Pierre Hurmic a-t-il besoin d'un grand projet pour Bordeaux ?

Pour les présidents de la République comme pour les maires, la visibilité de l'action politique est historiquement passée par la construction de grands ouvrages urbains. Le premier promoteur de la transition écologique à Bordeaux, Pierre Hurmic, assume ne pas courir après ce destin mais manque en même temps l'occasion de marquer une vraie rupture, jugent plusieurs observateurs. D'autant que l'urgence climatique offre de nombreuses opportunités. Analyse.
Maxime Giraudeau
A mi-mandat, Pierre Hurmic défend son action sans pour autant mettre en avant un grand projet d'aménagement.
A mi-mandat, Pierre Hurmic défend son action sans pour autant mettre en avant un grand projet d'aménagement. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Le développement de Bordeaux se raconte par le mythe de la Belle endormie. Un surnom apparu dans le dernier quart du 20e siècle pour désigner la politique devenue somnolente de son maire d'alors, Jacques Chaban-Delmas. L'abandon du projet de métro en 1994 consacrera l'idée d'un Port de la Lune dormant dans lequel son premier édile ne parvient plus à bâtir. Le réveil de la cité passera par le lancement d'une grande infrastructure par son successeur, qui constitue l'image de emblématique de Bordeaux encore aujourd'hui : le tramway.

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« Ce n'est pas le souvenir que je veux laisser »

Juppé c'est le tram et les quais, Chaban-Delmas le pont d'Aquitaine et Mériadeck. Puis à la Cité du vin et au pont Chaban-Delmas au nord de la ville, ont répondu la Méca et bientôt le pont Simone Veil au sud. Après 75 ans de règne de la droite, Pierre Hurmic, maire disruptif revendiqué, peut-il faire l'économie d'un grand projet qui marquerait sa rupture écologiste ? Dire que l'élu ne court pas après est un euphémisme. Celui qui a siégé durant 25 ans en tant qu'opposant au conseil municipal a, dès son élection en 2020, battu en brèche l'urbanisation galopante de la ville. Et ressert son discours anti-béton à l'envi dans une ville saturée par les grandes opérations d'aménagement lancées par son prédecesseur.

Je l'avais dit dès le début de mon mandat, je ne serai pas un maire bâtisseur, c'est-à-dire bétonneur. Je n'ai pas le souci du souvenir que je laisserai si ce n'est que notre souci c'est de laisser une ville plus apaisée, moins bétonnée. Une ville qui nous permet de réinventer la vie des Bordelaises et des Bordelais. C'est une ambition autrement plus forte que nous avons plutôt que de construire des grands stades inutiles, des grands équipements qui vieillissent très mal et endettent la collectivité. Ce n'est pas le souvenir que je veux laisser. Je préfère agir dans la sobriété.

Pierre Hurmic

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Des paroles prononcées le 12 septembre, pour le premier franchissement symbolique du pont Simone Veil. Cette grande infrastructure bientôt emblématique reliera les deux rives de la Garonne au sud de Bordeaux dès l'an prochain et portera les mobilités alternatives. Un ouvrage que Pierre Hurmic adore donc, mais qui ne lui doit rien. Pour un maire écologiste en croisade contre l'artificialisation, la perspective d'une grande infrastructure paraît tabou. Tant pour la visibilité de son action que pour répondre aux enjeux démographiques de la capitale girondine, la ville se doit d'avoir un grand projet jugent ses opposants politiques et des représentants du monde professionnel. Les anciens maires bâtisseurs connaissent aussi bien l'adage : « lors du premier mandat on élabore, lors du second mandat on inaugure ! »

Et certains n'ont d'ailleurs pas manqué de le prévenir sur la nécessité d'aller vite. « Si vous ne lancez pas des projets structurants majeurs à l'horizon de la troisième année, il n'y a rien qui pourra sortir d'ici la fin du mandat ! », avertit l'ancien maire de droite Nicolas Florian.

Les boulevards, le téléphérique ou la rocade solaire ?

Pour d'autres, l'attente se transforme en inquiétude. « Après le tramway et les deux franchissements de la Garonne, il manque un grand projet fédérateur susceptible de donner de l'élan à l'économie locale et de faire rayonner la ville. Le maire doit trouver un grand projet pour incarner sa politique. Mais pas un grand projet pour lui, un grand projet pour Bordeaux », juge un chef d'entreprise bordelais opérant dans le domaine de l'ingénierie et des grands travaux. Pourtant, les enjeux de la transition écologique offrent une myriade d'opportunités rien qu'entre la rénovation énergétique des bâtiments, la percée des énergies renouvelables ou l'adaptation face aux canicules.

Si le maire écologiste est farouchement opposé à l'idée d'un métro à Bordeaux, la municipalité a d'autres projets dans les cartons puisqu'elle compte, durant le mandat, couvrir les bâtiments municipaux de plus de 60.000 m2 de panneaux photovoltaïques. Une vraie transformation à la mesure de l'urgence climatique mais qui pourtant n'est pas brandie par l'équipe écologiste. « Il paraît qu'on communique mal, c'est vrai que ça se voit moins que de construire un grand stade ! », ferraille Pierre Hurmic à ce sujet. Autres projets à porter, à l'échelle métropolitaine cette fois, le vaste réaménagement des boulevards, la mise en place d'un télécabine entre les rives ou la couverture solaire de la rocade. Autant de dossiers qui, au mieux, misent sur le très long terme, au pire patinent.

L'ESS en étendard

Un défaut de réalisation qui, au-delà des choix politiques, tient aussi au contexte urbain et territorial. « Les grands projets peuvent encore être utiles, je ne veux pas dire que ça appartient au passé. Mais cela avait certainement plus de pertinence dans les années 2010, pour matérialiser le réveil de la Belle endormie », avise Simon du Moulin de Labarthète, directeur général de l'A'urba depuis l'été 2022.

« Aujourd'hui c'est très différent, le sujet n'est pas de mettre en scène la vitalité métropolitaine mais de mettre en forme les enjeux de régulations des prix immobiliers, des transports et des espaces urbanisés au sein de la Métropole. Tous ces enjeux là sont énormes et la réponse ne passe pas forcément par une réalisation. Le sujet relève davantage des régulations que de l'édification d'un grand projet ».

Interrogé sur l'acte marquant qu'il souhaiterait faire entrer dans les mémoires, le maire cite d'abord la promotion de Bordeaux comme capitale mondiale du forum de l'économie sociale et solidaire acquise en 2021. Mais Pierre Hurmic revendique aussi une action à petites touches, au plus près « du quotidien et du lendemain » des habitants. « Le maire qui répare et qui projette sa ville dans le 21e siècle », relie-t-il, cherchant à ancrer « la bifurcation écologique de la ville ». Dans les faits, l'incarnation concrète de sa politique est encore limitée. Selon le sondage Ifop-La Tribune en partenariat avec Public Sénat, 48 % des Bordelaises et des Bordelais estiment que Pierre Hurmic n'a pas de projet emblématique pour Bordeaux. Un déficit qui pourrait jouer en sa défaveur quand il lui faudra en 2026 défendre son bilan en vue des prochaines élections municipales.

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Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 22/09/2023 à 8:09
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Il est dans l'air du temps, à savoir la dépression nerveuse, avec internet les gens se réveillent en plein cauchemar voyant qu'ils sont pris en otage par un système économique et social démentiel et que pris par leurs emprunts et leurs "projets" conf...

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