Entre risques de surcoût et de contestation, fin de la consultation sur la télécabine à Bordeaux

DÉCRYPTAGE. Clap de fin pour la consultation publique autour du projet de télécabine à Bordeaux métropole ce lundi 13 février. Les maires des communes concernées qui défendent l'infrastructure font face à des avis très mitigés, notamment de la part de l'opposition, d'associations d'usagers et d'une entreprise locale. De quoi soulever un risque réel de contestation juridique. Quant au coût du chantier, il pourrait se révéler bien plus élevé que les montants annoncés lors de la concertation.
Maxime Giraudeau
Les pylônes de la télécabine s'élèveraient à 70 mètres de hauteur au-dessus de la Garonne.
Les pylônes de la télécabine s'élèveraient à 70 mètres de hauteur au-dessus de la Garonne. (Crédits : Bordeaux Métropole)

Deux nouveaux types de transports doivent arriver dans la métropole d'ici 2028. Le RER métropolitain et ses trois lignes traversant le département de la Gironde tout d'abord, mais aussi la télécabine bordelaise qui doit relier les deux rives de la Garonne. Des réalisations d'envergure, disons, peu comparables. Avant de lancer le chantier du transport par câble, la Métropole a tenu à organiser une grande concertation publique, débutée le 28 novembre dernier et achevée ce lundi 13 février. L'enjeu pour les élus locaux n'étant pas tellement de questionner la pertinence du projet que de choisir le tracé parmi neuf possibilités proposées.

Cinq réunions publiques, des stands mobiles de concertation et même l'installation d'une cabine sur les quais : les services métropolitains ont bien tout mis en œuvre pour que la parole publique puisse s'exprimer. D'autant qu'un dossier de 80 pages a été distribué afin de saisir tous les enjeux posés par l'implantation d'un tel moyen de transport au-dessus de la Garonne, entre le haut-Cenon et Bordeaux. L'exhaustivité des points abordés a même pu surprendre quand on sait que la Métropole a longtemps traîné avant d'ouvrir le sujet d'un métro sur son territoire. Voici trois points importants qui ressortent après cette phase de consultation.

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L'entreprise survolée « étudiera toutes les options »

Comme La Tribune le révélait en juin dernier, l'entreprise de construction navale CNB, appartenant au groupe Bénéteau, voit d'un œil pour le moins circonspect l'édification de télécabines au-dessus de son site de production de catamarans. Et ce pour une question de confidentialité de ses activités et de préservation du confort de ses clients, comme elle le détaille dans sa contribution à la concertation publique.

« Ce qui concentre notre attention sur ce projet Télécabine réside dans la nécessité de conserver les avantages compétitifs ayant permis notre développement et devant assurer notre pérennité sur le territoire de Bordeaux rive droite : innovation et expérience client » déroule CNB dans son avis rendu public le 4 février.

Interrogé par La Tribune, le directeur de CNB s'inquiète de l'arrivée de la télécabine qui pourrait inciter ses concurrents à l'espionnage. « On ne souhaite pas que le survol du site permette aux autres constructeurs de pouvoir observer nos modèles avant qu'ils soient sur le marché et de les copier », s'explique Clément Himily.

La préservation de la confidentialité pourrait, selon les idées de l'entreprise, « se traduire par une opacification des télécabines dans la zone de survol potentielle » du site naval. C'est par exemple le cas pour le métro de Singapour dont les vitres deviennent automatiquement opaques lors du passage devant des immeubles d'habitation. Autre solution envisagée : celle d'un tracé alternatif imaginé par CNB entre le haut-Cenon et l'arrêt de tramway New-York.

Quant au tracé entre le haut-Cenon, Lissandre Sud et Achard, hors de question pour l'entreprise qui devrait alors accueillir un pylône sur sa zone de livraisons clients. La métropole doit-elle s'attendre à un recours juridique en cas de déconvenue pour le constructeur naval bordelais ? « On étudiera toutes les options possibles à ce moment-là, répond Clément Himily. Nous sommes installés depuis 35 ans et nous avons la volonté d'être là encore dans 35 ans. Nous ne voulons pas partir en guerre ! », promet-il encore. 

Des pôles vraiment sources de mobilité ?

Pour faire valoir l'intérêt du projet télécabine, Alain Anziani, le président de Bordeaux métropole, a maintes fois convoqué la réalisation de ses homologues toulousains. Construit par l'entreprise Poma et ouvert en mai 2022, le téléphérique relie un campus universitaire et un CHU au sud de l'agglomération de 800.000 habitants. Ces deux sites concentraient déjà des flux importants de déplacement, ce qui n'est pas forcément le cas pour les dessertes retenues par le projet bordelais.

Sur ce point soulevé lors de la dernière réunion publique de concertation le 2 février par les représentants de l'association Métro de Bordeaux, qui considère ce projet comme non-prioritaire, le maire de Cenon Jean-François Egron a réagit en invoquant des chiffres. « Deux tiers de la population de la commune habite sur le haut-Cenon [soit plus de 15.000 habitants, ndlr] . Le Rocher de Palmer, c'est 150.000 à 200.000 visiteurs par an, le futur cinéma Utopia c'est aussi 150.000 personnes par an, sans compter le projet d'aménagement du parc de Palmer. Il y a aussi les flux venant de la ville de Bordeaux avec toutes les personnes qui vont travailler d'une rive à l'autre ainsi que le volet touristique » a mobilisé l'édile.

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Le centre commercial des 4 Pavillons de Lormont, vers lequel une extension pourrait être réalisée, voit également d'un œil favorable l'arrivée de la télécabine et se verrait prêt à ouvrir les discussions autour de la mobilisation de son actif foncier. Un espace au sol qui, côté rive gauche pour l'autre desserte, manquerait cruellement afin de créer un vrai pôle de mobilité.

Au-delà des questions de flux, les premiers retours d'expériences de Toulouse sont instructifs. Le 28 décembre dernier, le gestionnaire Tisséo a annoncé avoir atteint 1 million de visiteurs depuis l'ouverture de son téléphérique. Un chiffre symbolique qui cache pourtant une sous-fréquentation par rapport aux attentes des élus. Au printemps dernier avec le lancement de l'infrastructure, la métropole toulousaine tablait sur le transport de 8.000 personnes par jour. Or, avec un million d'usagers en sept mois, le téléphérique n'a accueilli en moyenne que 4.700 usagers quotidiens. Soit 40 % de moins que prévu. À Bordeaux, la Métropole estime un potentiel de fréquentation de 9.000 à 18.000 personnes par jour en 2030.

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Petite information pour gros surcoûts

C'est une mention passée presque inaperçue dans le dossier de concertation mais elle est pourtant bien là, en bas de la page 67. Dans le volet relatif aux caractéristiques de chaque tracé, on peut voir, comme annoncé l'an passé, que le coût du projet est compris entre 50 et 80 millions d'euros. Jusque là, pas de surprise. Sauf qu'il est précisé en-dessous des tableaux : « Les coûts exprimés [...] concernent la technologie monocâble. Dans le cas d'un projet retenant la technologie 3S, un surcoût d'environ 50M€ HT en investissement est à prévoir et 1M€ HT pour l'exploitation et maintenance. »

Or cette technologie est précisément celle retenue à Toulouse pour faire face aux vents violents qui sévissent parfois. Si Bordeaux Métropole opte pour cette technologie, le coût de l'infrastructure pourrait doubler ! Ou, disons-le ainsi, le surcoût serait de 100 %. Et si le trajet entre Buttinière et Cité du Vin, le plus onéreux à construire, est retenu, alors le montant total atteindra 130 millions d'euros.

Un chiffre qui représente 7 % du budget annuel de l'agglomération. Les élus de la majorité de gauche semblent pourtant déterminés et ce, même si la télécabine n'est pas livrée dès 2026 pour la fin du mandat d'Alain Anziani, comme le président l'espérait au départ.

L'alternative tramway

Le groupe d'opposition a fustigé le projet télécabine, le qualifiant de gadget touristique coûteux et proposé une solution alternative avec un tramway. La nouvelle ligne relierait la gare de Cenon à la Cité du vin, via le pont Chaban-Delmas. La Fnaut girondine (Fédération nationale des associations d'usagers des transports) s'y dit aussi favorable. « A la construction du pont, la CUB communiquait sur la faisabilité et l'insertion d'une voie tramway sur l'ouvrage. 10 ans après son inauguration, la faisabilité ne pourrait être contestée » indique-t-elle dans la contribution que La Tribune a pu consulter.

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Maxime Giraudeau

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