
« Avec la construction de l'EPR de Flamanville, la filière nucléaire a pris conscience d'une déperdition de compétences. Ça faisait tellement longtemps qu'on n'avait pas construit de centrale en France qu'on a perdu un certain nombre de savoir-faire. » C'est le constat pragmatique et sévère posé par Charlotte Maes, la directrice de la centrale du Blayais, arrivée en septembre 2022. En y ajoutant « la course aux talents dans le secteur de l'industrie » le site nucléaire girondin se trouve face à une vraie problématique, si ce n'est une inquiétude, pour recruter.
Alors qu'EDF prévoit des centaines d'ouvertures de poste sur la rive droite de l'estuaire de la Gironde dans les prochaines années, le secteur industriel accuse encore un déficit d'image. Les chantiers, déjà à l'œuvre et futurs, sont d'envergure majeure. La révision générale des quatre réacteurs du Blayais, entreprise dans le cadre du grand carénage débuté en 2020, doit s'étendre jusqu'en 2029 et peut-être même au-delà. Rien que pour ce chantier décennal, 900 emplois doivent être créés. Les deux tiers seront à pourvoir dans les années à venir.
Pour assurer le fonctionnement opérationnel du site, l'énergéticien va recruter 70 personnes en 2023 sur des postes dédiés au pilotage du réacteur, à la maintenance, chaudronnerie, robinetterie ou encore à la logistique. Les entreprises sous-traitantes de la centrale, qui emploient 700 salariés sur des postes peu qualifiés de maintenance ou de logistique, cherchent également à recruter. « On ne va pas juste attendre que les gens toquent à la porte, on a besoin d'être proactifs », mobilise Charlotte Maes. Signe que le secteur énergétique est en tension, une semaine des métiers du nucléaire est organisée du 6 au 10 mars dans tout le pays, pour faire valoir l'intérêt d'une filière en mal d'image et pourtant pleine d'opportunités.
Premier acteur industriel en Nord Gironde Au total, la centrale du Blayais génère plus de 2.000 emplois directs, dont les deux tiers dans les rangs d'EDF, le reste dépendant des sous-traitants comme Onet ou Seris. Le site abrite une centaine de métiers différents, pour des personnes diplômées du CAP au Bac+5. Dans une note publiée fin 2022, l'Insee précisait que plus de 9.400 personnes, en comptant les familles des salariés, dépendent directement ou indirectement des revenus issus de l'activité des réacteurs.
Compétition silencieuse
Des conseillers Pôle emploi du territoire girondin étaient présents cette semaine sur le site de la centrale pour comprendre quels sont les besoins de main d'œuvre. Et voir comment ils peuvent entrer en adéquation avec leurs demandeurs d'emploi. Le plus gros site énergétique de Nouvelle-Aquitaine, qui produit deux tiers des besoins de la région, peine à fidéliser ses salariés et diversifier ses profils. L'an dernier, seuls 20 % des nouvelles personnes recrutées étaient des femmes. Par ailleurs, 40 % des embauches ont été réalisées suite à des contrats en alternance. Au titre de la formation, EDF s'appuie sur les structures locales comme le campus dédié à la maintenance en environnement sensible de Blaye.
Du reste, il est difficile d'attirer les compétences sur un territoire nord-girondin moins attractif que la métropole bordelaise. « Il y a cet enjeu d'emploi du conjoint qui joue beaucoup, certaines personnes vont s'implanter un peu plus près de Bordeaux pour concilier les deux emplois. Mais ce n'est pas le site le moins attractif », rétorque la directrice, passée par la centrale de Cattenom en Moselle. Une conviction aussi partagée par les élus du territoire mobilisés au sein d'un comité de suivi de la candidature (officieuse) du site du Blayais pour accueillir l'EPR 2.
Si les deux premiers réacteurs de nouvelle génération seront construits à Penly en Normandie, la totalité des sites retenus ne devrait pas être connue avant 2026. Mais déjà une compétition interne et silencieuse est à l'œuvre entre la vingtaine de fiefs nucléaires français. Chacun doit prouver ses capacités à attirer les ressources humaines nécessaires au renouveau de l'atome tricolore. A ce titre, la centrale du Blayais peine à fidéliser une partie de ses salariés.
« Densifier le tissu industriel local »
« Il y a un marché très actif de l'emploi interne à EDF, on a un gros appel d'air du nouveau nucléaire : ces personnes qui ont exploité des centrales et qui, demain, vont participer à l'aventure de la construction des EPR. On a des salariés qui partent sur ces projets mais c'est pour la bonne cause. On sait très bien que certaines personnes nous quittent aussi pour aller dans l'industrie », avoue Charlotte Maes.
L'aventure des EPR ne figure pas dans les priorités des responsables de la centrale, mais sa directrice reconnaît que la perspective est compatible avec le site du Blayais à bien des égards. D'autant que la nouvelle génération de réacteurs pourra être opérée par l'actuelle génération de travailleurs. « L'EPR est un réacteur à eau pressurisée, c'est donc le même process que nos réacteurs. L'idée c'est d'avoir une continuité d'activité sur le site, surtout que nous avons une grosse capacité de formation interne » fait-elle valoir. Rien qui ne démarque pour autant le site girondin par rapports aux autres.
« A côté, on fait tout pour densifier le tissu industriel local et faire en sorte qu'il y ait un écosystème propice au développement nucléaire », relève Jean-Pascal Riché, responsable de l'ancrage territorial de la centrale. Même avec la constitution du cluster E-clide en 2016, le noyau atomique nord girondin peine à se former. Ce groupement d'entreprises et startups qui vise à agréger des acteurs de l'innovation nucléaire à Saint-Aubin-de-Blaye est à la recherche de son ou sa nouvelle directrice de projet. Dans le même temps, des entreprises viennent aussi s'installer sur le territoire comme Flying Whales et ses dirigeables à Laruscade ou Symbiose à Pugnac dans la filière plastronique.
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