Pourquoi Bordeaux Euratlantique a été renfloué à hauteur de 150 millions d'euros

Une ville plus basse, moins carbonée et plus connectée aux habitants. L'opération d'intérêt national Bordeaux Euratlantique vient d'être prolongée de dix ans et recapitalisée de 150 millions d'euros, soit davantage que la mise de départ, pour rester à flot. Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les conséquences pour ce projet urbain qui veut désormais rompre avec son étiquette de quartier d'affaires ? Décryptage
La Tour Hypérion, l'un des symboles de la première décennie de Bordeaux Euratlantique. L'opération d'intérêt national vient d'être recapitalisée à hauteur de 150 millions d'euros.
La Tour Hypérion, l'un des symboles de la première décennie de Bordeaux Euratlantique. L'opération d'intérêt national vient d'être recapitalisée à hauteur de 150 millions d'euros. (Crédits : Agence APPA)

« Les nouvelles orientations stratégiques et financières de l'établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique » ont été annoncées le 1er décembre dernier prolongeant officiellement l'opération de dix ans, jusqu'à 2040. Le conseil d'administration, qui réunit l'État et les collectivités, a également acté des ambitions quantitatives et qualitatives grâce à un réinvestissement de 150 millions d'euros d'argent public, soit davantage que la mise de départ de 100 millions d'euros ! Mais plus que d'un prolongement, il s'agit en réalité de renflouer une opération dont les coûts ont explosé et qui s'orientait vers un énorme déficit. « Si on ne décidait rien, c'est un trou de 150 millions d'euros qui se profilait à l'horizon 2030. Donc soit on décidait de partager ce déficit à fin d'affaires entre l'Etat et les collectivités, soit on s'organisait pour faire autrement », confirme à La Tribune Valérie Lasek, la directrice générale de l'EPA.

« Le coût du foncier a été largement sous-estimé ! »

En 2009, l'Opération d'intérêt national (OIN) est lancée avec une mise de départ de 100 millions d'euros apportée par l'Etat (35 %), Bordeaux Métropole (35 %) et les villes de Bordeaux (20 %), Bègles (7 %) et Floirac (3 %). Dans un contexte de cycle immobilier euphorique, le modèle économique est fondé sur la création de valeur liée à l'aménagement des terrains (ventes de terrains viabilisés, fiscalité). Mais quinze ans plus tard, le constat est là : « le coût du foncier a été largement sous-estimé ! », lâche Valérie Lasek, arrivée aux manettes mi-2021. La directrice générale, passée par le cabinet de l'écologiste Cécile Duflot au ministère du Logement, pointe notamment les limites des ZAD, les zones d'aménagement différé qui permettent de geler le prix du foncier : « Une ZAD ne dure que six ans, on a donc déjà réajusté deux fois les valeurs foncières qui se renchérissent de manière significative puisqu'on transforme des friches urbaines. »

Il n'empêche, cet erreur d'appréciation sur le coût du foncier, qui est de loin le premier poste de dépense, fait tache pour un aménageur. Elle s'explique aussi par l'absence jusqu'en 2017 d'un établissement public foncier dans l'agglomération bordelaise. Refusé pendant des années par Alain Juppé, qui ne voulait pas alourdir la fiscalité locale, un EPF aurait pu tempérer la flambée du foncier. Mais un autre item, moins prévisible, a également dérapé : les coûts de construction nourris par l'inflation de l'énergie comme des matériaux. « Sur le temps long, on ne s'est pas trop trompés mais le Covid et la guerre en Ukraine sont des chocs externes imprévisibles avec des conséquences importantes sur les calendriers et les équilibres des opérations », fait valoir Valérie Lasek, pointant aussi le retournement du cycle immobilier. « C'est un coup d'arrêt très brutal. On a perdu des réservataires sur des commercialisations bien engagées », ajoute-t-elle. Pour équilibrer les opérations des promoteurs, l'EPA doit diminuer la charge foncière tout en restant contraint, à l'autre bout de la chaîne, par un objectif de prix maîtrisé pour les logements neufs.

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Un scénario intermédiaire

Face à cette situation dégradée, l'Etat et les collectivités ont travaillé sur trois scénarios correspondants à trois degrés d'ambitions urbaines et d'investissement public (100, 150 et 200 millions d'euros) en partant du principe qu'octroyer davantage de droits à construire permet de gonfler les recettes de l'EPA au détriment de la qualité de vie et inversement. Or, pensé et perçu comme un quartier d'affaires, Bordeaux Euratlantique prône désormais mixité urbaine et résilience climatique. Le reflet d'un changement d'époque et des mutations politiques locales avec, notamment, l'élection en 2020 de l'écologiste Pierre Hurmic à la mairie de Bordeaux. Ce dernier, qui vante tout à la fois la végétalisation de la ville, l'économie sociale et solidaire (ESS), le bâtiment frugal et les panneaux solaires en toiture, a cependant vite été confronté à la réalité. En particulier sur le projet structurant de la rue bordelaise, rebaptisé Canopia, qui n'a finalement été retouché qu'à la marge : « J'ai eu en face de moi un promoteur disposant d'un contrat qui, à mon sens, n'avait pas été négocié », regrette le maire de Bordeaux.

Des mensurations hors-norme

Initiée en 2010 et désormais prévue pour durer jusqu'à 2040, l'opération d'intérêt national Bordeaux Euratlantique est la plus vaste opération d'aménagement hors Île-de-France. Les chiffres gargantuesques sont là pour en témoigner : sur 738 hectares de friches urbaines, ferroviaires et industrielles à Bordeaux, Bègles et Floirac, il est question d'accueillir à terme 50.000 nouveaux habitants et 30.000 emplois. Au total, 1,5 million de m2 de surfaces nouvelles sont programmées dont 25.000 logements, six groupes scolaires et 50 hectares d'espaces verts. Fin 2023, 5.000 logements ont été livrés et autant sont soit en construction soit en passe de le devenir.

Mais avec le maire EELV de Bègles, Clément Rossignol-Puech, qui préside également l'EPA, les élus locaux ont fait valoir leurs visions. Au final, c'est le scénario intermédiaire à 150 millions d'euros avec un prolongement de dix ans qui a été retenu pour « maintenir un volume de logements à construire et un haut niveau de performance environnementale ». Un scénario intermédiaire présenté par l'EPA comme « le plus compatible avec la conjoncture économique et les ambitions urbaines : aller plus loin dans la pérennité des bâtiments, leur écoconstruction, leur réversibilité, leur intensité d'usage mais également dans l'aménagement des espaces publics et leur renaturation. »

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Des ambitions confirmées et amendées

« On n'a perdu aucune opération et on maintient l'objectif global de construction de 25.000 logements neufs sur l'ensemble de l'OIN jusqu'à 2040, en conservant des prix maîtrisés et la performance environnementale », se félicite Valérie Lasek pour qui ce scénario à 150 millions d'euros constitue un bon compromis en termes d'équilibres urbains :

« Le scénario à 200 millions d'euros n'était pas forcément idéal parce qu'il proposait davantage d'espaces verts et donc davantage de hauteur alors que nous souhaitons désormais aller vers une ville plus basse, plus intégrée aux quartiers existants et mieux connectée aux riverains », détaille la directrice générale. « L'OIN doit aussi bénéficier aux habitants de Bordeaux, Bègles et Floirac qui sont déjà là, c'est légitime et c'est l'une des leçons des premières années de l'EPA ! »

« Ce n'est pas à 100 % la ville dont nous rêvons mais c'est une grosse opération réorientée dans un sens beaucoup plus conforme à l'urgence climatique », salue également Pierre Hurmic. Le maire de Bordeaux, qui qualifiait encore le projet, en juin 2023, de « caillou dans sa chaussure », fait notamment face à la colère des habitants du quartier Amédée-Saint-Germain qui réclament davantage d'espaces verts.

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S'émanciper du quartier d'affaires

À l'origine, soutenue par le président socialiste Bordeaux Métropole, Vincent Feltesse, et l'ancien maire de droite Alain Juppé, cette opération déclarée d'intérêt national en 2009, portait l'ambition d'un quartier d'affaires pour accompagner l'arrivée de la grande vitesse qui a mis Bordeaux à deux heures de train de Paris en 2017. « Son objectif était de créer des bureaux d'affaires, du tertiaire supérieur, et d'accueillir des habitants, d'inscrire Bordeaux dans la compétition entre métropoles européennes, avec cette idée de métropole millionnaire », rembobine Clément Rossignol-Puech.

Mais avec la crise immobilière et les évolutions politiques locales, cette vision apparaît désormais datée. « L'EPA a porté une image de quartiers d'affaires mais dans les faits c'est moins évident et il y a aujourd'hui une vraie réflexion sur les volumes de bureaux à produire avec une demande des entreprises de s'installer dans des quartiers vivants et mixtes », confirme Valérie Lasek. L'EPA reçoit aussi une demande croissante de locaux pour des activités artisanales, des commerces et des lieux hybrides activité-bureau. « Nous aurons dans la ZAC Bègles Garonne une offre dédiée à l'ESS. Cela nous coûte plus cher mais il faut le faire, c'est indispensable ! », ajoute la directrice générale.

Toutes ces évolutions seront formalisées au premier trimestre 2024, quelques mois avant l'ouverture au public des quais piétons au sud de Bordeaux, prévue en juin, et la mise en service du très attendu pont Simone Veil, annoncée pour le mois de juillet.

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Commentaires 2
à écrit le 11/01/2024 à 6:54
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Bonjour, encore de l'argent publique, pour quel résultats , voila la question... Pour tout cela , je reste tres septique.. Mais bon, ils semblerait que cela n'inquiète personne...

à écrit le 09/01/2024 à 9:57
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Des projets nouveaux devraient être initiés dans des villes à l'immobilier modéré afin justement d'en rééquilibrer le marché et de soutenir ces projets en soi. Au sein de régions dévastés par la cupidité marchande immobilière c'est le projet en lui m...

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