d'actualité, on a une forte poussée démographique sur la Gironde et la métropole en particulier. Les objectifs de production sont toujours aussi essentiels. Par contre, sur la manière de faire, sur la façon dont on doit expliquer le projet et travailler non seulement avec les élus mais aussi les habitants et les associations de ce territoire, on a sans doute changé de méthode pour envisager la suite de manière plus sereine.

Comment votre équipe se projette-t-elle sur de nouvelles phases de construction sachant que le secteur du bâtiment connaît des hausses d'une ampleur inquiétante autour des coûts de production ?

On a lancé un test opérateur, ce vendredi 3 février, en interrogeant les entreprises sur la manière dont leur modèle économique fonctionne. Sur le secteur d'Euratlantique, un certain nombre de paramètres contraignent l'équation économique car on impose de la performance environnementale, des prix fixes en sortie pour éviter la spéculation immobilière ainsi qu'une programmation imposée avec une part de logement social.

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À quoi vont ressembler ces tests ?

À un bilan promoteur sur lequel, de manière anonyme, ils vont pouvoir nous répondre sur les conditions dans lesquelles ce bilan tourne. On leur demande de fixer quels vont être leurs curseurs sur les niveaux de prix, l'exigence programmatique [le calendrier des travaux, ndlr], ou les performances environnementales, parmi d'autres paramètres, afin de dégager les déterminants futurs des socles qu'on va leur imposer.

Les promoteurs vont en quelque sorte déterminer votre stratégie...

On veut pouvoir adapter nos prescriptions pour obtenir de la qualité mais aussi pour avoir des projets qui se réalisent. Car on peut aussi partir du principe qu'on sera les plus vertueux sur à peu près tous les sujets sauf que, si en faisant ces prescriptions, on aboutit à aucun projet concret, j'estime qu'on n'aura pas rempli notre mission. Tout ça est un jeu d'équilibre parfois subtil !

15 % du parc de logements livré

Sur les 20.000 nouveaux logements estimés, la majeure partie est en cours de construction. Avec les 1.640 habitations déjà terminées sur la ZAC Saint-Jean-Belcier et près de 1.300 sur le secteur Garonne Eiffel rive droite, environ 15 % du parc immobilier total a été livré.

En France, le secteur du bâtiment, entre la construction et la consommation énergétique des ménages, représente 23% des émission de gaz à effet de serre. Quelles sont vos nouvelles pistes pour diminuer cette dette environnementale ?

On travaille actuellement à un premier bilan carbone, avec la perspective justement d'être attentifs à l'impact carbone de l'opération.

Pourquoi l'établissement Bordeaux Euratlantique ne dispose-t-il d'aucun bilan carbone ?

Car la méthodologie du bilan carbone est très récente et provient des derniers rapports du Giec, avec une attention particulière des aménageurs publics de pouvoir se confronter à cette méthode pour avoir une vraie aide à la décision. Mais même si on ne le mesurait pas, on avait une anticipation du coût carbone de la construction en décarbonant l'acte de construire via l'utilisation du bois pour le quartier Armagnac par exemple.

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Néanmoins le béton classique demeure la règle pour la majorité des procédés de construction. Qu'en sera-t-il du côté de Bègles, où se trouve la dernière ZAC (Zone d'aménagement concerté) que votre projet va investir ?

On va pousser à la décarbonation sinon on ne sera pas au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050.

Mais quels sont les autres leviers que le bois pour y parvenir ?

Il y a tous les matériaux bio-sourcés/géo-sourcés : la paille, le chanvre, tous les matériaux isolants qui ne sont pas issus des classiques laines de verre, la terre crue aussi. On s'attache à ce que ce soient des procédés accessibles localement. Si on doit importer le bois de très loin, le bilan carbone devient défavorable.

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Sachant que vous êtes tenus par l'objectif national de Zéro artificialisation nette d'ici 2050, comment envisagez-vous le sujet de l'emprise foncière sur les sols ?

On est sur un périmètre qui est déjà entièrement artificialisé ! À aucun moment on impacte un territoire naturel que l'on viendrait artificialiser. Notre travail consiste plutôt à proposer une alternative crédible à l'étalement urbain. En densifiant à proximité des points de transports, on fait de l'économie et de la sobriété foncière. On doit être un atout pour ce territoire et on doit permettre à d'autres communes de pouvoir artificialiser puisque qu'Euratlantique va venir compenser l'artificialisation faite ailleurs.

De la fenêtre de votre bureau, on voit les réalisations déjà effectives d'Euratlantique du côté de Belcier, mais aussi les travaux du quartier Belvédère rive droite. Et dans l'angle, Floirac et Bègles, un secteur vers lequel votre regard est déjà tourné ?

Oui, du côté de Bègles, on a une ZAC avec trois morceaux où on travaille : un secteur habité avec un quartier existant, qui a déjà été consulté et continue à être associé au projet global, un secteur industriel avec la papeterie, les concessionnaires automobiles et les acteurs logistiques, puis une estacade autoroutière qui constitue l'entrée sud de Bordeaux. C'est un ouvrage d'art qu'on va vouloir réinvestir pour pouvoir donner accès à la Garonne aux habitants de Bègles afin qu'ils puissent profiter des mêmes aménités que les Bordelais.

À Floirac, de proche en proche, on va aborder le secteur de la Souys, travailler à créer le parc Eiffel de 14 hectares. Le parc devra sécuriser le projet de la Souys et ses habitants en absorbant les effets des crues de la Garonne. Une fois n'est pas coutume, on va livrer un espace public majeur avant le projet urbain.

Bientôt des quais piétons à Bègles

Une ouverture piétonne sur les quais de Bègles sera bientôt à l'étude. « Il faut imaginer qu'on va prolonger les berges vers le Sud avec cet aspect beaucoup plus apaisé, des circulations douces et une voie réservée au Réseau express vélo. On verra jusqu'où on descend mais l'idée est que ce soit le quartier habité qui profite de la Garonne », déroule-t-elle. Le réaménagement se fait en lien avec le futur pont Simon Veil qui fera, mi-2024, la jonction entre les deux rives d'Euratlantique.

Alors que êtes déjà mobilisée sur le futur du projet, la contestation des habitants sur les espaces en cours de livraison ne faiblit pas du côté d'Amédée Saint-Germain. Ils souhaitent que la superficie du parc soit portée à deux hectares, est-ce impossible pour l'aménageur ?

On a déjà répondu à cette question ! On est sur un parc de 1,2 hectare que l'on met en œuvre car c'est cela qui a été validé en conseil d'administration. Au-delà de cette surface, on sort des équilibres économiques du projet. Alors, à moins que l'on ait des recettes complémentaires, on ne peut pas sortir de cette équation aujourd'hui. On a échangé régulièrement avec le collectif sur le sujet.

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Depuis le lancement d'Euratlantique au début des années 2010, de nombreuses crises se sont réveillées à travers le pays, qu'elles soient liées au Covid, au climat, au logement ou plus récemment à l'inflation. Comment, avec ces événements qui changent les attentes, parvient-on à proposer une ville désirable à partir d'un projet né avant les crises ?

On le fait de la manière la plus consensuelle possible. On est un opérateur du territoire, on n'est donc pas en train de mener un projet hors-sol. On va inviter les élus à se projeter ensemble sur cette échéance de 2030, qui sera probablement un peu plus lointaine compte tenu justement de cette période Covid où on a perdu du temps. L'enjeu c'est que tout le monde soit d'accord et converge sur la mission et la manière dont on doit y parvenir.

C'est très rarement le cas...

Les moyens doivent correspondre au degré d'ambition que l'on souhaite. On peut se parler assez longtemps de grands principes et d'une vision assez idéalisée de la ville. À un moment, il faut aussi que l'on regarde dans quelle situation on se trouve aujourd'hui et si on est dans une trajectoire qui nous amène à une ville désirable où les habitants et usagers de la ville se sentent bien et accèdent, quel que soit leur niveau de revenu, à la culture et aux services. De là à ce que l'on s'adresse aux acteurs de manière universelle et qu'on ait le modèle pur et parfait, je ne le prétendrai pas. Mais ce que l'on vérifie, c'est qu'on s'inscrive dans une trajectoire qui nous en rapproche plutôt qu'elle nous en éloigne.

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