Erosion côtière : « Il faut entretenir la culture du risque pour pouvoir s'y préparer » (1/3)

INTERVIEW. Dans les criques charentaises ou le long des plages aquitaines, scientifiques et élus n'ont pas attendu les récents décrets gouvernementaux pour se préoccuper de l'érosion côtière, un phénomène naturel désormais accentué par le changement climatique. La Tribune revient cette semaine en trois articles sur cette problématique qui, des falaises de la corniche basque aux rives de l'île de Ré, illustre l'imbrication des impacts de court terme et des solutions de long terme. Premier volet de cette série : un entretien avec Cyril Mallet, ingénieur risques côtiers pour l’Observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine et le BRGM, sur l'état des connaissances et les stratégies à venir.
(Crédits : REGIS DUVIGNAU)

C'est l'histoire d'une liste encore floue dédiée à un risque majeur. Le 29 avril dernier, le gouvernement a publié par décret une liste de 126 communes françaises particulièrement soumises au phénomène d'érosion côtière, en Métropole et en Outre-mer. Ces villes littorales vont devoir en priorité procéder à des aménagements permettant de lutter contre le grignotage de la terre par l'océan et la mer. Mais ce classement ne dit pas si la compétence jusqu'ici laissée aux municipalités, passe dans le giron de l'état ni ne précise si un cadre de financement est prévu. Les villes avaient la possibilité de demander à rejoindre ou, à l'opposé, d'être exclue de cette liste, dressée dans sa première mouture sur proposition du gouvernement. Au final, seules 10 % des communes littorales de France en font partie alors que le phénomène d'érosion est global.

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Mais il y a bien des urgences localisées et en Nouvelle-Aquitaine, deuxième région la plus représentée avec 31 communes dans la liste derrière la Bretagne, certains décideurs l'ont compris depuis longtemps. L'Observatoire de la côte aquitaine, organisme scientifique créé en 1996, documente les aléas d'érosion et de submersion pour orienter les stratégies à adopter face aux risques qui pèsent sur le littoral. Une quinzaine de personnes planchent sur l'avenir des côtes du Sud-Ouest en lien avec le GIP Littoral et les centres scientifiques régionaux. Sur 350 kilomètres de côtes, les activités touristiques, économiques et l'urbanisme vont devoir être repensées drastiquement alors que le changement climatique s'accélère. Entretien avec Cyril Mallet, ingénieur risques côtiers pour l'Observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine et le BRGM

LA TRIBUNE - La Nouvelle-Aquitaine figure 2e au rang des régions concernées dans la liste des communes particulièrement soumises à l'érosion côtière publiée par le gouvernement. Est-ce une alerte ?

Cyril MALLET - La Nouvelle-Aquitaine est particulièrement concernée par l'érosion côtière, aussi bien sur la Charente-Maritime, la Gironde, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, mais pour différentes raisons. A travers la loi climat et résilience [du 21 août 2021], la connaissance des risques côtiers liés à l'érosion est désormais un élément que toutes les communes doivent prendre en compte dans leur politique de gestion de l'aménagement, qu'elles soient concernées ou pas par un plan de prévention des risques littoraux [dont toutes les communes de Charente-Maritime et Gironde sont dotées, et une minorité dans les Landes et Pyrénées-Atlantiques, ndlr]. En Nouvelle-Aquitaine, la connaissance autour de l'aléa érosion côtière est acquise depuis très longtemps : nous travaillons avec l'Observatoire de la côté aquitaine depuis 25 ans. Et le GIP Littoral a mis en place une stratégie régionale de gestion de la bande côtière dès 2012. Aujourd'hui, huit collectivités travaillent sur des stratégies locales, comme la communauté d'agglomération Pays basque par exemple. Les communes ont donc pris en compte ce risque depuis de nombreuses années.

littoral charente-maritime pointe de suzac

Le littoral charentais, sur les zones urbanisées et ses falaises comme ici à la pointe de Suzac, constitue un observatoire privilégié de l'érosion dans la région. (Crédits : Loïc Balix)

Avec l'Observatoire de la côte aquitaine, vous venez de dresser une cartographie de l'aléa érosion côtière en 2050 pour la Charente-Maritime. A l'échelon régional, quel est l'état du littoral et à quoi faut-il s'attendre ?

En Nouvelle-Aquitaine, l'érosion est due à une combinaison de facteurs. Ce sont d'abord des agents naturels comme l'augmentation du niveau marin, la diminution des stocks sédimentaires et l'action des agents dynamiques, les vagues et les marées, qui vont influer. Le trait de côte, en moyenne sur plusieurs décennies, entre le Gironde et les Landes, il peut reculer d'un à trois mètres par an. Certaines années il peut atteindre plusieurs dizaines de mètres, c'est ce qui est arrivé en 2013. Sur une côte meuble, le trait de côte a la capacité de se reconstruire de manière naturelle, avec le mouvement du sable ou grâce à des moyens de gestion déployés par l'Homme. Sur une falaise rocheuse, le trait va reculer systématiquement puisqu'il ne peut pas se reconstruire. Au Pays basque, on parle d'un recul de l'ordre de 25 centimètres par an sur les 40 dernières années.

Pour recontextualiser, l'érosion est bien un phénomène naturel observé depuis toujours mais qui se retrouve accentué par le changement climatique ?

Oui, il est avéré que l'Homme contribue à une accélération du changement climatique et donc une accélération de l'augmentation du niveau marin. Autre effet anthropique sur l'érosion côtière : la présence des ouvrages.

Sur ce point, est-ce à dire que l'aménagement du littoral tel qu'on le connaît aujourd'hui, avec les infrastructures balnéaires et les dispositifs de protection, est inadapté aux risques climatiques ?

On ne peut pas dire que l'urbanisation protège la côte. De manière inexorable, le niveau marin va monter et il y aura de moins en moins de sédiments sur les côtes. Il faut considérer que les stratégies de protection ont une durée limitée dans le temps long. Une digue peut protéger pendant 30 ans par exemple. Ces ouvrages ont un rôle bénéfique, ils vont limiter les effets de submersion et le recul du trait de côte de manière temporaire. Mais ils ont aussi des effets négatifs sur leur voisinage : ils protègent ce qu'il y a derrière eux mais accentuent l'érosion de part et d'autre.

Du côté du niveau des sédiments, on sait que le niveau des plages varie beaucoup au gré des saisons et des tempêtes. Les variations d'altitude des plages peuvent atteindre jusqu'à cinq mètres sur une année. Devant les ouvrages, on voit que les plages s'abaissent particulièrement et ils devraient être dimensionnés par rapport à ça.

Pour aller plus loin que ces solutions d'appoint, certaines villes comme Lacanau envisagent un redéploiement urbain total plus à l'intérieur des terres. Cette solution radicale, qui reviendrait à la configuration du début du 20e siècle, est-elle envisageable ?

La première solution c'est de ne rien faire. C'est possible quand il n'y a pas d'enjeu. La deuxième c'est de se protéger en menant une stratégie de lutte active. Elle peut être dure, avec des ouvrages en enrochement qui impactent fortement l'environnement, ou souple en favorisant la végétation qui ralentit l'érosion par exemple. La troisième est de réorganiser le littoral, soit par un repli soit par une réorganisation. Les biens peuvent être supprimés ou reculés.

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Est-ce parce qu'il s'agit de la solution la plus coûteuse qu'elle n'a pas encore été mise en œuvre sur une commune ?

Le repli stratégique c'est ce que préconise la loi climat et résilience. Mais c'est effectivement très coûteux et très difficile à mettre en œuvre parce que jusqu'à présent il n'y avait pas les outils réglementaires et juridiques pour le faire. La loi littorale apporte certaines contraintes : on ne peut pas toujours détruire un bâtiment et le reconstruire ailleurs. Ça n'a pas été fait à grande échelle en Nouvelle-Aquitaine mais, par contre, il y a des relocalisations qui se font localement. A titre d'exemple, la communauté de communes Médoc Atlantique, sur Soulac, a déjà déplacé des bâtiments qui menaçaient de s'effondrer. Ces expériences fonctionnent et elles sont assez peu connues.

Alors que l'attractivité des cités balnéaires ne fait qu'augmenter, les élus se montrent-ils prêts à stopper la croissance et l'urbanisation de leurs communes ?

En tant que géologue, je constate que les élus ont une connaissance beaucoup plus importante aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a quelques années et ils sont parfaitement conscients des risques. Ils savent très bien que la situation actuelle ne pourra pas continuer et qu'une adaptation doit être prise en compte. Pour réduire le risque, il faut diminuer les enjeux menacés. Les élus y sont confrontés de manière quotidienne. Si on regarde ça en tant que citoyen, on pourrait se dire que ça ne va pas assez vite. Mais c'est extrêmement compliqué de mettre en place des démarches rapides.

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Que vous enseignent les exercices de crise que vous conduisez sur la capacité des populations et des services d'intervention à réagir en cas de catastrophe naturelle ?

Nous constatons qu'une culture existe sur ces risques-là, mais elle mérite d'être améliorée pour passer véritablement à l'action. On l'a vu récemment sur Bidart, sur la côte basque, [l'une des huit communes du littoral basque, ndlr] en réalisant un exercice de crise sur un mouvement de terrain menaçant le littoral, il faut une meilleure articulation entre les services de l'état, les collectivités et les citoyens. Un des constats que l'on fait, c'est aussi qu'après une vraie crise, comme les tempêtes de l'hiver 2013-2014, il y a une mémoire qui s'oublie petit à petit. On a tendance à minimiser, quand le temps passe, les crises précédentes. Or, il faut entretenir la culture du risque pour pouvoir s'y préparer. C'est pour ça qu'avec l'Observatoire de la côte aquitaine, nous sommes là pour faire des mesures régulières. C'est indispensable pour pérenniser la connaissance auprès des collectivités.

Le milieu littoral deviendra-t-il inhospitalier pour être habité dans le futur ?

Non, je ne pense pas. Je suis de nature optimiste mais j'ai aussi la vision du géologue. De tout temps, le littoral a été un milieu très mobile, très dynamique. Malheureusement, nous l'avons un peu oublié dans notre culture actuelle. C'est un milieu extrêmement riche du point de vue de la biodiversité, de la géodiversité, qui apporte des richesses économiques. Notre pays a la capacité de s'adapter et ce n'est pas le cas effectivement pour certains territoires avec des "zones basses". Les deltas, comme au Bangladesh, abritent des zones littorales très peuplées qui sont menacées et peuvent être inhospitalières en raisons des crises climatiques.

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Cet article est le premier volet d'une série de trois épisodes sur la prise en compte du risque d'érosion littorale en Nouvelle-Aquitaine publiés du 30 août au 1er septembre dans La Tribune :

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