« L'aéroport de Bordeaux-Mérignac a tout pour accueillir le prochain SpaceX »

INTERVIEW. « Nous développons de nouveaux métiers dans la production d'énergies vertes et le développement économique ! », déclare Simon Dreschel. Dans un entretien à La Tribune, le président du directoire de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac fait le bilan de ses deux premières années et de la fin de la navette Bordeaux-Orly. Il esquisse aussi l'avenir de l'aéroport entre plan stratégique, qualité de service, biocarburants et filière du New Space en plein essor.
Simon Dreschel préside le directoire de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac depuis deux ans.
Simon Dreschel préside le directoire de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac depuis deux ans. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Quel est le bilan de la saison estivale 2023 pour l'aéroport de Bordeaux-Mérignac ?

SIMON DRESCHEL - C'est à la fois une saison de reconstruction du trafic et un franc succès puisque nous avons fait transiter près de 1,5 million de passagers sur juillet-août. On voit que les gens ont besoin de se déplacer même si le trafic estival reste encore inférieur de 10 % à celui de 2019, ce qui est dans la norme des aéroports français. Sur l'ensemble de 2023, on devrait être à 6,4 millions de passagers [en hausse de 12 % par rapport à 2022 mais inférieur de 18 % au record de 2019, NDLR]. L'aéroport propose aujourd'hui 130 lignes vers une centaine de destinations avec une trentaine de compagnies aériennes. On a connu un gros trafic au mois de septembre avec la venue du roi d'Angleterre et la Coupe du monde de rugby et des pics à 6.000 supporters irlandais par jour !

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Visez-vous un retour au niveau de trafic de 2019 et, si oui, à quel horizon ?

Notre feuille de route prévoit un retour au trafic de 2019 à l'horizon 2026, un peu plus tôt que prévu initialement. Mais on n'est plus sur une logique de volume. Je suis arrivé en sortie de Covid dans une entreprise qui perdait de l'argent avec un trafic au plus bas. L'objectif était donc de reconstruire, de renouer avec la rentabilité et de bâtir un nouveau plan stratégique. C'est ce que nous avons fait depuis deux ans sans chercher à attirer toujours plus de voyageurs dans une course sans fin au volume.

Comment cette volonté se traduit-elle concrètement ?

C'est une nouvelle stratégie commerciale pour rééquilibrer l'offre avec 60 % de compagnies low-cost et 40 % de compagnies premium alors qu'on était au-delà des 70 % de low-cost avant le Covid. Mais, en tant qu'aéroport, on ne peut pas refuser le droit à une compagnie d'opérer depuis Bordeaux. En revanche, on peut discuter, inciter et aller démarcher des nouvelles compagnies qui répondent au besoin du territoire.

Dans ce cadre, menez-vous une réflexion pour réduire les rotations sur un weekend au profit d'offres à la semaine par exemple ?

Non, on ne prend pas le sujet par ce prisme. Partir sur un weekend ça peut être du tourisme mais ça peut être aussi pour aller voir sa famille. On réfléchit plutôt sur la cohérence de telle destination avec les besoins du territoire : est-ce que cela a du sens pour les réseaux de coopération, pour la recherche et les universités, pour les entreprises girondines ? Les nouvelles destinations vers l'Allemagne répondent à ces critères pour dépasser le cliché du week-end à Ibiza !

Simon Dreschel

Simon Dreschel pilote l'aéroport de Bordeaux depuis le mois d'août 2021 (crédits : Agence APPA).

La suppression de la navette Air France entre Bordeaux-Orly et de ses 600.000 voyageurs annuels a donc été digérée... et remplacée par des vols vers d'autres destinations, potentiellement plus lointaines et donc plus polluantes ?

Effectivement, il est clair que l'on peut se poser des questions sur le bilan mathématique de la suppression de la navette en termes d'émissions de CO2... À Bordeaux, il n'y a pas de créneaux attribués à telle ou telle compagnie mais les vols vers Orly ont probablement été remplacés par des vols potentiellement plus lointains mais aussi par des déplacements en train ou en voiture ou par la suppression d'une partie des déplacements professionnels. Du côté des avions d'affaires, l'augmentation est très légère à Bordeaux et ne traduit pas un report vers ce moyen.

Nous acceptons totalement cette suppression mais on aimerait que les choses soient plus motivantes ! Sur cette liaison Bordeaux-Orly, on pourrait imaginer des objectifs sur des avions moins émetteurs de CO2, un recours obligatoire au biocarburant, une réduction des fréquences ou même une forte augmentation du prix du billet ! On a envie d'innover avec tous nos partenaires, ce serait plus motivant pour l'entreprise que de se faire taper dessus comme on le ressent en ce moment. On mène un grand plan de transformation avec 240 millions d'euros d'investissements, c'est du jamais vu ! On travaille, on se sent utile pour le territoire mais le discours global ne nous est pas favorable, c'est compliqué à accepter pour les équipes.

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Vous faites notamment référence à la future taxe climat sur les aéroports. Bordeaux-Mérignac sera-t-il concerné ?

On suit ce sujet de près puisque les discussions sont toujours en cours. Pour l'instant, Bordeaux n'est pas concerné mais ça pourrait être le cas à l'avenir. Nos recettes d'exploitation sont encore 10 % à 15 % inférieures à l'avant Covid.

Faut-il ou faudra-t-il plafonner le trafic de l'aéroport de Bordeaux ?

Je n'emploierais pas le terme de plafond ! Le dimensionnement de l'aéroport saura répondre au développement du territoire dans les 20 ans qui viennent. La stratégie à cinq ans, qui est financée, prévoit de retrouver le trafic de 2019 en 2026 ou 2027 et de le faire de manière qualitative. Ensuite, il y aura nécessairement des questions à se poser avec tous nos partenaires : faut-il arrêter de grandir ou faut-il continuer ?

Le plan stratégique de l'aéroport a été adopté en décembre dernier. Quelles en sont les priorités ?

Les projets d'extension de Billy, le terminal low-cost, ont été abandonnés. En revanche, un nouveau bâtiment central est en projet pour améliorer la liaison entre les halls A et B avec une zone de commerces plus proche des avions. L'amélioration de la qualité d'accueil est l'un des sujets prioritaires avec des petites victoires déployées depuis deux ans : davantage de fontaines à eau, la climatisation des locaux, de nouveaux blocs sanitaires qui coûtent près de 500.000 euros chacun, etc.

C'est précisément un point où Bordeaux-Mérignac a été pointé comme l'un des pires aéroports européens deux années de suite dans une enquête fondée sur les notes déposées sur Google Maps...

Oui et je veux répondre sur deux points. Le premier c'est que nous entendons ces critiques, nous les prenons en compte et nous travaillons tous les jours pour améliorer la qualité de service de l'aéroport ! Le deuxième c'est que je trouve que ces critiques sont un peu dures et qu'on mérite d'être mieux défendus au regard des efforts menés. J'en ai un peu marre que tout le monde passe son temps à nous taper dessus ! Je peux le dire très sereinement : nous ne sommes pas le pire aéroport d'Europe ! Ce qui n'empêche pas de dire aussi qu'il y a des voyageurs qui ont des mauvaises expériences.

Simon Dreschel

Le plan stratégique comporte aussi un volet innovation, avec un directeur dédié recruté l'an dernier. Où en êtes-vous sur ce sujet ?

Nous développons de nouveaux métiers dans la production d'énergies vertes et le développement économique ! Notre logique est de diminuer le CO2 dans le fonctionnement de l'aéroport et dans les atterrissages des avions avec une certification à la clef. Cela passe par de la production d'énergies renouvelables et la performance du bâti. Nous venons de couvrir le parking P0 de panneaux solaires qui permettent d'atteindre 5 % d'autoconsommation de notre électricité et nous menons des études sur la géothermie pour viser 65 % d'énergies renouvelables fin 2027. La cellule innovation, composée de deux personnes, explore aussi les sujets de demain : les robots pour la propreté, les files d'attente virtuelles, les contours du nouveau bâtiment central qui sera livré en 2027-2028 et devra donc répondre aux usagers des années 2030. Et il y aussi la dimension économique pour accueillir des entreprises.

La startup Dark, qui opère dans le New Space, vient d'annoncer son implantation à l'aéroport de Bordeaux. Une première qui en appelle d'autres ?

Oui ! Elle s'installera dans le périmètre de l'aéroport où nous avons dix hectares de foncier aménageable et disponible, ce qui constitue une véritable pépite ! Nous voulons y implanter des entreprises intelligemment avec une cohérence d'ensemble et un objectif d'y créer des emplois. On a une grosse carte à jouer sur le New Space et j'ai la conviction qu'on a tout pour accueillir le prochain SpaceX ! Des entreprises comme Dark ou The Exploration Company [installée à Mérignac, NDLR] montrent le chemin. Ce foncier disponible est un vrai avantage concurrentiel pour un aéroport comme le nôtre, nous devons le valoriser ! Au final, on porte vraiment une stratégie d'ancrage au service de tout le territoire, on veut jouer un rôle de facilitateur et faire aussi du développement économique. Et on travaille également sur les vols de drones au sein de l'aéroport puis à terme sur le transport de passagers par drones avec des premiers vols à l'horizon 2030.

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L'aéroport propose un service de carburant aérien durable (SAF) depuis juin 2022. Quel est le bilan un an plus tard ?

C'était une première à l'époque et nous sommes encore unique en France à proposer cette possibilité et à en faire la promotion. Maintenant, est-ce que les compagnies en prennent assez ? La réponse est non ! Les compagnies régulières n'en ont pas pris. C'est un carburant qui reste trois fois plus cher que le kérosène classique et les grosses compagnies, comme Air France KLM se fournissent plutôt dans leurs gros hubs de Paris et Amsterdam. C'est plutôt l'aviation d'affaires qui s'y met pour l'instant dans le cadre de politiques RSE. Mais nous allons maintenir et amplifier cette offre parce que l'histoire et la règlementation nous donneront raison ! On travaille à la structuration d'une filière régionale avec, par exemple, les projets d'Elyse Energy à Lacq.

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Une étude d'impact sur les nuisances sonores et nocturnes de l'aéroport vient d'être lancée. Qu'en attendez-vous ? Jusqu'où êtes-vous prêt à évoluer ?

Nous nous félicitions que cette étude soit menée et que ce ne soit pas par nous. Nous avons besoin de cette étude pour répondre aux questions du territoire et des riverains. Sur les vols de nuit, nous n'avons pas de restrictions mais ce n'est pas de notre responsabilité, c'est l'État qui décide. De notre côté, nous avons augmenté les tarifs la nuit : un avion qui se pose entre minuit et 5h paie deux fois plus cher sa redevance d'atterrissage. Sur les nuisances sonores, on écoutera les conclusions pour préserver un équilibre entre notre modèle économique et le confort des riverains. Je suis convaincu qu'un vol logistique qui transporte 8.000 colis pour les habitants de la région ou qu'un vol de retour de weekend resteront importants, à l'inverse des vols purement touristiques peuvent probablement être décalés. Aujourd'hui, c'est très variable mais en moyenne on est autour de sept vols par nuit.

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Commentaires 3
à écrit le 17/10/2023 à 13:50
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On est ravi 🤬🤬🤬🤬🤬 Il peut être content d'ouvrir de nouvelles destinations low cost. Il ne vit sûrement pas sous les avions ni les actionnaires d'ailleurs. Bizarre !! Le maire de Bx soit disant EELV ne dit rien. Bx est aussi le seul aéroport à autor...

à écrit le 17/10/2023 à 10:12
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Il fait le beau alors que son aéroport est le dernier en Europe en terme de qualité ....... Il ne manque pas de culot !!!!!!!

à écrit le 17/10/2023 à 9:45
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Et il est content Simon Dreschel! Béat dans son aéroport alors qu'il sait parfaitement les effets nocifs du transport aérien de masse (low cost) qui induit un tourisme de masse tout aussi nocif.

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