Comment Blanquefort a conservé sa vocation industrielle après le départ de Ford

ENTRETIEN. Maire (PS) de Blanquefort et vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge des finances, Véronique Ferreira, s'est montrée intraitable pour défendre la nature industrielle des plus de 50 hectares que possédait le groupe Ford dans sa ville. Elle témoigne des années de négociation, appuyée par les élus métropolitains de droite et de gauche, pour empêcher le constructeur automobile américain d'y installer un site logistique d'Amazon ou un parc d'attractions.
La maire (PS) de Blanquefort et vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge des finances, Véronique Ferreira.
La maire (PS) de Blanquefort et vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge des finances, Véronique Ferreira. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Avec sa filiale Ford Aquitaine Industries (FAI), fermée en 2019, le groupe Ford possédait plus de 60 hectares de foncier dans votre commune. Comment avez-vous réussi à imposer au constructeur automobile américain la nature définitivement industrielle des terrains qu'il possédait ?

Véronique FERREIRA - Cette idée s'est imposée sans aucune difficulté. C'était un vœu de ma part, mais nous étions tous - élus de droite, comme de gauche - sur la même longueur d'onde : aussi bien à Blanquefort qu'à la Métropole, au Département, à la Région, sans oublier les services de l'État. Avec la fermeture de Ford Aquitaine Industries, nous perdions un savoir-faire industriel de haut-niveau, reconnu comme tel par la direction du groupe Ford aux États-Unis. Et des savoir-faire industriels, hormis dans le spatial et l'aéronautique, en Gironde, il y en a peu. C'est pourquoi, nous voulions aller au-delà de la loi Florange, qui ne s'intéresse qu'à la revitalisation des anciens sites industriels. Avec cette loi, Ford n'était obligé de participer au traitement de sa future friche industrielle qu'à hauteur de 4 millions d'euros.

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Après de nombreuses discussions, nous avons pu faire monter la participation financière de Ford à 18 millions d'euros. Un montant négocié en deux volets : 14 millions d'euros en argent et 4 millions en nature. Dernière somme en contrepartie de laquelle nous avons pu récupérer les 12 hectares du terrain dit des Circuits. Un vaste espace inoccupé situé à proximité immédiate des murs de FAI.

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Côté foncier, il restait un gros morceau à négocier : les 50 hectares d'emprise foncière sur lesquels avait été construite l'usine Ford Aquitaine Industries. Vous avez mené une véritable bataille sur ce foncier et obligé Ford à renoncer à y laisser s'implanter une base logistique d'Amazon. Comment avez-vous fait plier le géant industriel ?

Ford a toujours catégoriquement refusé de revendre à la collectivité les 50 hectares du foncier de l'usine Ford Aquitaine Industries... Je vous le répète, nous travaillons ensemble : la Ville de Blanquefort, Bordeaux Métropole, le Département et la Région, avec d'autant plus de facilité que notre vision des choses correspond à celle des pouvoirs publics. Ce consensus nous a permis d'inscrire la destination industrielle des terrains de Ford au sein même du plan local d'urbanisme (PLU).

C'était avant la pandémie de Covid, en novembre-décembre 2019. Nous étions face à des intermédiaires qui représentaient le puissant groupe Ford, qui voulait céder ses terrains à Amazon. Nicolas Florian, alors maire de Bordeaux (LR), Patrick Bobet, qui était président (LR) de Bordeaux Métropole et moi-même avons reçu ces intermédiaires représentant Ford... Cela a été dur, très dur.

Le foncier de Ford Aquitaines Industries

L'emprise foncière de Ford à Blanquefort (crédits : FAI).

Malgré tout, nous avons quand même décidé de régler ce dossier par la négociation. Nous avons menacé d'aller jusqu'à la préemption des terrains, si ça tournait mal et averti que nous suivrions de très près les opérations de dépollution du site, qui ne s'achèveront qu'en 2024. La tension était si forte que les discussions ont capoté : elles ont dû être arrêtées. Et puis elles ont fini par reprendre. Nous avons répété aux intermédiaires représentants Ford que nous voulions une activité industrielle sur le site, que ce n'était pas négociable et qu'Amazon n'entrait pas dans le cahier des charges. Ils ont fini par accepter. Finalement, ils ont annoncé la revente de leurs terrains à l'aménageur Axtom.

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Vous n'êtes pas déçue par l'issue de ces discussions ?

En plus de ces négociations, nous avons subi des tas de pressions pour rendre ces terrains constructibles ou même y installer un parc d'attractions ! Avec sa destination industrielle, le PLU, qui a également l'avantage d'être découpé en plusieurs parties, nous a protégés. Sans cela, nous n'aurions pas pu empêcher Amazon de s'implanter à Blanquefort.

La vocation industrielle de ce foncier est indiscutable. Concernant la vente annoncée par Ford, le travail d'un aménageur est de lotir, puis de vendre. Il n'était pas imaginable que les 50 hectares puissent être vendus en un seul tenant. L'option de l'aménageur permet d'imaginer l'installation de plusieurs types d'entreprises industrielles. De la très petite entreprise jusqu'à quelque chose de beaucoup plus important.

Existe-t-il, au sein de Bordeaux Métropole, un fléchage des communes par type d'activité ou est-ce très ouvert ?

Il y a un peu de tout, entre planification et non-planification. Nous partons de l'historique de chaque commune. À Mérignac, Saint-Médard-en-Jalles, au Haillan, à Martignas-sur-Jalle, c'est l'aéronautique et le spatial qui dominent depuis des années : il n'y pas de raisons que cela change. Au nord-est, vers Ambès, c'est la chimie. Nous fonctionnons par opérations d'intérêt métropolitain (OIM). Au sud, vers Pessac, c'est la biotechnologie. Nous avons créé une OIM pour la rive droite, à l'est, dans une stratégie de rééquilibrage de ce territoire.

Tous les élus métropolitains, de toutes les tendances, sont impliqués dans ces choix. Le principe de base, c'est que les maires restent maîtres chez eux et que l'on ne peut rien faire sans la Métropole. À chaque décision d'aménagement, nous étudions l'historique de la commune, les volumes de foncier restant, et la nécessité qu'il y a à aménager.

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La zone d'activité de Blanquefort compte plusieurs entreprises industrielles, comme Groupe Berkem, et quatre des douze hectares du terrain des Circuits ont été vendus à la société Hydrogène de France (HDF Energy) qui a commencé à construire une usine pour fabriquer des piles à combustible à hydrogène de forte puissance : c'est exactement de ce que vous vouliez ?

HDF constitue une première en France et en Europe. Cette usine doit être en ordre de marche début 2024. C'est vraiment très intéressant, et j'ai hâte de voir ce que cela va donner. Nous voulons que les entreprises industrielles qui s'implantent ici aient une vision immobilière différente de ce qui se pratiquait auparavant. Nous faisons très attention au volume de mètres carrés consommé par chaque projet. Nous jouons la carte de la sobriété. Nous n'avons pas réellement établi de ratio mètre carré sur nombre d'emplois, mais il n'est plus possible de consacrer 10 hectares de foncier pour une entreprise de 50 salariés, car il existe une habitude très française d'avoir peur de manquer. Avec des chefs d'entreprises qui veulent des mètres carrés en supplément pour se rassurer, au cas où.

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Que pensez-vous de la volonté affichée par les derniers gouvernements de réindustrialiser le pays ?

L'épisode du Covid a montré que si tout ne peut pas être fabriqué en France, la répartition mondiale du travail doit être revue : c'est l'épisode marquant de la capacité de fabriquer des masques chirurgicaux. Si nous n'avons plus d'industrie capable de produire en France, nous allons beaucoup perdre. La question des circuits courts domine l'actualité agricole : pourquoi ne pas y réfléchir pour l'industrie ?

L'histoire de Ford à Blanquefort en huit dates clés

  • 1971 : livraison de l'usine Ford Aquitaine Industries (FAI) qui sera inaugurée en 1973 par le Premier ministre et maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, et le président de Ford Motor Company, Henry Ford II. Spécialisée dans la fabrication de boîtes de vitesses automatiques haut de gamme, FAI produit essentiellement des pièces pour les usines américaines de Ford.
  • 1976 : FMC ouvre une nouvelle usine spécialisée dans la fabrication de boîtes de vitesses manuelles, à quelques centaines de mètres de FAI, destinées au marché européen.
  • 2000 : l'usine passe sous le contrôle de coentreprise Getrag Ford Transmissions (GFT), filiale de l'équipementier Getrag. Fin 2002, l'effectif de FAI et GFT culmine à 3.561 emplois directs (1).
  • 2019 : privée de nouveau projet industriel, l'usine FAI qui compte 849 emplois directs, ferme ses portes à la suite d'un long bras de fer dans lequel syndicats, élus et services de l'État ont essayé, en vain, de sauver emplois et activité industrielle.
  • 2021 : L'usine GFT devient Magna Powertrain Bordeaux, tandis que Bordeaux Métropole retient Hydrogène de France pour construire une usine de piles à combustible sur le terrain voisin des circuits.
  • Janvier 2023 : Magna revend à son tour son usine (l'opération sera finalisée le 1e mars suivant), qui compte 740 emplois directs, au fonds de retournement allemand Mutares, tandis que Ford entre en négociation exclusive pour céder les 50 hectares de terrain de FAI à l'aménageur parisien Axtom
  • Juin 2023 : Devenue MMT-B, l'ancienne usine Magna Bordeaux annonce la mise en production de bornes de recharge pour les voitures électriques développées par Wattpark, qui devrait occuper un peu plus de 70 salariés. L'effectif de MMT-B devrait descendre entre 500 et 550 salariés d'ici fin 2023.
  • Printemps 2024 : ouverture prévue de l'usine de HDF Energy sur le terrain des circuits.

(1) Hubert Bonin : « Ford industriel en Aquitaine : la fin d'un demi-siècle d'histoire (1969-2019) ? ».

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