Estuaire de la Gironde : entre vin et nucléaire, l'épineuse diversification économique (2/4)

CARTE. Deux rives pour deux économies spécialisées qui dominent l'activité locale. D’un côté, le Médoc et ses grands vignobles, de l’autre la centrale nucléaire du Blayais. Deux territoires où la spécialisation est à la fois une force et une faiblesse, alors qu’ils ne parviennent pas à attirer les entreprises en bord d’Estuaire sur fond de couloir de la pauvreté.
Maxime Giraudeau
La centrale nucléaire du blayais, mise en service à partir de 1981, doit désormais anticiper des centaines de recrutements.
La centrale nucléaire du blayais, mise en service à partir de 1981, doit désormais anticiper des centaines de recrutements. (Crédits : DR)

Le long de l'Estuaire de la Gironde, deux territoires phares de l'économie régionale. A l'ouest, les prestigieux vignobles du Médoc, qui font rayonner à l'international les vins de Bordeaux, toisent l'une des seules centrales nucléaires au monde construite sur la rive d'un estuaire. Viticulture et atome génèrent chacun 6.000 emplois de part et d'autre de cette frontière aquatique. Une vraie force pour les territoires médocain et blayais où les bassins d'emplois abritent une flopée de compétences dans ces domaines de spécialisation. Mais cette domination peut aussi procurer quelques sueurs froides.

A l'heure d'une crise majeure dans le Bordelais, avec l'arrachage d'un dixième du vignoble contraint par la chute des ventes, la prégnance de la vigne paraît dépassée. Et avec les bouleversements climatiques qui entraînent la montée du niveau des eaux, l'avenir de la centrale nucléaire du Blayais est soumis a minima à de grandes adaptations. Ou comment les totems économiques de ces territoires pourraient les faire basculer vers la dépression. Une projection certes pessimiste mais sur laquelle il faut bien anticiper.

Lire aussiLe climat submerge les activités industrielles de l'estuaire de la Gironde (1/3)

carte estuaire

Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

Sébastien Bonzi, lui, ne se voile pas la face. « Le premier besoin que l'on a, c'est la diversification de notre économie », engage-t-il tout net face à la citadelle de Blaye classée à l'Unesco. Ce chargé de mission envoyé par la région Nouvelle-Aquitaine travaille au rebond industriel et économique de la Haute-Gironde, sur la rive droite sud de l'Estuaire. Il est arrivé ici en 2021 quand le destin de deux des quatre réacteurs nucléaires se résumait à un démantèlement d'ici une poignée d'années.

Contraints de travailler sur la Métropole

Mais depuis le discours de Belfort prononcé le 10 février 2022 par le président de la République - version second quinquennat - le fonctionnaire régional se porte beaucoup mieux. La durée de vie de la centrale estuarienne va être prolongée, grâce à un grand carénage étalé sur dix ans et étendu aux quatre réacteurs. Et elle prétend même à accueillir les futurs EPR voulus par Emmanuel Macron. Prêt à relever le défi ? « Le gros enjeu pour EDF c'est d'être capable d'avoir des sous-traitants de tous rangs et de pouvoir piloter des réacteurs sous des conditions contraintes de recrutement », prévient-il. Même sur un bassin d'emploi spécialisé, recruter n'a rien d'inné. Les employeurs du nucléaire et des autres domaines  du territoire - BTP et logistique notamment à travers un tissu de PME - ont déjà du mal à attirer.

Lire aussiComment la centrale nucléaire du Blayais doit sécuriser ses emplois pour assurer son avenir

« La problématique du logement est certainement le principal frein. On a peu de logements en location et souvent ils sont occupés par des intérimaires d'EDF. Ça vient biaiser la situation immobilière du territoire qui est déjà tendue. »

Sébastien Bonzi

Avec 60.000 actifs, la Haute-Gironde est pourtant un territoire riche en ressources humaines mais la moitié de cette population travaille sur la métropole bordelaise, faute de dynamisme entrepreneurial au nord du département. Heureuse nouvelle, l'entreprise Flying Whales a jeté son dévolu sur le territoire pour y implanter sa future usine de dirigeables à partir de 2025, avec 300 emplois à la clé. En 2022, deux usines se sont implantées en Haute-Gironde, celle de Symbiose dédiée à la plastronique et celle de Madic pour les bornes de recharge électriques. Mais dans tous ces cas, la présence de l'estuaire ne constitue pas un facteur déterminant.

Lire aussiUn montage public très avantageux pour l'usine de dirigeables de Flying Whales à Laruscade (1/3)

Après l'A380, les paquebots

« Aujourd'hui, la présence de l'Estuaire n'est pas un critère de choix pour les entreprises. Mais pour nous c'est vraiment un élément démarquant, on aimerait que ce soit plus connu et que ça devienne un argument », insiste-t-il. Pour appuyer cette promotion, la région va ouvrir en 2025 un campus des métiers axé sur le travail en environnement sensible dans le secteur du nucléaire et de la chimie. Pour l'instant, les formations sont encore dispensées sur la métropole bordelaise. On parle aussi de la réouverture de la ligne ferroviaire entre Blaye et Saint-Mariens pour relier Bordeaux, sur laquelle aucun voyageur n'a été transporté depuis 1938. Transport, logement et main d'œuvre : le territoire est à la recherche de ce trio gagnant pour retrouver un souffle.

Lire aussiRER métropolitain : après les annonces de Macron, Bordeaux attend les financements

Côté Médoc, les élus misent sur un autre pilier pour doper leur économie : le tourisme, dans une logique de régulation des flux côtiers vers l'intérieur. Et, évidemment, en favorisant l'accès aux grands domaines viticoles. C'est ainsi que les quais de Pauillac réaménagés, qui servaient auparavant au transport de l'A380, vont accueillir à partir de 2024 les paquebots de croisière qui font pour l'instant seulement escale dans le Port de la Lune. Une économie industrielle qui recule au bénéfice d'une économie de services donc. L'entreprise Epsilon Composite, fabricant de pièces composites notamment pour l'aéronautique, est l'un des derniers représentants industriels du territoire.

Influence du pouvoir viticole

Le Parc naturel régional du Médoc a quant à lui lancé en mai dernier une nouvelle application pour regrouper l'ensemble des commodités et manifestations touristiques proposées dans les 52 communes. Un nouvel outil qui fait la part belle au vignoble dans un moment où il en a bien besoin. Entre la chute des ventes, la mauvaise récolte 2023 qui s'annonce à cause du mildiou et les pénuries récurrentes de main d'œuvre, l'appellation doit capitaliser sur son image. Sans pour autant renier sa toute puissance.

Vignobles Médoc

Le vignoble du Médoc s'étend sur 5.000 hectares. (crédits : Agence APPA)

Car si la presqu'île a connu si peu de développement, c'est aussi parce que le pouvoir d'influence des châteaux est conséquent et s'est régulièrement montré hostile aux grands projets. Les terres du Médoc sur les rives estuariennes sont la chasse gardée des domaines et écrasent le rapport de force face aux velléités de diversification économique. L'aménageur d'énergies renouvelables Valorem en sait quelque chose : il a butté une nouvelle fois cette année à convaincre habitants et garants du débat public de la pertinence d'un parc de 12 éoliennes sur la commune de Lesparre-Médoc.

Des blocages d'autant plus marquants qu'ils s'expriment au milieu du « couloir de la pauvreté ». Cette construction socio-démographique qui fait apparaître, du Médoc au Lot-et-Garonne en passant par le blayais, des formes de précarité persistantes et un vote RN ascendant qui s'est manifesté aux dernières élections législatives. Une spirale qui ne pourra être enrayée sans un renouveau économique encore illusoire.

////////////////////////

Cet article est le premier volet de la série en quatre épisodes sur le destin économique et environnemental de l'estuaire de la Gironde, le plus vaste d'Europe.

1. Le climat submerge les activités industrielles de l'estuaire de la Gironde

2. Entre vin et nucléaire, l'épineuse diversification économique

3. Un tourisme devenu handicapant pour la côte charentaise ?

4. « Il n'y a pas une mais plusieurs identités estuariennes »

Maxime Giraudeau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.