
En baisse de 32 % fin juillet 2023, le nombre de logements mis en chantier sur douze mois est au plus bas depuis 20 ans en Gironde. Avec -14 %, le nombre de permis de construire délivrés suit la même tendance. À l'échelle régionale, les réservations de logements neufs ont chuté de -38 % au 2e trimestre 2023. Autant dire que le choc est brutal pour les professionnels de l'immobilier : « La situation est alarmante et nécessite une action immédiate », agite Thierry Leblanc, le président de la Fédération française du bâtiment de Gironde, à l'occasion du coup de gueule poussé conjointement avec huit autres organisations professionnelles ce mercredi 4 octobre : FPI, FFB Habitat, USH, Fnaim, Aria, Medef, CPME, Unam (*). Tous dénoncent « un grippage complet du parcours résidentiel », selon l'aménageur Jérôme Banderier avec des conséquences en cascade sur les socles familiaux, les trajectoires professionnelles, les choix de vie et les déplacements contraints.
« Il faut se réveiller ! »
« On n'a jamais connu une crise pareille. Il est impératif de prendre des mesures urgentes et décisives, il faut se réveiller ! Sinon on aura des conséquences gravissimes pour tout le monde », appuie Franck Schikowski, le président du pôle habitat de la FFB girondine, qui représente des aménageurs, promoteurs et constructeurs de maisons individuelles. Ces derniers sont ceux qui souffrent le plus avec des carnets de commandes qui se sont effondrés de moitié depuis un an sous l'effet conjugué de la flambée des taux de crédits immobiliers, de la hausse des coûts de construction et de la pression foncière. Des plans sociaux sont en cours chez les gros acteurs du secteur et les licenciements économiques se multiplient chez les plus petits.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Nombre de logements autorisés (permis de construire accordés) et commencés (chantiers démarrés) en France entière sur douze mois. (crédits : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).
Du côté des promoteurs, l'heure est au gel généralisé des recrutements et au non remplacement des départs, notamment chez les équipes commerciales. Au total, la FFB évalue à 1.500 le nombre d'emplois menacés dans la filière en Gironde si rien ne bouge. Pour l'heure, l'emploi dans le bâtiment affiche une baisse des embauches de 6 %, qui intervient après sept années de croissance continue, tandis que le nombre de défaillances d'entreprises au cours des douze derniers mois a bondi de 40 %.
Une série de propositions
Face à l'immobilisme du gouvernement, les professionnels réclament donc à nouveau des mesures énergiques, à la hauteur de l'effondrement du marché. Ils plaident pour large éventail de mesures : un retour du dispositif Pinel d'investissement locatif, un élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) aux zones non tendues et aux maisons individuelles, un statut du bailleur privé, des mesures fiscales pour soutenir l'accession, des aides à la rénovation énergétique à l'échelle de l'immeuble adossées à des baisses ciblées de TVA, des aides aux maires bâtisseurs, le déploiement du bail réel solidaire ou encore un report de l'interdiction des passoires thermiques fixée pour l'instant à 2025 pour les logements G, les plus énergivores qui représentent environ 8 % du parc. Ils invitent aussi les pouvoirs publics, gouvernement comme élus locaux, à agir sur la disponibilité du foncier et à jouer le jeu de la densification. « Mieux loger c'est bien, tous nous loger c'est mieux », résume Sophie Hopensztand.
Mais en renvoyant la balle successivement au coût des normes techniques et environnementales, au soutien public trop faible et à la frilosité des élus locaux, la filière donne aussi le sentiment de s'exonérer de toute responsabilité dans la recherche de solutions en termes de prix, de qualité du bâti ou de typologie de logements. « Nous ne réalisons que 5 à 6 % de marge sur une opération qui dure quatre à cinq ans. Nos marges de manœuvres sont assez faibles avec une rentabilité qui dégringole littéralement », répond Pierre Vital, le président de la FPI Nouvelle-Aquitaine. Il appelle cependant la filière et les pouvoirs publics à « travailler sur la massification et la formation pour dégager des économies d'échelles ». Pour boucler leurs opérations, certains promoteurs n'hésitent cependant pas à multiplier les ristournes commerciales en offrant les frais de notaires et plusieurs milliers d'euros par pièce. Mais l'exercice a ses limites : « On ne peut pas vendre à perte, ce n'est pas possible ! », écarte ainsi Cécile Despons, la présidente de la CPME Gironde.
« Une année 2024 encore plus mauvaise »
« Oui, il y a parfois des problèmes de qualité mais aussi de belles opérations. Ces dernières années on a réussi à répondre à la forte croissance de la demande et il faut former encore davantage », observe également Thierry Leblanc. Mais le pivot vers la rénovation du parc existant, la construction de la ville sur la ville ou les discussions avec les fabricants sur les coûts de distribution des matériaux prendront nécessairement du temps. « On est bien conscient que notre métier de constructeur de maison individuelle doit évoluer et qu'on ne pourra plus faire comme avant. Mais la maison individuelle correspond à un besoin réel et on ne peut pas rayer cette filière de la carte », ajoute Franck Schikowski.
Mais alors que les discussions budgétaires s'amorcent au Parlement, l'horizon immédiat des professionnels reste très sombre comme le rappelle Pierre Vital : « Chez les promoteurs immobiliers, le ressenti du marché en cette rentrée 2023 est de l'ordre de 6,5 sur 20. Pour 2024, ce ressenti tombe à 3,5 sur 20. Preuve que tout le monde s'attend à une année 2024 encore plus mauvaise. »
« On est assez inquiet sur un trou d'air pour l'an prochain. On le ressent déjà, il y aura de la casse au niveau des agences immobilières. Il n'y a pas de plans sociaux programmés pour l'instant mais les grands groupes immobiliers se penchent là-dessus », indique Patrick Seguin, le président de la CCI Bordeaux Gironde.
Car si dans l'immobilier ancien, l'ajustement du marché se fera mécaniquement par les prix, dans le logement neuf c'est un autre histoire : alors même qu'un acquéreur sur deux renonce à cause d'un refus de financement, le prix des logements neufs à Bordeaux Métropole continue à grimper.
Pour mémoire, le bâtiment résidentiel et tertiaire a représenté 16 % des émissions de gaz à effet de serre en France en 2022.
(*) Il s'agit de la Fédération des promoteurs immobiliers de Nouvelle-Aquitaine, du pôle habitat de la FFB Gironde, de l'Union régionale des HLM de Nouvelle-Aquitaine, de la Fédération nationale des acteurs de l'immobilier de Gironde, l'Association régionale de l'ingénierie d'Aquitaine, le Medef, la CPME et l'Union nationale des aménageurs.
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