Forum Santé Innovation : comment la pandémie de Covid-19 stimule l'innovation dans la santé

La pandémie de Covid-19 était la vedette de ce 4e Forum Santé Innovation organisé par La Tribune à Bordeaux. Entre le choc initial lié à la mondialisation, l'apport des technologies numériques pour mieux protéger les patients et leurs limites chez les plus âgés, cette matinée a montré que la recherche ne désarme pas. Pas plus que les centres hospitaliers universitaires, montés rapidement en première ligne.
Sur le plateau : Géraldine Rabier, Pierre-Louis Belletante, Gaël Champier, Marie Coris et Françoise Jeanson.
Sur le plateau : Géraldine Rabier, Pierre-Louis Belletante, Gaël Champier, Marie Coris et Françoise Jeanson. (Crédits : Appa/ Eric Barrière)

L'impact de la pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet le monde de la santé, marqué au départ par l'effet de la réduction drastique du nombre de lits d'hospitalisation, et le manque de produits médicaux ou paramédicaux de première nécessité pour faire face à cette pandémie de coronavirus (masques, gel hydroalcoolique, réactifs, respirateurs...). Un sujet qui a lancé la table ronde "De la crise aux opportunités" au centre de cette 4e édition du Forum Santé Innovation, organisée par La Tribune, qui s'est tenue ce mardi 22 septembre au Palais de la  Bourse, à Bordeaux.

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Non seulement des produits manquaient mais la France, ancien leader de l'industrie pharmaceutique, ne pouvait plus les fabriquer. Le pays etait dépendant de l'étranger, en particulier de l'Inde et de la Chine pour certaines fournitures pharmaceutiques ou parapharmaceutiques, et tout le monde pouvait le voir. Le temps ne s'est pourtant pas arrêté à ce stade initial, à cette crise dans la crise, et la filière santé a réussi à faire face, appuyée par une efficace méthode féodale de contention de l'épidémie : le confinement.

 La Région reste un échelon pertinent pour relocaliser

"La crise du Covid-19 a révélé, en l'exacerbant, notre situation de dépendance vis-à-vis de pays étrangers, dans le cadre de la mondialisation. Cette dépendance s'est manifestée pendant la crise du Covid-19 lors de ruptures majeures survenues dans la chaine d'approvisionnement, en particulier en masques et réactifs pour les tests, etc. Pourtant ces ruptures ne sont pas nouvelles, elles sont devenues récurrentes depuis des années et illustrent le résultat de quarante ans de mondialisation", a recadré en substance l'économiste Marie Coris, maître de conférences en économie à l'Université de Bordeaux et membre du Groupe de recherche en économie théorique et appliquée (Gretha), laboratoire commun à l'Université de Bordeaux et au CNRS au cours du Forum.

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Forum Santé Innovation 2020 Marie Coris

Marie Coris (crédits : Agence APPA)

La chercheuse a ensuite présenté les options qui se présentent : de la relocalisation en France des activités - ce qui suppose une compensation financière directe ou indirecte des entreprises par l'Etat -, à la redéfinition de la stratégie européenne, rendue hypothétique par le manque d'harmonisation réglementaire et philosophique entre les Etats membres. Dans ce contexte Marie Coris a estimé que la Région est un échelon pertinent, entre Union européenne et l'Etat, en particulier à cause de l'effet de proximité régional et de l'importance de cette dimension dans la gestion de la crise sanitaire.

Pour fabriquer des molécules il faut des sites classés Seveso

Alors qu'une deuxième vague de contamination semble se dessiner en cette fin d'été 2020, le marché de la santé reprend ses marques. Mais les enjeux son complexes et la relocalisation de la production de médicaments, qui relève de la chimie, ne coule pas de source.

"La fabrication de molécules, sur laquelle repose l'industrie pharmaceutique, c'est de la chimie lourde, qui exige la création de sites classés Seveso. Mais qui voudrait d'un site Seveso près de chez lui ?", a ainsi questionné Françoise Jeanson, médecin coordinateur Ehpad, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine déléguée à la santé et à la silver économie.

Forum Santé Innovation 2020 Françoise Jeanson

Françoise Jeanson (crédits : Agence APPA)

La praticienne est revenue sur les écarts de prix existant dans le monde pour les médicaments.

"Prenez la situation du laboratoire Upsa à Agen, ça fait des années que le prix de leurs médicaments baisse, baisse, baisse", a souligné l'élue en guise d'illustration des écarts de compétitivité entre pays.

Les tablettes numériques ne feront jamais de miracle

Revenant sur l'intervention de Nicolas Babin (MirambeauAppCare), en ouverture du Forum, qui a mis en avant l'énorme potentiel de communication de la technologie 5G et de ses applications dans la santé, Françoise Jeanson s'est livrée à un recadrage sans fioriture.

"Quand j'écoutais Nicolas Babin, je rêvais que je rêvais. Concernant les téléconsultations pendant le confinement j'ai envie de rappeler que les matériels ne sont pas compatibles et qu'il faut aussi former les médecins à ces technologies, car beaucoup ne savent pas se connecter ! Sans compter que la 5G c'est très beau, mais qu'il ne faudrait pas oublier que la fibre optique n'est pas encore déployée dans tout le département, où on fonctionne encore à la 3 ou à la 4G. C'est le type d'écart entre réalité et innovation que l'on constate en Ehpad", a déroulé Françoise Jeanson.

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Elle a ensuite poursuivi dans le détail, pour souligner qu'une personne de 95 ans atteinte de la maladie de Parkinson, comme il en existe dans les Ehpad, ne peut pas se servir seule d'une tablette numérique pour communiquer avec sa famille. Comme il y a de nombreuses personnes âgées dépendantes, il faut beaucoup d'accompagnants pour les aider. Une donnée humaine incompressible.

Des solutions numériques pour aider à suivre les patients

"Betterise Healthcare travaille beaucoup avec le CHU de Bordeaux. Avec du télé-suivi dans les maladies chroniques, qui nécessitent énormément d'e-santé, en appui des soignants, car les patients ont vite fait de se retrouver en déshérence. En e-santé nous fabriquons un grand nombre de dispositifs médicaux numériques d'accompagnement à distance, avec par exemple des solutions qui permettent de détecter les rechutes, les complications, les toxicités thérapeutiques", a expliqué Paul-Louis Belletante, président et cofondateur de l'entreprise fondée en 2013 à Biarritz.

Forum Santé Innovation 2020 Paul Louis Belletante

Paul-Louis Belletante (crédits : Agence APPA)

Ce dernier a complété en indiquant que Betterise intervient aussi en formation thérapeutique. Avec le choc du Covid-19, et pour éviter de laisser les patients à l'abandon, la startup a développé la téléconsultation dans des proportions inédites. Comme le souligne Pierre-Louis Belletante, la crise du Covid-19 a été une formidable occasion de développement, avec aussi des effets pervers du type "Far West" : des tas d'opportunistes peu scrupuleux ayant essayé de profiter de l'occasion sans être préparés pour.

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Un gros travail sur paillasse pour coincer le virus

A la suite de l'appel à projet lancé par la DGA (Direction générale à l'armement) dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, la société B Cell Design, à Limoges, travaille sur la mise au point d'un test sérologique innovant permettant d'améliorer l'interprétation des résultats, grâce à une solution durable. Ce premier volet est complété par un second encore plus stupéfiant puisqu'il va permettre de dire à quelle partie du virus correspond l'apparition de tel anticorps !

"Nous ne sommes pas en e-santé, nous travaillons sur la paillasse, pas avec une intelligence artificielle. Nous avons développé des tests d'anticorps pour plusieurs maladies infectieuses, comme la dengue. Nous voulons aller plus loin avec les tests sérologiques. Nous voulons pouvoir identifier quelle partie du virus correspond à tel anticorps. Et voir si le virus est encore actif face aux anticorps" éclaire Gaël Champier, directeur général de B Cell Design.

Forum Santé Innovation 2020 Gaël Champier

Gaël Champier (crédits : Agence APPA)

Coalition innovation/santé : une mobilisation sans précédent

De son côté, Tanya Aydenian, innovation hub senior au laboratoire Roche, est revenue sur la mobilisation hors norme lancée pour faire face à la pandémie de coronavirus, avec à la manœuvre le Digital Pharma Lab : incubateur lancé par Bpifrance pour accélérer la digitalisation dans l'industrie pharmaceutique européenne.

"Pour faire face à ce contexte de crise qui dépasse les intérêts économiques, Digital Pharma Lab a eu la bonne idée de créer cette coalition innovation-santé. Nous avons pu rassembler plus de 50 partenaires en un temps record, en particulier des laboratoires pharmaceutiques, autour d'un objectif commun. Repérer des solutions qui vont permettre de désengorger le système de soins, face au Covid-19, et permettre la poursuite de la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques", a rappelé en substance Tanya Aydenian.

Une opération éclair pour ne pas perdre du temps

Pas question de dépenser son énergie pour mettre au point une innovation. Pour faire face à l'énorme pression créée sur le système de soin par ce coronavirus au comportement complexe, la coalition s'est plutôt appuyée sur des technologies déjà éprouvées, qui ont été affectées à de nouveaux objectifs pour pouvoir être déployées en un mois.

Forum Santé Innovation 2020 Tanay Aydenian

L'intervention vidéo de Tanya Aydenian (crédits : Agence APPA)

"Ce qui était original c'est que pour la mise en œuvre de ces solutions nous étions tous autour de la table : l'établissement de santé, le fournisseur de la solution et l'acteur qui soutient l'opération", resitue Tanya Aydenian. Au bout de trois mois, cette mobilisation se traduit par le soutien a plusieurs dizaines de projets, qui entrent tous dans la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19 définie au départ.

le CHU de Bordeaux s'est adapté rapidement au choc

Yann Bubien, le directeur général du CHU de Bordeaux est intervenu pour conclure cette 4e édition du Forum Santé Innovation, placée cette année sous l'auspice d'une pandémie virale hors norme et même sans précédent depuis la Première guerre mondiale. Devenu lui-même cas-contact, il n'a pas pu participer à la table ronde et s'est exprimé par visioconférence. Cette pandémie, qui a fait de 2020 une année extraordinaire, comme l'a souligné le directeur général, sur les plans sanitaire, social et économique était ainsi bien présente.

La deuxième vague de la pandémie qui est en train d'arriver à Bordeaux, en Gironde, et remet les CHU (centres hospitaliers universitaires) en première ligne, a rappelé Yann Bubien. Le directeur général a souligné à quel point ces vaisseaux amiraux de la santé avaient été capables de faire preuve de réactivité, d'adaptabilité et aussi de générosité. Sachant que le premier patient atteint par le Covid-19 en France, un Bordelais de retour de Wuhan, a été hospitalisé à Bordeaux le 24 janvier 2020.

"Cela a été une période que je n'avais jamais vu dans le monde de la santé, domaine où je travaille depuis vingt ans, j'avais jamais vu ça", a souligné le directeur général, qui a rappelé l'ampleur de la coopération, avec les établissements publics et privés, la médecine de ville, et la vitesse à la quelle le CHU a réussi à s'adapter au choc.

 Autant dire que Yann Bubien est déjà dans la deuxième vague.

Forum Santé Innovation 2020 Yann Bubien

L'intervention en vidéo de Yann Bubien (crédits : Agence APPA).

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