
Pendant la campagne de 2020, Pierre Hurmic en avait fait le symbole de « la politique des petits pas et des petits pots » de l'équipe sortante. Pourtant, trois ans après la victoire historique des écologistes à Bordeaux et l'annonce de « l'état d'urgence climatique », les arbres en pot de la place Tourny sont toujours là. Les grues aussi continuent de surplomber les quatre coins de la ville bien que le maire écologiste revendique d'avoir « stoppé la bétonisation de Bordeaux ». Alors faut-il voir le vert à moitié vide ou à moitié plein pour cette première partie d'un mandat marqué par la latence de l'alternance et la sortie du Covid ?
« La route est semée d'embuches mais en trois années nous avons fait en sorte d'emprunter avec détermination la route de la bifurcation écologique et sociale », répond le maire écologiste, défendant « un cadre de vie agréable et un urbanisme raisonné ». Sans tambours, trompettes ni infrastructures marquantes, Pierre Hurmic vante une action discrète et de long terme, au risque d'être peu visible à court terme :
« On nous reproche de mener une politique qui n'est pas spectaculaire. Mais c'est un travail de fond ! Par exemple, ma première adjointe, Claudine Bichet, est adjointe aux finances et au défi climatique. Ce qui signifie que toutes nos politiques sont examinées à l'aune de leur impact climatique. Ce n'est pas symbolique, c'est comme si Bercy, le ministère des Finances, était aussi le ministère de l'Ecologie ! ».
« Pierre Hurmic tient sa ligne, on ne peut pas dire l'inverse »
Sur le dossier de l'immobilier, sujet très sensible tant il est difficile de se loger à Bordeaux, la majorité met en avant l'encadrement des loyers, en vigueur depuis juillet 2022, et le label du Bâtiment frugal bordelais. Ce dernier, lancé en 2021, devrait enfin être officiellement attribué à un premier immeuble de logements cet automne avant d'être partiellement intégré au plan local d'urbanisme intercommunal d'ici la fin du mandat. Symbole de la cohabitation menée avec des promoteurs pourtant voués aux gémonies pendant la campagne, c'est Ideal Groupe qui porte ce démonstrateur. L'entreprise est dirigée par Pierre Vital qui préside également la Fédération régionale des promoteurs immobiliers.
Quant au rythme de la construction neuve, il ralentit sur l'ensemble de la métropole : 8.200 logements ont été autorisés sur les douze derniers mois, contre 10.500 logements par an en moyenne sur la période faste 2015-2019, soit un décrochage de l'ordre de -20 %. Le tout dans un secteur englué dans une crise macro-économique profonde. À Bordeaux même, le nombre de permis de construire est resté stable mais avec moins de logements pour chaque permis. La mairie l'explique par la fin des grandes opérations d'aménagement (Ginko, Bassins à Flot, Bastide Niel, Brazza et Euratlantique) et indique privilégier désormais la surélévation et la densification de l'existant.
« Il y a eu le temps de l'arrivée et de l'inventaire avec un affichage clair des couleurs vertes pour arrêter de bétonner la ville puis il y a eu la concertation sur le label du Bâtiment frugal. Pierre Hurmic tient sa ligne, on ne peut pas dire l'inverse », vise Thierry Leblanc, le président de la Fédération française du bâtiment de Gironde.
Contraint par des projets déjà lancés, la nouvelle équipe municipale a du se contenter de retoucher certaines grandes opérations telles que Bastide Niel, sur la rive droite, et le projet Canopia, du côté de la gare Saint-Jean. L'accent est mis aussi sur la végétalisation des espaces publics, avec la plantation de micro-forêts, et des cours d'école.
« Une vision urbaine plus claire »
Mais les professionnels du bâtiment attendent désormais deux choses de la majorité : du temps pour se former et se convertir aux nouvelles méthodes et nouveaux matériaux de construction ; et une vision urbaine plus claire. « Sur le logement, avant on avait une feuille de route avec les différentes ZAC. Aujourd'hui, on n'a plus cette vision puisque le maire n'est pas là pour faire grossir Bordeaux mais pour préserver le cadre de vie. Pourtant, il y a toujours des milliers de nouveaux habitants chaque année », juge le patron de la FFB girondine qui attend des éléments concrets « sur le nombre et la localisation des projets de logements neufs à Bordeaux alors que la sous-densité des projets autorisés est systématique ». De son côté, la FPI considère que ce n'est pas tant Bordeaux qui sous-densifie que les communes voisines en première et deuxième couronne.
Un enjeu également identifié par le Medef Nouvelle-Aquitaine, dont le nouveau président François Perrin, rappelle « qu'il n'y aura pas de détente du marché immobilier et de l'accès au logement sans construction neuve ». Tout en considérant que « trois ans, c'est trop court pour transformer la ville », il s'inquiète des conséquences à moyen terme de l'encadrement des loyers et des restrictions foncières.
L'opposition reste sur sa faim
Sur les rangs de l'opposition municipale, on critique la majorité alternativement parce qu'elle en ferait trop ou, au contraire, pas assez. « Si vous ne lancez pas des projets structurants majeurs à l'horizon de la troisième année, il n'y a rien qui pourra sortir d'ici la fin du mandat ! Jusqu'ici, nous n'avons rien vu en terme de transition énergétique », avertit à droite Nicolas Florian, le successeur d'Alain Juppé défait par Pierre Hurmic. Sa collègue du groupe Bordeaux Ensemble, la sénatrice Nathalie Delattre estime « qu'il est difficile de juger une inaction ».
Un terme qui n'est pas repris par le macroniste Thomas Cazenave, candidat aux élections municipales en 2020 qui s'était rallié à Nicolas Florian avant de siéger dans un groupe d'opposition distinct : « Le bilan est bien maigre. On ne peut pas dire qu'il n'agit pas du tout mais il y a un décalage entre les annonces et ce qui a été fait ». Sur le logement, le député Renaissance regrette « un discours égoïste alors qu'il y a besoin de construire et qu'il faut avoir le courage de défendre une densification heureuse ! » Au total, « que ce soit sur la consultation des citoyens, l'urgence climatique, le logement ou la circulation, le compte n'y est pas ! », attaque également sa collègue Catherine Fabre.
Un urbanisme tactique « à la hussarde » Sur le plan des mobilités douces, Pierre Hurmic brandit l'exemple des pistes cyclables créées sur les boulevards : « C'est une vraie révolution ! Le résultat c'est 75 % de cyclistes en plus et 30 % de pollution en moins. Pour moi c'est un vrai totem. Et au début j'étais traité de fou. On l'a fait en vertu de ce que l'on appelle l'urbanisme tactique : sans concertation préalable, je reconnais que je l'ai fait à la hussarde mais avec l'engagement que si ça ne marchait pas je reviendrais en arrière ! » Une stratégie renouvelée sur les quais de Bordeaux au début de l'été avec la suppression d'une voie de circulation au niveau du miroir du d'eau pendant la fête du vin entraînant d'importants bouchons. Devant la levée de boucliers et le peu d'engouement des cyclistes, le maire a fait machine arrière et la circulation automobile sur deux voies a été rétablie dès le 11 juillet.
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