Un montage public très avantageux pour l'usine de dirigeables de Flying Whales à Laruscade (1/3)

Une usine de dirigeables géants va voir le jour au nord de la Gironde. L'entreprise Flying Whales, qui porte le projet, peut compter sur l'appui indéfectible des collectivités locales pour lui livrer une infrastructure clés en main. Un soutien public particulièrement confortable pour le constructeur, mais freiné par un blocage des propriétaires fonciers. À l'occasion de la concertation publique qui se tient jusqu'au 15 mars, La Tribune explore les différents enjeux posés par cette implantation industrielle hors normes. Premier volet sur ce montage public-privé ad hoc.
Deux entrepôts de 70 mètres de haut et une aire de vol doivent être construits sur un site forestier de 75 hectares, à 50 km au nord de Bordeaux
Deux entrepôts de 70 mètres de haut et une aire de vol doivent être construits sur un site forestier de 75 hectares, à 50 km au nord de Bordeaux (Crédits : Flying Whales)

Un lac, une école, une modeste zone commerciale, une gare à proximité et la Nationale 10, le tout à la frontière avec la Charente-Maritime pour une petite ville d'un peu moins de 3.000 habitants. Laruscade, cette commune du nord de Bordeaux que l'on qualifie de passagère entre deux départements. Ou, en tout cas, « un territoire qui n'est pas habitué à voir arriver un projet de cette envergure », selon les mots des élus locaux. Le projet en question est une usine de dirigeables de 75 hectares avec deux entrepôts de 70 mètres de haut sur 200 mètres de long et une aire de vol pour un total annoncé de 300 emplois directs sur 10 ans. Pas sans rappeler le mirage d'un projet logistique XXL au sud du département toujours au point mort.

C'est justement parce que la commune est vierge de tout développement industriel que l'entreprise Flying Whales, conceptrice des plus gros dirigeables au monde pour décarboner le transport de marchandises, veut y construire ses premiers ballons à l'horizon 2025. De là, doivent naître chaque année douze aéronefs de 200 mètres d'envergure capables d'emporter en vol jusqu'à 60 tonnes de charge utile. De quoi transporter des grumes de bois, pylônes, containers ou encore de l'aide humanitaire dans des zones isolées. Le site de Laruscade, choisi en 2019, présente des atouts majeurs pour la mise en route de la filière dirigeables : absence de lignes à haute tension, accès routier et ferroviaire direct, proximité avec la métropole bordelaise et son pôle aéronautique.

Flying Whales

Les applications du dirigeable sont multiples : secteur forestier, énergétique ou encore maritime. (Crédits : Flying Whales)

Mais ce qui fait encore plus l'affaire de l'entreprise est le dévouement des collectivités territoriales pour l'accueillir sur leur sol. En effet, la Communauté de communes Latitute Nord Gironde (CCLNG) et la Région Nouvelle-Aquitaine s'associent pour opérer le montage foncier du projet. La première a pour mission d'acquérir l'ensemble des parcelles du site de 75 hectares où doit être construite l'usine de dirigeables. La seconde, qui figure au capital de l'entreprise depuis ses débuts, devra assurer le portage immobilier des lots, dont Flying Whales sera ensuite locataire.

Plus qu'à poser ses valises

« Il y avait une nécessité à ce que l'on soit locataire du site car, pour être propriétaire, on aurait dû lever encore plus d'argent. Là, on se focalise vraiment sur le projet de développement aéronautique », explique Clément Barthe, manager industriel chez Flying Whales. En juillet dernier, l'entreprise, pour l'instant basée à Suresnes (Hauts-de-Seine), a levé 122 millions d'euros, dont 30 millions investis par le fonds public French Tech Souveraineté opéré par Bpifrance. « Il est bien plus sécurisant pour des investisseurs privés de voir que des acteurs publics sécurisent l'opérabilité du site », ajoute-t-il.

En l'occurrence, les collectivités n'hésitant pas à mettre la main à la poche de manière conséquente : le coût de l'opération foncière pour la Communauté de communes s'élève à 10,7 millions d'euros, soit la moitié de son budget annuel, tandis que la Région y injecte 23,5 millions d'euros. Selon les prévisions, cet investissement public doit s'avérer rentable puisque la société exploitante du site versera des loyers aux deux bailleurs publics. La Région sera par ailleurs maître d'ouvrage des études économiques et environnementales relatives au projet. Tous mettent en avant des retombées économiques pour le territoire qu'ils évaluent à environ 137 millions d'euros sur dix ans, selon un chiffrage du cabinet Protourisme.

laruscade site flying whales plan

Le plan de la future usine de dirigeables de Laruscade. Les deux entrepôts à gauche face à l'aire d'envol circulaire. (Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

En ce qui concerne l'aménagement, une société privée sera créée en vue de rassembler les investissements publics et privés captés par Flying Whales. Elle aura pour but d'édifier les bâtiments de la zone d'activités économiques dont elle sera propriétaire. En finalité, l'entreprise conceptrice, qui va par l'occasion devenir constructrice de dirigeables, n'aura qu'à poser ses valises à Laruscade. Plutôt commode.

Charmées par les promesses de développement et de réindustrialisation, les collectivités façonnent un projet clés en main sans pour autant avoir des gages de pérennité. L'implication de Flying Whales ne sera pas que locatif puisque l'entreprise devrait investir environ 90 millions d'euros dans l'appareil productif. Mais son statut de locataire présente un risque évident pour la puissance publique : que se passera-t-il si l'entreprise privée met la clef sous la porte, n'obtient pas indispensables certifications de vols ou décidé de construire ses bulbes volants ailleurs une fois ses seuils de rentabilité atteints en France ?

Un risque budgétaire de 20 millions d'euros

« On parle systématiquement d'une durée minimale de 30 ans. Le temps long justifie totalement la présence de la puissance publique », tranche Clément Barthe. « Derrière, on aura créé un marché qui n'existe pas réellement aujourd'hui et il continuera à se développer. » Mais, prudente, la Région prévoit qu'en cas de loyer impayé, elle puisse racheter les murs à la société privée et bénéficie d'indemnités de la part de l'État, équivalentes à la moitié de l'éventuel reste à charge, mais aussi de la part de Flying Whales, qui abonde un fonds dédié à hauteur de deux millions d'euros par an. Dans tous les cas de figure, « l'exposition budgétaire maximale », c'est-à-dire les éventuelles pertes liées à l'investissement, ne pourront pas dépasser les 20 millions d'euros pour le conseil régional.

Un risque financier et industriel jugé nécessaire pour sécuriser le modèle économique des dirigeables, qui seront ensuite utilisés sur des bases d'opération de marchandises localisées en Europe et dans le monde. En plus du site de Laruscade, Flying Whales veut - en comptant là-aussi sur les puissances publiques locales - deux autres usines, une au Québec et une autre en Asie. Une triple implantation pour un but : pouvoir fournir des futures bases dans trois grandes régions du monde où les dirigeables opéreront le transport de marchandises.

Difficultés foncières

Mais sur les terres nord-girondines, tout n'est pas encore réglé. La Communauté de communes doit encore acquérir 20 % des parcelles de la future zone d'activités économiques. « Il y a quelques difficultés, notamment du fait que certains propriétaires sont en indivision, d'autres sont réunis sous des sociétés donc il faut qu'ils se mettent d'accord. Ce sont plutôt des questions administratives que des refus de vendre », assure Eric Happert, président de l'intercommunalité. Un cas de spéculation d'un propriétaire qui souhaiterait vendre son terrain quinze fois le prix du marché est également évoqué.

Loin de tout régler à l'amiable, la Région et la Communauté de communes, gonflées à bloc et en l'occurrence à l'hélium, vont engager une procédure de déclaration d'utilité publique (DUP). Elle doit permettre de faire valoir la prépondérance du projet sur les plans économiques et environnementaux face aux intérêts individuels des propriétaires. Le dossier sera déposé en avril en même temps que la demande d'autorisation environnementale obligatoire. « Un premier obstacle » pour Flying Whales qui demeure tout de même confiant, alors que le site de sa future usine, encore vierge, pose déjà des questions en termes de risques incendies et de biodiversité.

Cet article est le premier volet d'une série de trois épisodes sur le projet d'usine de dirigeables de Flying Whales, à Laruscade, au nord de la Gironde, publiés du 6 au 8 mars 2023 dans La Tribune :

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