Des logements adaptables ou réversibles pour conjurer la crise du neuf à Bordeaux

Malgré un plan gouvernemental pour secourir le logement neuf en crise, la situation du secteur ne devrait pas s'arranger de sitôt. Alors que les emplois sont menacés, des logements adaptables et un bâtiment sans affectation qui sortent de terre à Bordeaux veulent symboliser autant qu'explorer le renouveau de la construction. De façon limitée.
Modulables et peu chers, les volumes capables n'ont pas encore résolu l'équation économique.
Modulables et peu chers, les "volumes capables" n'ont pas encore résolu l'équation économique. (Crédits : A6A)

Le logement neuf est en crise. Qui peut l'en sortir ? Pas le gouvernement selon les professionnels du secteur, insatisfaits du plan de l'État dévoilé au début du mois pour donner de l'air a des milliers d'entreprises dont les carnets de commandes se vident. A Bordeaux, c'est dans cette spirale dépressionnaire que des constructions innovantes sortent de terre - comble du calendrier. Dans une ville pas forcément caractérisée par les programmes originaux, ces essais attirent les regards.

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Logement « capable » mais pas rentable

C'est tout d'abord dans le quartier Brazza, sur la rive droite, qu'une première opération prend forme depuis 2017 avec l'édification d'une centaine d'appartements en « volumes capables ». Une appellation déroutante mais qui marque une « idée forte de la construction de Brazza ». « On créé des logements vides, comme une sorte de grande boîte où tout est pensé pour créer un plancher à hauteur intermédiaire », présente Louis Bousquet d'Eden Promotion, société rochelaise implantée à Bordeaux, qui a travaillé avec le cabinet d'architecture A6A. Lorsqu'il le souhaite, le propriétaire peut créer des surfaces complémentaires grâce aux cloisons modulables ou faire des agrandissements grâce à une hauteur sous plafond de cinq mètres sur certains biens. « Tout ça sans demander de permis de construire rectificatif ! », fait valoir le promoteur.

logement capable brazza

La hauteur sous plafond de 5 mètres permet d'aménager un plancher intermédiaire selon le souhait du propriétaire. (crédits : A6A)

Ces logements, qui se veulent adaptables selon les séquences de vie de ses occupants, disent s'inspirer des échoppes bordelaises : des façades identiques qui cachent une multiplicité d'aménagements possibles. Et plus disruptif encore, malgré un coût de construction au m2 proportionnellement plus important, le promoteur affiche un prix de vente bloqué à un montant deux fois moins élevé que les prix du marché, avec 2.100 et 2450 euros/m2 pour des logements de 2,5 et 5 mètres de hauteur sous plafond. Une prouesse rendue possible par la suppression des services annexes tels que la prospection commerciale et l'accompagnement à l'achat. Les coûts d'aménagements du logement nus ont été évalués entre 300 et 1.500 euros du m2, de quoi rester largement en-dessous des 5.000 euros de moyenne observés aujourd'hui sur le marché du neuf à Bordeaux.

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Mais au final, l'équation économique n'est pas bonne pour le promoteur rochelais. Eden Promotion croyait tellement à son idée qu'il a produit l'ensemble de son programme, soit 32 logements, en volumes capables. « On est sortis tellement peu chers qu'on a eu les entreprises qu'on mérite : il y a eu des dépôts de bilans et des mauvaises surprises », retrace Louis Bousquet. En ajoutant des coûts de dépollution du site chiffrés à 150.000 euros, l'équilibre économique prévisionnel s'effondre. Le promoteur reconnaît sa responsabilité mais veut croire en l'avenir du modèle. « Ce système est reproductible mais il nécessite une péréquation : on aurait dû faire aussi du logement libre comme nos confrères. » Un choix fait par Kaufman & Broad et Crédit Agricole Immobilier, promoteurs de deux autres lots à Brazza. Eden doit également livrer en 2025 un programme de 27 logements dont la moitié en volumes capables, du côté d'Ondres au sud des Landes.

Un critère du label frugal bordelais

La capacité d'un logement à évoluer dans le temps est l'un des critères du label du Bâtiment frugal bordelais mise en place par la majorité écologiste en 2021. Le premier immeuble labellisé doit être inauguré au mois de septembre. Il s'agit de dix logement sur l'îlot Piéchaud développé à Saint-Augustin par le promoteur Idéal Groupe. Ce dernier prévoit notamment quatre appartements modulables, c'est-à-dire permettant de rendre indépendante une partie du logement, avec un accès séparé, le moment venu. De son côté, Bouygues Immobilier a aussi choisi Bordeaux pour son concept « Loji »de logement adaptable.

De leurs côtés, les architectes d'A6A s'apprêtent à renouveler l'expérience, de manière plus modeste, dans le cadre de l'opération « Allée Counord » menée par Nhood et Ceetrus, le promoteur et la foncière de la galaxie Auchan, dans le quartier des Chartrons, à Bordeaux. Ainsi seulement quatre logements sur 80 seront proposés en volumes capables : il s'agit de maisons en R+1 avec un accès distinct des autres appartements. « Cette offre s'adresse à une clientèle particulière décidée à personnaliser son logement et prête à faire des travaux », remarque l'architecte Michel Hardoin, d'A6A

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Le permis de construire réversible, simple prototype

« On a déposé un permis de construire dont on ne sait pas quel sera l'usage. » L'annonce a été faite à la fin du mois de mai : l'Établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique a délivré le tout premier permis de construire sans affectation à un projet immobilier. Le futur immeuble de 4.500 m2 de surfaces habitables pourra accueillir aussi bien des logements, que des espaces commerciaux, des bureaux ou des services, et cela de façon réversible et évolutive. Issu d'un appel à projet lancé en 2018, le dossier porté par le groupe bourguignon d'immobilier et d'ingénierie Elithis et Canal Architecture souhaite proposer une alternative face à la recrudescence de normes qui contraignent le secteur du bâtiment. Les constructeurs vont donc pouvoir s'affranchir de plusieurs contraintes d'aménagement pour proposer, à l'image des volumes capables de Brazza, des surfaces flexibles au changement d'usage : augmentation de la hauteur sous plafond, pièce de délestage, planchers et façades évolutifs. Tout en conservant l'ossature d'un bâtiment classique.

permis de construire réversible elithis euratlantique

Situé dans le quartier de l'Ars, le bâtiment de 4.500m2 disposera de panneaux solaires et d'une crèche en rez-de-chaussée. (crédits : Elithis)

« Pourquoi fait-on des bâtiments avec une seule affectation, une seule identité ? Ça me choque, sur le plan carbone, qu'on additionne des constructions qui ne sont pas utilisées à temps complet... », révoque Thierry Bièvre, président d'Elithis. Un concept qui veut s'émanciper des réglementations municipales en matière d'urbanisme, mais pas de là à faire craindre une totale libéralisation du marché du neuf. En effet, ce permis de construire sans affectation n'est possible que dans le seul cadre dérogatoire d'une Opération d'intérêt national telle qu'Euratlantique. Dans un cadre courant, les municipalités pourraient se montrer frileuses face à ce type de projet puisqu'il peut déboucher sur des ensembles peu diversifiés où seraient privilégiés les affectations les plus rentables, au détriment du logement social par exemple.

Mais le promoteur veut tout de même engager une réflexion sur l'utilité sociétale des nouvelles constructions. « Avec le Covid, les locaux professionnels étaient complètement vides, la société s'est réorganisée suite à cette crise : il faut maintenant être le plus adaptable possible ! », lance-t-il. Mais le projet porté à Bordeaux ne constitue encore qu'un prototype, aussi bien pour sa réalisation technique que son modèle économique puisqu'il a coûté 20 millions d'euros. Un coût élevé mais qui cachent d'autres particularités, comme le principe de bâtiment à énergie positive. Euratlantique le reconnaît volontiers, il s'agit d'un premier test pour en tirer des enseignements : « Des interrogations soulevées sur la fiscalité, la gestion du permis et la sécurité incendie notamment, en passant par la dimension expérimentale, l'obtention de ce permis de construire est une promesse pour d'autres projets », espère Valérie Lasek, la directrice générale.

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Des solutions pour ouvrir des brèches face à la crise

Pour les deux promoteurs, si les initiatives présentées doivent encore trouver leur modèle, elles ont la capacité d'apporter une réponse à la crise traversée par le logement, en particulier dans les villes. « Aujourd'hui, on a la métropole qui "exclut" : les gens partent vivre à l'extérieur et ils ne peuvent plus revenir à cause de la hausse des prix en cœur d'agglo. On a bien ressenti cette opposition pendant les Gilets jaunes », relie Louis Bousquet. Mais le logement capable, réversible et les autres innovations vont nécessiter un renouvellement des compétences chez les professionnels. « Si ça paraît simple sur le papier, en matière de savoir-faire et de discussions, c'est quand même très complexe », reconnaît Thierry Bièvre. Des défis immenses auxquels la filière ne pourra répondre seule.

De son côté, la FFB (Fédération française du bâtiment) de Gironde regarde ces expérimentations avec intérêt mais sans s'emballer : « C'est un sujet qui monte et qui répond à une demande du marché mais certainement pas à tout le monde. Cela poste beaucoup de questions de règlementations et de cohabitations mais on va regarder comment ces sujets évoluent sur plusieurs années, notamment à la revente », juge Thierry Leblanc, son président.

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