Ford Aquitaine Industries : un baisser de rideau au goût amer

L’histoire de Ford Aquitaine Industries (FAI) est arrivée au bout de son script. Pour autant le site industriel de FAI n’a pas encore dit son dernier mot. L’usine va être rasée mais le terrain devrait être remis en état d’ici 2024 par Ford. En attendant les collectivités vont acquérir 13 hectares de terrain contigus à l’usine FAI d’ici début 2020.
Jim Hackett PDG de Ford Motor Company
Jim Hackett PDG de Ford Motor Company (Crédits : DR-Ford Motor Company)

Après l'arrêt de la production, le 24 juillet dernier, l'usine Ford Aquitaine Industries (FAI), à Blanquefort (Gironde/Bordeaux Métropole), qui était spécialisée depuis sa création en 1971 (elle a été inaugurée en 1973) dans la production de boîtes de vitesses automatiques a comme prévu officiellement fermé ses portes le 30 septembre. Le dossier de la reconversion de ce site industriel qui employait 849 salariés au cours de ces derniers mois reste cependant ouvert. Lancé au ministère de l'Economie et des Finances lors de la réunion du 20 mars 2019 le groupe de travail chargé de plancher sur la réindustrialisation a vu le jour dans la foulée. Il s'est réuni la dernière fois le vendredi 27 septembre, le jour même où Bordeaux Métropole a donné son feu vert au protocole d'accord, qui a d'abord été proposé par le groupe Ford Motor Company au gouvernement français et plus précisément au ministère de l'Industrie et des Finances, piloté par Bruno Le Maire.

"Nous n'avons jamais été associés aux négociations avec Ford, l'Etat n'en avait aucune envie et voulait gérer ce dossier lui-même. Peut-être que si les collectivités avaient été associées nous aurions pu décrocher de petits avantages supplémentaires, mais ce n'est pas sûr... Et dans tous les cas cela n'aurait pas empêché le groupe Ford de fermer son usine de Blanquefort" est convaincu Francis Wilsius.

L'ancien leader ouvrier (CFTC) du mouvement de lutte contre la fermeture de Ford Aquitaine Industries (FAI) en 2008-2009 est aujourd'hui devenu conseiller régional (PRG) de Nouvelle-Aquitaine, délégué à la restructuration économique et sécurisation des parcours professionnels associés.

Des bleus à l'âme à Bordeaux Métropole

Avec Bordeaux Métropole, le Conseil départemental de la Gironde et la ville de Blanquefort (Gironde/Bordeaux Métropole), le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine fait partie des collectivités concernées pas la signature du protocole d'accord avec Ford, puisque ces dernières ont toutes financièrement participé au plan de relance de l'usine signé en mai 2013 avec l'Etat et le constructeur automobile américain (après le retour de Ford dans l'usine en 2011). Dans le protocole en cours de signature Ford débloque une aide de 18 M€ pour les collectivités, dont 4 M€ qui vont servir à acquérir les 13 hectares de terrain situés entre l'usine et la gare de Blanquefort que le constructeur automobile cède aux collectivités.

Ford Aquitaine Industries Barthe Poutou

Denis Barthes (ex-Noir Désir/The Hyènes), les cégétistes Philippe Poutou (délégué syndical) et Gilles Lambersend (secrétaire du comité d'entreprise-crédits Jean-Philippe Déjean)

Dans ces conditions certains pourraient penser que le vote du protocole d'accord par les élus de Bordeaux Métropole n'était que de pure forme puisque que les jeux étaient faits. Ce dont on peut douter. Le conseiller métropolitain Max Guichard (PCF) a pu expliquer pourquoi il n'aime pas ce protocole d'accord.

"Nous sommes très très en colère comme le sont nos camarades... Ce protocole d'accord est bien trop clément et favorable à Ford » a tonné l'élu, qui n'a pas manqué de fustiger « une démission du politique face à une guerre économique menée par une multinationale" puisque le protocole contient une clause par laquelle le gouvernement français s'interdit ensuite toute action en justice contre Ford.

Peut-être une manière aussi pour l'élu communiste de rappeler que Jim Hackett, le PDG de Ford Motor Company, a ostensiblement refusé de répondre au téléphone à Bruno Le Maire au plus fort de la crise, n'hésitant pas à humilier publiquement le ministre français.

Vincent Feltesse fait son mea culpa et refuse de voter

Lors de son départ raté de 2009, le groupe Ford avait notamment trouvé un repreneur pour Ford Aquitaine Industries, le fonds de retournement allemand HZ Holding et laissé dans l'usine une enveloppe de 100 M€ sous séquestre pour financer de nouveaux projets industriels.

Mais aucun des projets évoqués n'a jamais vu le jour, les repreneurs allemands refusant d'investir le moindre euro dans les opérations étudiées. A la grande stupéfaction des banquiers bordelais sollicités par le repreneur pour financer des projets et appuyés dans leur refus par les syndicats de Ford Aquitaine Industries, CGT comprise, alors que les élus semblaient prêts à se laisser tenter...

Vincent Feltesse s'inscrit dans une double candidature en 2020 : à la mairie de Bordeaux et à la Métropole

Vincent Feltesse est à nouveau candidat aux élections municipales de 2020 à Bordeaux, après le scrutin de 2014.

Après le retour de Ford, en 2013, les syndicats ont fait pression sur leur direction pour obtenir un nouveau projet industriel sans que jamais cette revendication, qui était vitale pour le futur, ne puisse aboutir. Ces contrariétés ont-elles pesées sur le choix de l'ancien maire de Blanquefort et président (PS) de la Communauté urbaine de Bordeaux (jusqu'en 2014) Vincent Feltesse, aujourd'hui conseiller métropolitain, quand il a refusé de voter pour ce protocole ?

"Je plaide coupable parce que pendant dix ans nous (les politiques -NDLR) ne leur avons pas mis l'épée dans les reins... je ne voterai pas contre la signature de cette convention avec Ford, mais je vais m'abstenir. Car je ne vois pas ce que l'on gagne... Les 13 hectares de terrain, on aurait pu les préempter" a notamment lâché Vincent Feltesse.

Quand la CGT désespère du gouvernement

Pour le syndicat CGT de l'entreprise c'est d'abord le gouvernement qui a lâché prise, après avoir fait mine de s'opposer au constructeur automobile.

"Nous n'acceptons par l'accord entre Ford et l'Etat. Les représentants du gouvernement auraient dû avoir une autre attitude. Parce qu'ils n'ont pas contesté les conditions de fermeture de l'usine et qu'ils se sont juste contentés de déclarations de principe pour protester" déroule ainsi Gilles Lambersend, secrétaire du comité d'entreprise de FAI.

La veille de l'audience devant le tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux, le 3 juin, les élus des collectivités concernées ont manifesté leur soutien -par le biais d'une déclaration commune- à l'action de la CGT de FAI. Pour la dernière fois, étant donné les divergences de vue qui se sont fait jour entre élus et cégétistes. Le tribunal de grande instance de Bordeaux (le 4 juin) puis la cour d'appel (le 17 septembre) se sont déclarés incompétents pour juger ce dossier, renvoyant son instruction à la juridiction administrative.

Direccte Nouvelle-Aquitaine

Siège de la Direccte de Nouvelle-Aquitaine

"Faute d'un soutien suffisant des élus nous n'avons pas pu créer un rapport de force assez puissant pour aller devant le TGI et obtenir une décision" veut croire Gilles Lambersend, qui relève toutefois que le tribunal n'a pas jugé la démarche de la CGT infondée puisqu'il se déclare plus simplement incompétent. Cette situation exaspère Vincent Alauze, délégué CGT.

Une question de compétence devenue centrale

"Un tribunal qui se déclare incompétent doit dire où l'on a le droit de se pourvoir. Mails là, rien. Pour savoir si la fermeture de l'usine est économiquement fondée il faut aller aux Prud'hommes et donc accepter de se faire licencier : c'est un déni de justice ! Et le déni de justice est puni par la loi. C'est pourquoi nous allons aller en Cassation" annonce Vincent Alauze, délégué CGT de FAI.

Pendant des mois le groupe Ford a joué au chat et à la souris au sujet de FAI avec le gouvernement, les élus et les syndicats. Le groupe Punch, seul repreneur en lice pour reprendre Ford Aquitaine Industries, qui gère une usine de fabrication de boîtes de vitesses pour General Motor à Strasbourg, a été éconduit par le groupe Ford, qui n'a officiellement pas trouvé crédible son offre de reprise.

Ford TGI Bordeaux

Le TGI de Bordeaux (notre photo) s'est déclaré incompétent (crédits Agence Appa)

Il semblerait pourtant qu'au moment où le groupe Ford lançait son plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) à FAI et refusait donc la reprise de l'usine par Punch, ce groupe belge était qualifié pour fabriquer de nouvelles transmissions destinées... à Ford. Sans compter que le 27 septembre le groupe automobile PSA a annoncé qu'il lançait la fabrication de transmissions électriques dans son usine de Metz-Borny, dans le cadre d'une co-entreprise formée avec le groupe Punch et moyennant 82 M€ d'investissement... Il y a donc de quoi avoir des regrets...

Un gros sinistre industriel plutôt silencieux

"La CGT a eu raison d'attaquer Ford en justice mais la Région ne peut attendre un résultat de ce type avant de savoir ce que l'on va faire, c'est impossible. Ford n'a pas été très correct c'est sûr, mais il faut aller de l'avant. On ne peut pas rester les bras ballants. Et puis je pense qu'il est utopique de croire que l'on pourrait convaincre Ford de revenir à Blanquefort. Les décisions de Ford sont prises aux Etats-Unis et personne ne réussira à convaincre Donald Trump qu'il vaut mieux que Ford reste à Blanquefort plutôt que rapatrier dans le Michigan de l'activité venue de France" assène Francis Wilsius, dont la cote d'amour à la CGT de Ford Aquitaine Industries n'est pas vraiment stratosphérique.

Avec 849 postes de travail détruits, dont notamment 248 départs en pré-retraite 359 salariés sans emplois à l'heure actuelle (au 01/10/2019) Ford Aquitaine Industries est sans doute l'un des plus gros sinistres industriels de l'année en France mais aussi l'un des plus silencieux, malgré les actions revendicatives organisées avec succès par la CGT. Un conflit sous anesthésique ?

Francis Wilsius conseiller régional

Francis Wilsius (crédits Agence Appa)

"Ford Aquitaine Industries ce n'est pas GMS. Parce que Ford a mis les moyens. Avec des ouvriers qualifiés rémunérés autour de 2.000 euros par mois il faut savoir que la prime de licenciement oscille entre 25 et 42 mois de salaire. Si nous organisons, avec la Région, et la députée (LREM -NDLR) Véronique Hammerer un salon de l'emploi le vendredi 11 octobre, de 9 h à 13h, à Saint-André-de-Cubzac, c'est que plus de 60 foyers de Haute-Gironde sont concernés par la fermeture de FAI. Nous organisons un job dating qui ne sera pas exclusivement consacré aux ex-salariés de Ford mais où nous espérons en voir quand même. C'est quand même intéressant pour eux parce s'ils retrouvent du travail maintenant, Ford leur reverse 18 mois de salaires en une fois" déroule Francis Wilsius, très engagé sur cette opération de job dating.

Une activité résiduelle à FAI jusqu'en 2021

Comme le confirme Gilles Lambersend 58 salariés (service de sécurité, ressources humaines, comptabilité...) devraient continuer à travailler à FAI jusqu'à avril 2020. Il devrait même y avoir encore des salariés des ressources humaines sur place en avril 2021.

Le comité d'entreprise va rester opérationnel jusqu'en novembre voir un peu plus puisque Gilles Lambersend ne devrait pas être sorti de l'effectif avant janvier ou février prochain. De son côté Francis Wilsius estime que la situation va se décanter assez rapidement. Si l'usine doit être rasée et le site industriel, toujours propriété de Ford, ne pas être prêt à être vendu avant 2024, il en va tout autrement pour les 13 hectares rachetées 4 M€ par les collectivités à Ford.

"La Métropole en deviendra la propriétaire au 1e trimestre 2020 et ensuite il faudra aménager le terrain pour y recevoir des entreprises. A la Région nous allons prospecter pour identifier des entreprises qui pourraient être intéressées et qui pourraient intéresser tout le monde" éclaire l'élu régional.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 06/10/2019 à 18:08
Signaler
FAI, GMS, Heuliez auparavant et d'autres ailleurs. Plutôt que de savoir si on peut préempter 13 Ha ou pas, il faudrait s'interroger sur les causes de ces fiascos industriels. 35 heures, coût du travail très élevé, judiciarisation des procédures, imp...

à écrit le 05/10/2019 à 23:06
Signaler
le syndicat de la cgt a eu raison d attaquer ford en justice

le 07/10/2019 à 9:31
Signaler
On voit le resultat. Tout le monde au carreau. Un peu comme la SNCM et tant d'autres.

à écrit le 05/10/2019 à 19:22
Signaler
Les voitures électriques sont les fossoyeurs des boîtes de vitesses, des embrayages, des systèmes d'injection de carburant, des pipes d'admission et d'échappement, des blocs moteur, des culasses, pistons, vilbrequins, arbres à cames, soupapes, pompes...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.