Un an après, le fragile bilan du Bâtiment frugal bordelais

ANALYSE. Un an après son imposition sans cadre légal par la mairie de Bordeaux, le label du Bâtiment frugal bordelais est systématiquement appliqué bien que sans vérification juridique. Alors que la municipalité va recourir à un cabinet privé pour pallier cette faille, les promoteurs saluent un label qui va dans le bon sens mais pointent des crispations sur l'instruction des permis de construire et la hausse des coûts tandis que des divergences politiques émergent avec la Métropole. Explications.
Le programme NOUVEL’AIR développé par Id&al Groupe, rue du Professeur Timothée Piéchaud, à Bordeaux Saint-Augustin, devrait être livré fin 2023 et devenir le premier bâtiment à bénéficier le label du Bâtiment frugal bordelais.
Le programme NOUVEL’AIR développé par Id&al Groupe, rue du Professeur Timothée Piéchaud, à Bordeaux Saint-Augustin, devrait être livré fin 2023 et devenir le premier bâtiment à bénéficier le label du Bâtiment frugal bordelais. (Crédits : Id&al Groupe)

Présenté dès le printemps 2021, moins d'un an après le début de son mandat, par Bernard Blanc, l'adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'urbanisme résilient, le label du Bâtiment frugal bordelais (BFB) visait à prouver la volonté de la municipalité écologiste de prendre en main la fabrique de la ville et d'aller vite. Quand bien même celle-ci s'envisage nécessairement dans le temps long. Un an plus tard, les critères du BFB (22 obligatoires et 20 optionnels) sont effectivement pris en compte systématiquement par les promoteurs immobiliers et la mairie vient même de publier une version du référentiel pour les immeubles de bureaux.

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"Le label tire les projets vers le haut sur beaucoup d'aspects avec, par exemple, des logements traversants, plus lumineux, plus modulables et prenant mieux en compte les protections naturelles contre le soleil. Tout cela va dans la bonne direction", considère Benoit Melot, associé dirigeant du bureau d'études Odetec et co-président de l'association AMO (Architecture et maîtres d'ouvrage) en Nouvelle-Aquitaine.

Pourtant, chacun en convient, les choses restent fragiles sur le plan juridique à tel point que la mairie va recourir à un cabinet privé pour y remédier.

"C'est fragile juridiquement"

"En plus du permis de construire, nous fournissons une note dédiée à notre prise en compte du label BFB lors de la commission d'avant-projet. C'est exigé systématiquement par la mairie de Bordeaux. Mais, ensuite, les services ne contrôlent pas la conformité de ce qu'il y a dans la note", explique à La Tribune Pierre Vital, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Nouvelle-Aquitaine. "On pense être conformes à ce qui est demandé mais, concrètement, personne ne le vérifie", confirme Raphaël Lucas de Bar, le patron du promoteur Aquipierre et co-président d'AMO. Car, en effet, ce référentiel présenté l'an dernier par la mairie de Bordeaux n'a toujours aucune assise légale dans l'attente de son intégration au plan local d'urbanisme intercommunal qui ne devrait pas intervenir avant fin 2023 au plus tôt. "C'est fragile juridiquement", reconnaît-on sans détour du côté de la ville tout en précisant que 100 % des permis de construire déposés ont pris en compte tout ou partie du label, soit 95 projets en 2021 et 43 depuis le début de l'année 2022.

En clair, un promoteur dont le permis de construire serait refusé parce qu'il ne prend pas en compte le BFB serait certain d'avoir gain de cause au tribunal administratif et d'obtenir son permis de construire contre l'avis de la mairie avec quelques mois de retard.

"C'est vrai mais ce n'est encore jamais arrivé et, tant que je serai là, ça n'arrivera pas. C'est évident parce que les promoteurs me connaissent en on parle la même langue. Avec un autre élu, peut-être, mais avec moi aucun promoteur ne s'y risquerait !", rétorque Bernard Blanc. L'ancien patron du bailleur social Aquitains assume ainsi défendre une posture hors des clous légaux "parce que c'est indispensable si l'on veut faire bouger les lignes".

Les bureaux sont aussi concernés


  • Initialement réservé aux immeubles de logement, le label du bâtiment frugal bordelais s'applique aussi désormais aux bureaux et autres bâtiments tertiaires. Il s'applique à Bordeaux, hors secteur Euratlantique, et reprend en les adaptant les 42 critères du label dédié au logement. Une poignée de permis de construire déposés depuis le début de l'année l'ont déjà intégré.

Recours à un cabinet privé

Mais, en réalité, la fragilité juridique est même double puisque, comme le souligne Pierre Vital, personne ne s'assure de la véracité des engagements pris par les promoteurs au titre du BFB. Ces dernier sont donc purement déclaratifs. Les services de Bordeaux Métropole en charge d'instruire les permis de construire ont en effet clairement fait savoir qu'ils n'avaient ni les moyens ni l'envie d'évaluer la conformité avec un label sans base légale et doté de 42 critères. Résultat : personne ne vérifie si les cases du BFB sont effectivement cochées. Pour surmonter cette difficulté, la mairie de Bordeaux vient de passer un marché de gré à gré avec le cabinet bordelais spécialisé 180 degrés Ingénierie pour instruire 25 dossiers de permis de construire parmi ceux jugés les plus problématiques par l'adjoint au maire. "Un contrat cadre sera ensuite lancé à la rentrée pour un marché public couvrant tous les permis de construire pour environ 60.000 euros par an", précise Bernard Blanc.

Une solution qui n'est pas satisfaisante pour Jean-Jacques Puyobrau, le vice-président (PS) de Bordeaux Métropole en charge de l'habitat et du logement, qui ne semble pas être le plus fervent supporter du label :

"Nos services n'ont pas les moyens d'instruire un document de 42 critères mais je ne suis pas favorable à l'externalisation de l'instruction des permis de construire. À mon sens, il faudrait surtout revoir ce label pour ne retenir qu'entre cinq et dix critères plus évidents et simples à évaluer."

"Que la métropole s'attèle à bâtir une stratégie et à construire des logements de qualité en nombre suffisants et, ensuite, on pourra parler du label", tacle Bernard Blanc en retour. Cependant, alors que l'élu affirmait dans nos colonnes l'an dernier vouloir "poser des règles claires dès le départ en matière d'urbanisme pour fluidifier l'instruction des permis de construire", la FPI assure n'avoir constaté aucune amélioration sur ce point. "Nous nous sommes pleinement engagés dans la démarche mais, maintenant, nous sommes dans l'appréhension et nous attendons des preuves d'amour sur le fait que tout cela fonctionne bien", prévient Pierre Vital. Un non sujet pour Bernard Blanc qui assure que "80 % des permis respectent les délais d'instruction même s'il y a eu des délais plus longs pour certains gros programmes complexes comme à Brazza où sur la ZAC Bastide Niel."

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"Un surcoût d'au moins 10 %"

Alors que la FPI régionale va créer un observatoire des délais d'instruction, les deux parties auront l'occasion d'en débattre lors de réunions de débrief prévues à la rentrée. Certains critères, jugés redondants avec la nouvelle réglementation environnementale RE200, entrée en vigueur début 2022, devraient être modifiés ou supprimés. La communication devrait aussi figurer parmi les débats. "Le BFP a été bien intégré par les professionnels mais pas par les particuliers. Force est de constater que le BFB n'est pas un argument commercial pour justifier une hausse du prix", observe ainsi Pierre Vital. En réponse, la mairie devrait déployer une campagne de communication grand public pour expliciter le label avec quelques planches dessinées.

"Par ailleurs, après les confinements et alors qu'on s'apprête à subir une nouvelle canicule, je suis persuadé que ça va changer les mentalités et que très rapidement les gens feront la différence entre un logement de qualité, bien isolé et doté d'un espace extérieur et le reste de la production", vante Bernard Blanc.

Car si les promoteurs cherchent à valoriser le label c'est aussi parce que son application entraîne des surcoûts non négligeables, particulièrement dans un contexte d'inflation généralisé. La FPI chiffre ainsi à +35 % la hausse des coûts de construction en quatre ans et évalue "entre 10 % et 15 %", l'effet spécifique du label bordelais. "Il y a un surcoût d'au moins 10 %, c'est vrai. Mais la bonne nouvelle c'est que certains promoteurs s'adaptent vont chercher d'autres matériaux plus locaux tels que le béton de chanvre, le ciment cru de Materrup, la paille ou des briques de terre crue. C'est positif ! [...] Le bâtiment frugal il était temps de le faire face à tant de béton coulé à Bordeaux et le bilan carbone désastreux qui va avec. Le label reprend d'abord des éléments de bons sens", appuie Bernard Blanc.

Dans les faits, l'approvisionnement à grande échelle pour ces matières premières émergentes n'est pas si simple. "Ce qu'on observe ce sont surtout des difficultés d'approvisionnement sur des matériaux tels que la paille ou autre. On n'est pas encore à une échelle industrielle", souligne l'architecte Vital Duclos de chez MCVD Architectes et co-président d'AMO.

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Baptême du feu fin 2022

Au bout du compte, il n'est pas sûr que les promoteurs et les acquéreurs apprécient ces nouvelles hausses de prix dans la situation actuelle mais les contrats passés avec 180 degrés Ingénierie et le futur lauréat du marché public prévoient bien la certification du bâtiment, une fois livré, au label BFB. Le premier programme à s'y essayer est porté par Id&al Groupe, l'entreprise de Pierre Vital également patron de la FPI, qui espère décrocher les trois feuilles du label bordelais, soit la meilleure note possible, pour son immeuble situé rue du Professeur Timothée Piéchaud, à Bordeaux Saint-Augustin. Rendez-vous fin 2022 pour le verdict avant d'autres tests courant 2023.

D'ici là, les discussions auront peut-être avancé entre la ville et la métropole de Bordeaux sur une éventuelle extension du label BFB à d'autres communes. Sauf que ça pourrait bien coincer puisque, là encore, Jean-Jacques Puyobrau se montre circonspect si ce n'est défiant :

"Il faut évidemment se saisir de la révision du PLU pour faire bouger les lignes vers des logements plus durables mais je reste prudent sur un élargissement de ce label. Ce ne sera probablement pas avec ce nom ni avec autant de critères. Il faut aller vers un dispositif plus simple, dix critères maximum. La question posée par le bâtiment frugal bordelais est bonne, pas forcément la réponse..."

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