Comment décarboner son activité économique ? Mode d'emploi avec EthicDrinks

INTERVIEW. Étiquette, bouchon, bouteille, transport, emballage, livraison... Mickaël Alborghetti, le fondateur d'EthicDrinks, a scruté, analysé et modifié chaque maillon de son activité pour "nettoyer le métier de négociant" en vin. La startup bordelaise créée fin 2019 produit du vin bio ou HVE en poursuivant un double objectif : zéro plastique et zéro carbone. Dans un entretien à La Tribune, Mickaël Alborghetti revient en détail sur chaque étape de ce travail en profondeur, sur les surcoûts induits et sur ce qu'il lui reste à faire.
Bouteille allégée, abandon de la capsule et étiquette sans plastique : ce n'est que la partie visible du travail de fond réalisé par EthicDrinks pour compenser l'impact sur l'environnement de son activité de négociant en vin.
Bouteille allégée, abandon de la capsule et étiquette sans plastique : ce n'est que la partie visible du travail de fond réalisé par EthicDrinks pour compenser l'impact sur l'environnement de son activité de négociant en vin. (Crédits : Ethic Drink)

Après une formation d'ingénieur agronome et d'œnologie à Purpan INP Toulouse, Mickaël Alborghetti a travaillé pendant cinq ans en tant que négociant chez Georges Vigouroux, à Cahors (Lot), avant de fonder EthicDrinks fin 2019 avec sa compagne Camille Gante Alborghetti et d'intégrer le Village by CA d'Aquitaine l'an dernier. Objectif : modifier en profondeur le fonctionnement de son métier pour réduire drastiquement et compenser les émissions carbone, se désintoxiquer du plastique et adopter le statut d'entreprise à mission.

LA TRIBUNE - Quelle est l'activité d'EthicDrinks et quels sont vos chiffres clefs un an après votre lancement commercial ? 

MICKAËL ALBORGHETTI - Nous avons lancé l'entreprise quelque mois avant la crise du Covid et les taxes décidés par Donald Trump contre les vin français alors même que le marché américain est prioritaire pour nous. Malgré tout, en 13 mois, nous avons déjà écoulé 120.000 bouteilles pour environ 400.000 euros de chiffre d'affaires, dont 80 % sont vendues aux Etats-Unis. Nous proposerons six gammes de vins rouge, blanc, rosé et pétillant en 2021 chez différents distributeurs, exclusivement en BtoB. Nous nous approvisionnons en vrac chez des producteurs certifiés bio ou HVE [haute valeur environnementale] et nous réalisons l'assemblage nous-même sous notre propre marque. On vise des consommateurs plutôt jeunes, plutôt féminins et plutôt grand public avec des vins vendus moins de dix euros. EthicDrinks c'est une équipe de huit collaborateurs, pas encore salariés, et nous espérons doubler l'activité en 2021 pour viser un million d'euros de chiffre d'affaires. Même si c'est très compliqué de se prononcer vu l'absence totale de visibilité.

Vous ambitionnez de "nettoyer le métier de négociant". Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire qu'on a listé tous les éléments qui constituent une bouteille de vin - le vin, la bouteille en verre, le bouchon, l'étiquette, la capsule, l'emballage et le transport en amont et en aval - et qu'on a regardé à chaque fois comment on pouvait changer les pratiques, les sources d'approvisionnement et les matières pour réduire au maximum les impacts sur l'environnement. Nous voulons agir à notre échelle en réduisant autant que possible les émissions de carbone et en éliminant complètement le plastique. Aujourd'hui si l'on regarde le cycle de la vigne, le métier de négociant est le seul maillon où rien ou presque n'a été entrepris pour rendre les pratiques plus respectueuses de l'environnement. Cela s'explique parce que c'est un secteur qui ne se porte pas bien et que changer les pratiques et les habitudes, ce n'est pas facile, ça a un coût et ça suppose de gros sacrifices notamment en termes de logistique et de design.

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Qu'est-ce qui différencie votre démarche des multiples initiatives "vertes" que l'on voit fleurir dans le vin et ailleurs ?

Notre avantage c'est que nous sommes un nouvel entrant, on part d'une feuille blanche et on choisit très précisément avec qui on travaille. Si les pratiques ne sont pas assez exigeantes et transparentes, on dit non ! Ensuite, on envisage le problème en analysant tout le cycle de vie de chaque composant de la bouteille de vin : origine des matières, fabrication, transport jusqu'à chez nous, pose, emballage, livraison chez nos clients, utilisation et fin de vie. Pour chaque fournisseur, on se déplace dans les usines pour voir concrètement comment ça se passe avec, par exemple, le choix du zéro plastique pour lutter contre ce qui altère de manière pérenne l'environnement.

Comment cet impératif du zéro plastique se traduit en matière de fabrication ?

On a dû renoncer aux étiquettes classiques qui arrivent d'habitude sous forme de stickers avec toute une bande plastique non recyclable. On a donc opté pour des étiquettes en papier recyclé et de la colle végétale. Donc on choisit aussi de nettoyer ce que le consommateur ne voit pas et c'est aussi cette conviction qui marque notre différence avec la concurrence. Renoncer au plastique, c'est aussi renoncer à la capsule qui protège traditionnellement le bouchon mais qui n'est plus obligatoire du point de vue fiscal depuis 2019. On a donc décidé de la supprimer et on a été les premiers à le faire. Avec la qualité du liège et aujourd'hui et comme on ne vend pas du vin qui a vocation à se garder des années, cela ne pose aucun problème et c'est autant de matière économisée. Et pour les vins pétillants, on revient tout simplement à la cordelette traditionnelle inventée par Dom Perignon à la place de la capsule en métal. Globalement, le plastique ça n'a que 60 à 70 ans, donc pour trouver des solutions le plus simple est bien souvent de regarder ce qui se faisait avant !

Mickaël Alborghetti EthicDrinks

Mickaël Alborghetti, le CEO d'EthicDrinks (crédits : EthicDrinks)

Sur l'aspect logistique, qu'avez-vous changé ?

On a renoncé à toute utilisation du plastique et réduit au maximum l'utilisation du carton au profit du carton recyclé et recyclable. Nous travaillons principalement en BtoB. Pour notre approvisionnement, tous nos vins nous sont livrés en camion roulant au bioéthanol issu de distillation de marc de raisin. Cela nous permet de passer de 800 kg à 20 kg de CO2 sur une citerne. Ensuite, en sortie d'entrepôt, on vend franco aux distributeurs et on assure la livraison en train de fret en région parisienne, par exemple. C'est plus cher et c'est plus contraignant mais c'est incomparable en termes d'émissions carbone par rapport au camion. Pour l'export, on livre en train au Havre ce qui permet d'économiser 6 tonnes de CO2 sur chaque conteneur. Puis, du Havre, on expédie par un porte-conteneurs conventionnel mais on vient de signer avec le projet Towt de cargo voilier d'une centaine de mètres qui permettra un transport décarboné à 90 % fin 2022 ou début 2023. On est l'un des quatre premiers signataires avec notamment le chocolatier Cémoi.

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Vous avez décidé de maintenir un contenant en verre, pourquoi ?

Parce que l'on considère que les bouteilles en plastique ne sont pas une solution valable même si facialement elles ont un meilleur bilan carbone que le verre. Mais pour limiter l'impact du verre, on a dessiné nos propres bouteilles pour les alléger au maximum : on est à 400 grammes contre 600 grammes en moyenne pour une bouteille de Bordeaux classique. Notre bouteille est plus fine et fabriquée avec du verre à 98 % recyclé, sauf pour le vin rosé parce que c'est impossible de vendre du rosé dans une bouteille en verre vert. Au total, sur chaque bouteille on gagne environ 1 kilo de CO2 et environ 20 grammes de plastique.

Il reste la question de la consigne des bouteilles de verre avec plusieurs solutions émergentes ces derniers mois dans la région telles que Luz Environnement et la Consigne bordelaise de Oé (lire plus bas). Comment abordez-vous ce sujet ?

C'est un sujet très complexe avec des défis logistiques qui me paraissent insolubles en l'état et qui font l'objet de beaucoup de green washing avec des annonces qui ne concernent parfois que 1 % des bouteilles. Le problème principal c'est d'abord qu'il n'y a pas de bouteille de vin standard, même à Bordeaux. C'est un sujet qui doit donc être traité de manière collective et à l'échelle des distributeurs, si ce n'est de la filière. Il faut être réaliste : nous, seul, on ne peut pas traiter ce sujet.

Qu'est-ce qui reste à faire ?

La consigne fait partie des gros sujets pour lesquels on n'a pas encore trouvé de solution. Mais on ne pourra pas le faire tout seul. Ensuite, il faut encore travailler avec nos fournisseurs pour les aider à éliminer le plastique de leurs livraisons primaires. Et il y a un autre sujet qu'on n'arrive toujours pas à régler : c'est le film plastique qui entoure les palettes. On utilise du film plastique à 80 % recyclé mais ce n'est pas complètement satisfaisant.

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Avec le recul, qu'est-ce qui a été le plus complexe à mettre en œuvre ?

Le plus compliqué c'est toute la dimension logistique parce qu'il a fallu pour chaque fournisseur faire la part du vrai et du faux sur la réalité de leurs engagements environnementaux. Il y a énormément d'arguments commerciaux quasi mensongers sur les soi-disant qualités environnementales de tel ou tel produit. Mais c'est un passage obligatoire parce qu'on ne peut pas réussir tout seul à décarboner son bilan, il faut intégrer tout le cycle d'approvisionnement, de production, de livraison, de consommation puis de fin de vie.

Avez-vous mesuré le gain total pour l'environnement de tous ces changements et les coûts induits ?

Oui, à l'échelle d'un container en prenant en compte le transport, c'est 15 à 20 tonnes de CO2 économisées et 500 kilos de plastique non produit. Donc ça revient à peu près à un kilo de CO2 évité par bouteille. En ce qui concerne la production, ça nous coûte autour de 20 % plus cher qu'un processus classique de fabrication. Ce n'est pas négligeable mais ce n'est pas non plus la totalité de notre engagement puisque nous sommes aussi partenaire de WWF à qui nous reversons une partie de notre chiffre d'affaire. Néanmoins, on reste compétitif en termes de prix sans être parmi les vins les moins chers. Mais l'argument environnemental fonctionne réellement aujourd'hui auprès des jeunes générations et des millennials, ce n'est pas qu'une vue de l'esprit !

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Ces engagements sont-ils audités par un tiers et comment compensez-vous les émissions que vous n'arrivez pas à réduire ?

Il n'existe pas aujourd'hui de certification globale et n'importe qui peut afficher zéro carbone sur ses produits, ce qui est d'ailleurs un problème du point de vue des consommateurs ! Donc on a recours à plusieurs acteurs pour conforter notre démarche. Notre bilan carbone est examiné par l'organisme Toovalu et on est la première entreprise du vin à souscrire au label Bas Carbone qui vient d'être lancé par l'Etat avec le Centre national de la propriété forestière. Dans le cadre de ce label, pour compenser nos émissions, on plante deux hectares de forêt à côté de Saint-Emilion, en Gironde, avec un contrat qui nous engage sur trente ans. S'ajoute à ces démarches, la certification B-Corp qui nous positionne dans les 3 % des entreprises les plus propres à l'échelle mondiale. Enfin, on va adopter le statut d'entreprise à mission et un organisme indépendant, probablement KPMG, va venir nous auditer pour vérifier la réalité de tous nos engagements, preuves à l'appui !

Ils travaillent aussi à verdir l'univers de la vigne à Bordeaux

Plusieurs startups plus ou moins récentes visent à changer les pratiques dans l'univers de la vigne et du vin dans la région bordelaise. C'est le cas de Luz Environnement, créée en 2019 et sélectionnée dans l'incubateur de Bernard Magrez Startup Win , qui ambitionne de créer une filière du réemploi des bouteilles de vin et le principe de la consigne avec une usine dédiée dans la région bordelaise. Dans la même logique, la startup lyonnaise , qui vend des vins bio et vegan depuis 2015, développe un projet de consigne de ses bouteilles de vin à Bordeaux sous l'appellation "la Consigne Bordelaise". Enfin, on peut également citer Minuit sur Terre, créée en 2017 qui produit et vend notamment des chaussures et semelles vegan à base de marc de raisin bio, en coopération avec EthicDrinks.

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