Trois ans après, le label du Bâtiment frugal bordelais est toujours en chantier

DÉCRYPTAGE. Échec patent ou simple retard à l'allumage ? Trois ans après sa présentation, le label du bâtiment frugal bordelais n'a toujours aucun immeuble à présenter. Pour y remédier et intégrer la crise historique du logement neuf, la mairie écologiste de Bordeaux s'attache à le réécrire. Elle présentera début mars une nouvelle version laissant aux promoteurs davantage de souplesse dans le choix des critères obligatoires. Au risque de renoncer aux ambitions initiales ?
L'îlot Piéchaud, livré par Idéal Groupe à Bordeaux Saint-Augustin, a tenté en vain de décrocher le label du bâtiment frugal bordelais en allant jusqu'à demander un permis de construire modificatif. Trop avancé, il n'a pu décrocher suffisamment de critères.
L'îlot Piéchaud, livré par Idéal Groupe à Bordeaux Saint-Augustin, a tenté en vain de décrocher le label du bâtiment frugal bordelais en allant jusqu'à demander un permis de construire modificatif. Trop avancé, il n'a pu décrocher suffisamment de critères. (Crédits : MG / La Tribune)

Elaboré dès le mois de septembre 2020, deux mois seulement après l'élection de Pierre Hurmic à la mairie de Bordeaux, puis dévoilé au printemps 2021, le label du Bâtiment frugal bordelais (BFB) était présenté comme un marqueur politique de la municipalité écologiste. Ses 42 critères, dont 22 obligatoires, devaient prouver qu'il est possible de concevoir et construire des logements en consommant moins de ressources tout en garantissant une meilleure qualité d'usage. Plusieurs démonstrateurs étaient annoncés à court terme pour concrétiser cette nouvelle ville « frugale ». Mais trois ans plus tard, on attend toujours le premier bâtiment labellisé.

Un label inapplicable et inappliqué

Un temps désigné comme premier lauréat le plus probable, l'îlot Piéchaud d'Ideal Groupe a finalement été mis hors-jeu. Malgré un permis de construire modificatif engagé volontairement pour tenter de décrocher le label, le programme était trop avancé pour se qualifier. Une absence de réalisation qui offre un boulevard à l'opposition : « Ce label est une coquille vide ! On ne construit pas des logements avec des labels normatifs mais en négociant des opérations concrètes avec des promoteurs. Or, cette majorité n'a pas de vision urbaine », attaque Fabien Robert (Modem), mettant en avant les grandes opérations de l'ère Juppé. « Les gens ne veulent plus qu'on construise n'importe quoi à côté de chez eux », rétorque Stéphane Pfeiffer, l'adjoint au maire chargé de l'urbanisme résilient, du service public de l'habitat et de l'économie sociale et solidaire, lui-aussi en référence à ces grandes opérations urbaines.

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Mais, les professionnels en conviennent, la réalité est plus complexe puisque le logement neuf traverse une crise historique depuis l'automne 2022. Ce qui n'empêche pas non plus un constat sévère sur la démarche initiée en 2020 : « Dans sa version initiale, le bâtiment frugal portait une ambition trop complexe pas assez pragmatique. Aucun des douze démonstrateurs envisagés n'a d'ailleurs été labellisé... C'était un outil de communication trop théorique mais on constate aujourd'hui une démarche plus constructive », tranche ainsi Pierre Vital, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) et directeur général d'Ideal Groupe. Les professionnels du bâtiment et de la construction, qui avaient paraphé le label fin 2021, dénoncent une charte jugée irréaliste et hors-sol dans le contexte actuel de crise.

Une affirmation contestée par le cabinet 180° Ingénierie, qui a participé à l'élaboration du label et défend « un outil qui s'appuie sur des procédés existants et qui est parfaitement applicable si on s'en donne les moyens. » Mais c'est aussi là que ça coince : les surcoûts induits par le label - entre 10 % et 40 % selon la mairie à l'époque - viennent s'ajouter à une situation déjà critique pour la construction neuve. Bien que les nouvelles règlementations thermiques et l'inflation pèsent également dans la balance. L'architecte bordelais Nicolas Merlo, membre du conseil de l'Ordre des architectes de Nouvelle-Aquitaine, se montre plus nuancé : « C'est un label qui va dans le bon sens avec des ambitions fortes pour faire mieux avec moins et s'adapter au contexte climatique. Mais, au-delà d'une belle écriture, ce label était difficilement applicable sur le plan opérationnel faute d'accompagnement suffisant. »

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Une réécriture en passe d'aboutir

Des critiques qui ont, semble-t-il, été entendues par la municipalité écologiste après la démission, en septembre 2022, de Bernard Blanc, l'adjoint en charge de l'urbanisme résilient et père du bâtiment frugal. À défaut d'intégrer le label in extenso, la nouvelle mouture du PLU métropolitain, votée le 2 février dernier, en a repris certaines orientations, telles que l'obligation de logements traversants et d'espace extérieurs, leur donnant de facto une force juridique qui leur manquait. Parallèlement, un travail de réécriture est en passe d'aboutir.

Des réunions avec les professionnels ont permis de faire remonter des sujets de frictions et une nouvelle version du label frugal doit être présentée mi-mars. « L'enjeu aujourd'hui n'est plus tant de construire des logements frugaux que d'arriver simplement à construire des logements », lâche un élu bordelais. Cette réécriture marquera-t-elle pour autant un renoncement par rapport aux ambitions initiales ? « Absolument pas ! On ne touche pas aux objectifs mais on retravaille la méthode pour éviter qu'un projet qui coche 21 cases sur 22 soit recalé », promet Stéphane Pfeiffer. « Nous gommons aussi des critères trop techniques ou restrictifs, notamment pour les réhabilitations. On ne demande pas des bâtiments 100 % purs et parfaits, ce serait irréaliste et impossible en termes de coûts mais il faut s'inscrire dans une démarche frugale réelle et cela prend un peu de temps », ajoute l'élu écologiste.

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Des critères plus souples

Concrètement, les 22 critères obligatoires devraient laisser la place à un socle de 16 critères plus six à choisir parmi les 26 critères restants (lire encadré). Un léger assouplissement du dispositif raillé par l'opposition de droite et du centre -« quand on n'atteint pas les objectifs, on les change », juge Fabien Robert - mais qui ne suscite pas non plus l'adhésion de la filière : « Cela reste en décalage par rapport à la réalité des équilibres économiques des programmes et à la capacité des filières à fournir des matériaux tels que la paille, le chanvre ou la terre crue. De ce point de vue-là, il n'y a pas de renoncement ! », observe la Fédération du bâtiment de Gironde.

Le bâtiment frugal bordelais version 2024

Selon le document de travail consulté par La Tribune, les 22 critères obligatoires laissent la place à un socle de 16 critères plus six à choisir parmi une liste de 26. Dans ce socle, il est question de travail sur les possibilités de réhabilitation et les besoins du quartier, d'éclairage naturel, de boucliers solaires, de ventilation naturelle, de matériaux bas-carbone, de consommation d'eau, de désartificialisation des sols, de biodiversité, de gestion des eaux pluviales et d'îlots de fraicheur. Pour obtenir le label « trois feuilles », correspondant à la note maximale, les 42 critères restent de mise dont la mutualisation des espaces, la solarisation des toitures, le confort d'été passif, l'économie de matériaux utilisés, les mobilités douces, l'évolutivité du bâti et la vie de l'immeuble à long terme.

Mais la mairie met aussi l'accent sur l'accompagnement des promoteurs. Un architecte chargé du suivi du label a été recruté et un appel d'offre a été publié début janvier afin de sélectionner pour trois ans un prestataire capable « d'animer et instruire le référentiel » pour « tous les bâtiments construits ou rénovés à Bordeaux ». « L'enjeu pour les gros programmes immobiliers c'est de leur proposer deux à trois rendez-vous de conseil en amont de la commission métropolitaine des avant-projets qui intervient avant le dépôt du permis de construire. C'est aussi d'être plus explicite sur la nature et le calendrier des prérequis demandés », précise Stéphane Pfeiffer. « C'est une évolution très positive sans concessions sur les ambitions initiales, salue Nicolas Merlo. L'accompagnement c'est la clef alors que ce label et la réglementation thermique RE2020 amènent de vrais changements dans les pratiques professionnelles et les matériaux utilisés. » L'architecte s'attend cependant à ce que « les surcoûts induits restent un facteur bloquant ».

De son côté, la FPI salue cet assouplissement des pré-requis, qui devrait permettre de faire aboutir des projets, tout en restant prudente sur la multiplication des réunions et des études théoriques en amont. « Pour éviter un échec collectif, l'enjeu c'est d'arriver à sortir des programmes puisque tout le monde a fait des efforts. Il faut donc continuer cette démarche pragmatique en faisant évoluer le label en fonction des retours d'expériences », précise Pierre Vital.

Quoi qu'il en soit, le temps presse pour la mairie écologiste : pour qu'un programme neuf lauréat du bâtiment frugal soit inauguré avant le scrutin municipal du printemps 2026, il faut qu'il soit lancé d'ici mi-2024 au plus tard. La mairie présentera officiellement le nouveau label le 11 mars prochain et assure que des programmes en cours de construction pourraient être labellisés dès cette année. « On a beaucoup de projets qui cochaient entre 16 et 21 prérequis, la nouvelle grille plus pragmatique devrait leur permettre de se qualifier », promet Stéphane Pfeiffer, tour en reconnaissant que décroche le label « trois feuilles », correspondant aux 42 critères, restera un tour de force.

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Commentaires 6
à écrit le 21/02/2024 à 11:33
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Les politiques français de tout bord prennent des décisions dogmatiques qui butent, à chaque fois, dans le mur des réalités, A Bordeaux, la municipalité écologique pensait pouvoir mettre en place un dispositif de construction de bâtiments frugaux, ma...

le 21/02/2024 à 19:09
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"n’atteindrait jamais son objectif trop ambitieux." voire excessivement [= trop, souvent excessivement remplace extrêmement (= beaucoup)] ambitieux donc inatteignable. Mais ça devait être une vitrine du résultat de leurs idées de 'perfection'. C'est ...

à écrit le 21/02/2024 à 9:31
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comme ils sont de gauche, donc tolerants dans la bienveillance juste, ils vont te rendre le label obligatoire, avec controles et sanctions; et comme ca n'interessera personne non plus de vivre l'urss, ils n'y aura plus de constructions du tout ' a l...

le 21/02/2024 à 10:49
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@churchill - Houlala...en forme ce matin ! Le charabia habituel est largement un ton au -dessus. Faudrait p'tetre une nouvelle ordonnance les médocs actuels ne semblent pas être au Top🤣

le 21/02/2024 à 19:04
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"ils vont te rendre le label obligatoire" ? S'il est irréaliste, ça servirait à quoi ? Comme demander une voiture électrique bien solide (sécurité) qui fait 300kg avec une grande autonomie. Ça n'existe pas. En supposant que la gageure puisse être ré...

le 26/02/2024 à 12:06
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@Valbel89 : effectivement, je me demande si on ne tient pas là un beau specimen de début de démence sénile...

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