« Bordeaux n'est plus une ville attrape-tout sur le plan économique ! » (Pierre Hurmic)

INTERVIEW. « On est en train de changer l'image de Bordeaux : ce n'est plus une ville attrape-tout sur le plan économique ! La période où primait l'accueil des entreprises est derrière nous, il faut réfléchir différemment », affirme Pierre Hurmic. Dans un entretien à La Tribune, l'élu écologiste dresse le bilan de ses trois premières années de maire de Bordeaux et se projette sur la suite. Cultivant son indépendance, il plaide pour une écologie mesurée susceptible de rassembler le plus grand nombre.
Pierre Hurmic, le maire de écologiste de Bordeaux, mercredi 20 septembre 2023.
Pierre Hurmic, le maire de écologiste de Bordeaux, mercredi 20 septembre 2023. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Que retenez-vous du sondage IFOP La Tribune en partenariat avec Public Sénat sur le climat politique bordelais à la moitié de votre mandat ?

PIERRE HURMIC - La mi-mandat c'est la période la plus ingrate, la plus difficile parce qu'on est au milieu du gué : on a un peu changé Bordeaux et les habitudes de nos concitoyens mais la ville est encore beaucoup en chantier. Ces résultats sont donc très encourageants pour notre équipe. Le taux de satisfaction de vivre à Bordeaux atteint 89 %, ce qui nous place devant Paris, Lyon et Marseille.

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On vous a vu faire votre rentrée dans les vignes de Bordeaux puis aller défendre le vignoble bordelais à Matignon le 11 septembre dernier. On ne vous attendait pas forcément dans ce rôle...

J'aime bien aller là où on ne m'attend pas ! Ma vision c'est d'amener les gens à l'écologie pas de dire aux écologistes qu'ils ont toujours raison. Je suis le maire d'une ville qui rayonne bien au-delà du territoire municipal et notamment dans le vignoble. Je suis aussi un défenseur du vin et de la transition vers le bio parce que c'est le sens de l'histoire.

Contrairement à vos prédécesseurs, vous n'avez pourtant jamais revendiqué ce rôle de porte-parole de l'économie locale. Avez-vous changé d'approche ?

Je considère que je fais mon job de maire de Bordeaux en représentant ses habitants, et ses entreprises. Sur le plan économique, je porte une parole nouvelle. Nous avons réorienté la feuille de route d'Invest in Bordeaux qui était trop centrée sur une mission d'attractivité au service d'une ville égoïste. Je refuse la vision d'une métropole magnétique qui ignore ou méprise les territoires voisins. Julia Cagé et Thomas Piketty (*) reprochent à la gauche d'avoir déserté les territoires ruraux et la France pavillonnaire. Ils ont raison ! Quand je me bats contre la ligne à grande vitesse, c'est précisément au nom d'une écologie qui va au-delà de la ville parce qu'une métropole ne peut fonctionner ni raisonner en vase clos.

Aujourd'hui, nous priorisons les entreprises ayant des impacts positifs pour le territoire, dont l'impact carbone. On est en train de changer l'image de Bordeaux : ce n'est plus une ville attrape-tout sur le plan économique ! La période où primait l'accueil des entreprises est derrière nous, il faut réfléchir différemment. Être une ville verte c'est un élément essentiel d'attractivité pour les entreprises et leurs salariés qui recherchent une bonne qualité de vie. Le rôle du maire sur le terrain économique c'est d'être un accompagnateur et un facilitateur. On est là pour faciliter leur transition écologique avec, par exemple, le lancement d'une plateforme dédiée à la RSE.

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Où en est cette transition écologique pour la ville de Bordeaux ?

Pour convaincre nous devons être exemplaire. Nous travaillons sur l'autonomie énergétique des bâtiments municipaux : elle n'était que de 4 % à notre arrivée en 2020, ce qui était dérisoire... Nous sommes aujourd'hui à 8 % et nous visons 40 % à la fin du mandat en 2026. On projette de déployer 60.000 m2 de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments publics, soit six hectares, ce qui n'a rien d'évident ! L'autre particularité c'est d'avoir une première adjointe, Claudine Bichet, qui est à la fois en charge des finances et du défi climatique : tous nos investissements sont examinés à la lueur de leur impact climatique.

Pierre Hurmic

Pierre Hurmic (crédits : Agence APPA).

Ces mesures sont-elles suffisamment lisibles pour les Bordelais alors que votre majorité reconnaît elle-même que ça n'avance « pas assez vite » ?

Cela ne va jamais assez vite ! Je suis le plus impatient des Bordelais. Mais on a quand même fait beaucoup de choses malgré une première année marquée par le Covid. L'écologie c'est le temps long et mon rôle c'est de mener la bifurcation écologique de la ville, c'est-à-dire de m'assurer que, quelle que soit l'équipe qui viendra en 2026, on ne reviendra pas en arrière sur le plan de la transition écologique. Nous consacrons 18 % de nos investissements à l'écologie pour tenir nos engagements verts tout en maîtrisant notre budget. Et Bordeaux et sa Métropole ont été reconnus au niveau européen comme « Territoire engagé dans la transition écologique » avec la meilleure note possible.

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Sur quels sujets allez-vous appuyer d'ici 2026 ?

Sur la participation citoyenne pour répondre au triptyque : climat, solidarité et démocratie permanente. La convention citoyenne sur le climat sera lancée début octobre pour consulter 100 citoyens sur tous les sujets de la transition écologique. Notre engagement c'est de suivre les préconisations de cette convention. L'enjeu c'est de se doter collectivement d'outils pour réparer et préparer la ville face au dérèglement climatique. La promotion des mobilités douces et décarbonées pour préparer la ville de nos enfants n'est pas facile mais nécessaire. Mon rôle c'est donc de convaincre les lobbies et les habitants qu'il faut évoluer. Je veux laisser la voiture à ceux qui n'ont pas d'autres choix et on travaille donc à offrir davantage de possibilités notamment avec les pistes cyclables sur les boulevards.

Quelle est votre position sur la Zone à faibles émissions (ZFE) qui vise à interdire les véhicules polluants dans l'intra-rocade à partir de 2025 ?

Il faut avancer avec beaucoup, beaucoup de prudence. Depuis cet été, Bordeaux ne fait pas partie des villes dans lesquelles la pollution de l'air est la plus préoccupante. Je pense qu'il faut donc privilégier l'aspect social de la ZFE pour éviter un phénomène « gilets jaunes », de ségrégation. Mais il faut aussi et surtout que l'État prenne ses responsabilités ! On nous demande de financer les changements de véhicules diésel. Mais c'est d'abord à l'État de le faire, puisqu'il a mené pendant des années une politique industrielle qui a persuadé l'industrie automobile de faire du diesel. Je considère donc que la ZFE est une réforme bancale. Et tant qu'à instituer des vignettes, il faut viser les véhicules polluants mais aussi les véhicules qui ont un bilan carbone désastreux, ce qui est le cas des gros SUV électriques.

Pierre Hurmic

Pierre Hurmic (crédits : Agence APPA).

La gouvernance de Bordeaux Métropole connaît des rebondissements ces dernières semaines. Quel est l'état de vos relations avec Alain Anziani dans le cadre de la majorité entre socialistes, écologistes et communistes ?

C'est un état d'esprit constructif de part et d'autre. Le début de l'été a été un peu dur à supporter, il faut redémarrer sur de nouvelles bases. Nos discussions actuelles ne s'orientent pas du tout vers un retour de la cogestion ! Je suis très attaché au rôle des maires à l'intérieur d'une intercommunalité mais aussi très attaché au fait majoritaire. Il faut qu'il y ait une ligne politique dans la Métropole. Les Bordelais nous ont élu en 2020 pour changer les choses, pas pour les conserver et qu'on leur resserve la cogestion.

Sur la LGV, on est en désaccord total avec les socialistes. Mais on connaissait déjà nos divergences depuis longtemps. C'est à nous de les rendre conciliables d'autant qu'il ne s'agit pas d'une compétence métropolitaine. Quant au contournement autoroutier, c'est une chimère, il ne se fera pas !

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Est-ce qu'on peut être le maire de Bordeaux et être opposé à la filière aéronautique qui pèse 26.000 emplois en Gironde ?

Mais je ne suis pas contre, je pense qu'il faut l'accompagner vers la conversion écologique et que la filière l'a compris, qu'elle se trouve à la croisée des chemins. Je siège au conseil de surveillance de l'aéroport de Bordeaux et c'est le message que j'y porte. Le projet Tarmaq, il faut qu'on en discute davantage au sein de la majorité. Je ne suis pas opposé aux aides à la filière, si cela favorise sa conversion. Je n'ai pas de sujet tabou.

Comment le rayonnement acquis sur l'ESS (économie sociale et solidaire) avec la présidence du forum mondial peut-il se concrétiser dans l'économie bordelaise ?

On n'est pas dans la politique spectacle ça c'est sûr. Mais avec l'ESS on contribue à inventer l'économie de demain. Ce n'est pas par hasard si on a obtenu la présidence du forum mondial à la suite de Séoul, c'était un marqueur de notre début de mandat. Depuis, on a installé des entreprises de l'ESS dans du foncier municipal. On attire de plus en plus de structures de l'ESS qui se voient moins que Thales et Dassault mais créent des emplois à Bordeaux et apportent des services de proximité à la population. Si vous voulez mon meilleur souvenir de maire, c'est celui-là : la fierté d'être allé à la tribune de l'ONU au nom de Bordeaux pour porter une résolution sur l'ESS.

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Au plan national, à l'horizon 2026, qu'est-ce qui différenciera les maires écologistes alors que toutes les villes ou presque adoptent le vélo, la végétalisation et la sobriété énergétique ?

On verra quels sont ceux qui ont réussi à changer la vie. Je veux être jugé au bout de six ans sur ma capacité à avoir commencé à changer la vie, en mieux si possible, des Bordelaises et des Bordelais. Mais il y a encore trois ans, il ne faut pas se précipiter ! Je suis étonné comme la campagne électorale a vite débuté à Bordeaux. Il y a une compétition entre Nicolas Florian et Thomas Cazenave et ils voudraient m'embarquer là-dedans. Mais non, je suis maire à plein temps, je ne suis pas candidat !

En ce qui me concerne, je suis très girondin, ce qu'il faut c'est privilégier la présence de terrain, l'indépendance et la disponibilité. Je déteste l'écologie punitive, je suis un écologiste modéré mais pas modérément écologiste. Ce qui signifie que j'ai des convictions mais que la passion n'exclut pas la mesure.

(*) « Une histoire du conflit politique Élections, inégalités sociales en France, 1789-2022 ». Editions du Seuil, septembre 2023, 864 pages, 27 euros.

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Commentaires 5
à écrit le 22/09/2023 à 10:07
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Ce maire de Bordeaux est une véritable honte pour cette ville superbe. Bordelais réveillez vous en mars 2026 !

à écrit le 21/09/2023 à 18:55
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J'apprécie beaucoup. Si on pouvait l'avoir comme président de la république ou 1er ministre, ce serait super. L'honnêteté, la modération, la franchise,la vision à long terme ; ça nous change de nos monarques conservateurs qui font passer leur carrièr...

le 22/09/2023 à 6:55
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Bonjour, ils est comme les autres, voir sûrement même plus hypocrite... Faire le mignons, et éviter les sujets qui fâchent , cela est a la portée de tout le monde...

à écrit le 21/09/2023 à 6:53
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On se revoit en temps opportun !!! J'ai toujours à l'esprit cette pétition des maires ecolofachos qui ont démoli leur ville pour la remodeler à leurs souhaits, et constatant que les commerces secroulaient et que les centres devenaient des cloaque, o...

à écrit le 21/09/2023 à 6:53
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"il plaide pour une écologie mesurée" LOL ! Tellement mesurée qu'on ne la voit pas.

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