Estuaire de la Gironde : un tourisme devenu handicapant pour la côte charentaise ? (3/4)

Autour de Royan, la côte charentaise de l'estuaire de la Gironde bénéficie d'un tel dynamisme touristique qu'il freine le développement d'autres activités. Le foncier manque et la ressource en eau est sous pression. Si l'agglomération continue à miser sur le tourisme, les aléas environnementaux pourraient faire changer le courant.
Maxime Giraudeau
Les touristes se rendent sur la côte royanaise grâce au ferry au départ du Verdon-sur-Mer, sur la rive droite de l'estuaire de la Gironde.
Les touristes se rendent sur la côte royanaise grâce au ferry au départ du Verdon-sur-Mer, sur la rive droite de l'estuaire de la Gironde. (Crédits : MG / La Tribune)

Peut-on faire plus balnéaire que Royan ? La ville a bâtit tout son développement depuis le 19e siècle sur les bienfaits des bains de mer avant de devenir le paradis de l'architecture littorale suite aux bombardements de 1945. Ici, sur la rive droite de l'estuaire de la Gironde, le touriste est roi. Sur la trentaine de communes du pays royanais, il y a 40 plages pour 60 médecins généralistes. Et dans la politique de l'agglomération, un grain de sable : le tourisme a littéralement pris toute la place.

« Pour nous, le plafond du ZAN [Zéro artificialisation nette, ndlr] est déjà atteint ! Nos capacités d'extension sont quasiment nulles, on a peu de réserves à disposition. Nos capacités de développement sont très réduites par rapport à nos besoins. » Constat net et implacable dressé par Vincent Barraud, le président de la Communauté d'agglomération Royan Atlantique (Cara). Bienvenu dans une « quasi mono-économie » qui ne laisse rien aux autres, où les élus se cassent les dents à maintenir et développer les services essentiels pour les 80.000 habitants à l'année. Tâche pour le moins complexe quand on sait que 44 % des logements sont des résidences secondaires.

Avec ses criques, ses longues baies et falaises calcaires, la côte charentaise est un véritable balcon surplombant le plus grand estuaire d'Europe. Sur une vingtaine de kilomètres, entre Saint-Georges-de-Didonne et Saint-Palais-sur-Mer, le trait de côte est totalement urbanisé sans discontinuité. Avec une prouesse : l'agglomération abrite autant de logements que d'habitants à l'année. En été, il faut gérer les flux de masse, le reste du temps, il faut les attirer. Pour élargir la palette de l'économie locale, les élus veulent des solutions radicales.

estuaire royan littoral

A Royan, les immeubles à flanc de falaise. (crédits : MG / La Tribune)

Baisser le pavillon bleu

« On cherche à voir comment recréer du foncier disponible sur de l'existant. Et on regarde ce qui se fait ailleurs : certaines agglomérations en difficulté n'acceptent plus les activités seulement orientées vers les services car elles veulent des activités productives », remarque Sylvie Legros, directrice du développement économique de la Cara. Il y a cinq ans, une entreprise d'outillage qui souhaitait créer plusieurs dizaines d'emplois a renoncé à s'implanter autour de Royan face au manque de terrains et de logements disponibles. Au-delà d'un tissu de 10.000 entreprises, dont 70 % emploient moins de deux salariés et majoritairement orientées vers le tourisme, le développement du territoire est totalement bridé.

Un littoral qui a la cote

En 2022, l'agglomération de Royan a recensé 5,5 millions de nuitées touristiques, soit une hausse de +7 % par rapport à l'année précédente, qui avait déjà constitué un record. Cette concentration est due au nombre important de logements, à tel point que la côte royanaise est devenue le « dortoir touristique du 17 », comme le qualifie le président de l'agglomération. Le secteur génère plus de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires chaque année.

Lire aussiLe climat submerge les activités industrielles de l'estuaire de la Gironde (1/4)

L'intensité de l'activité balnéaire ne va pas non plus sans générer des pressions importantes sur l'environnement. Dans des communes depuis longtemps touristiques, les réseaux de circulation et de traitement des eaux sont devenus sous-dimensionnés au regard des flux estivaux. « Le vice-président de la Cara avait reconnu sous la précédente mandature que le réseau était vétuste et qu'il y avait un plan sur une dizaine d'années pour le renouveler », affirme Maryse Sinsout, présidente d'honneur de l'association Estuaire pour tous, qui défend un développement compatible avec la préservation de l'environnement.

« C'est la perte des pavillons bleus qui a sensibilisé les élus. Ça a porté un coup à l'image de ces stations balnéaires », ajoute-t-elle. En 2021, toutes les plages - sauf une - de la côte royanaise flanquées du drapeau bleu ont dû baisser pavillon en raison de la dégradation des eaux de baignade. Et pourtant, la fréquentation, dopée par la sortie de crise sanitaire, a alors connu un plus haut historique. Stations d'épurations vétustes mais aussi eaux de ruissellement issues des pluies ont été mises en causes. De quoi dégrader les flots de l'estuaire, qui jouit malgré tout de l'image d'un milieu préservé alors qu'il abrite une pollution dormante.

L'eau des touristes et l'eau des agriculteurs

Dans les vases sous-marines se cachent d'importantes concentrations de cadmium, issu des activités métallurgiques en Aveyron définitivement arrêtées en 1987 suite à un accident et une pollution du fleuve. Plusieurs tonnes du métal ont été déversées chaque année et une partie dort encore dans le lit de l'estuaire. Cette contamination empêche par exemple le ramassage et la culture de coquillages sur les rives.«  La pollution a baissé récemment mais elle est restée piégée dans les sédiments », s'inquiète Michel Vignau, président de l'association naturaliste du Conservatoire de l'estuaire. Le cadmium constitue une menace latente pour les activités touristiques du littoral car, s'il est un jour libéré, il pourrait causer la fermeture de nombreuses plages.

Sur terre, la pression sur l'eau fait quant à elle apparaître des conflits d'usage. « Sur le bassin de la Seudre, la forte pression autour de la ressource en eau est liée à l'urbanisation et aux prélèvements agricoles », confirme Jean-Luc Trouvat, directeur du Syndicat mixte pour le développement durable de l'estuaire de la Gironde (Smiddest). Mais pour l'agglomération, pas question d'envisager une décroissance du tourisme. « Ce n'est pas un débat qu'on a. Il faut que l'on garantisse de l'eau aux touristes », maintient Vincent Barraud. Un projet de station de réutilisation des eaux usées traitées est donc envisagé plus à l'intérieur des terres pour alimenter les besoins agricoles, mais aussi les golfs, et soulager les nappes.

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Des mesures encore insuffisantes face au défi climatique qui menace le littoral. Sur les treize communes côtières de l'agglomération, quatre sont classées sur la liste gouvernementale des communes françaises particulièrement soumises à l'érosion. A l'instar de la ville de Lacanau, devenue célèbre pour envisager un repli stratégique de ses installations dans les terres, les cités balnéaires du pays royanais sont en sursis. L'estuaire de la Gironde a toujours été un milieu mouvant et l'urbanisation littorale pourrait finir par payer de l'avoir trop oublié.

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Cet article est le premier volet de la série en quatre épisodes sur le destin économique et environnemental de l'estuaire de la Gironde, le plus vaste d'Europe.

1. Le climat submerge les activités industrielles de l'estuaire de la Gironde

2. Entre vin et nucléaire, l'épineuse diversification économique

3. Un tourisme devenu handicapant pour la côte charentaise ?

4. « Il n'y a pas une mais plusieurs identités estuariennes »

Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 18/09/2023 à 8:40
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Surtout que le réchauffement climatique devrait faire basculer les touristes de la côte d'azur qui se dessèche totalement devenant trop chaude l'été vers le littoral atlantique bien mieux tempéré. Le tourisme de masse est d'abord et avant tout un dés...

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