Jean Guyon : le viticulteur qui a cassé la bouteille bordelaise fait désormais face à la crise

Patron atypique des vignobles Rollan de By, Jean Guyon détonne par son goût de l'audace en marketing, n'hésitant pas à se débarrasser de l'iconique bouteille bordelaise pour la remplacer par autre chose. Il y voit un jeu qui permet de désorienter le consommateur et s'adapter à l'air du temps pour mieux démontrer la supériorité des bordeaux. Secoué brutalement par la crise sanitaire ce véritable roi du Médoc, dont les possessions viticoles tutoient les 200 hectares, a également décidé de s'attaquer au dernier classement des catégories supérieure et exceptionnelle de l'Alliance des Crus bourgeois.
Jean Guyon et sa bouteille de bordeaux rosé à tendance cylindrique, elle aussi hors des clous de la bordelaise classique.
Jean Guyon et sa bouteille de bordeaux rosé à tendance cylindrique, elle aussi hors des clous de la bordelaise classique. (Crédits : Jean Guyon)

Fils d'un antiquaire parisien, diplômé de la prestigieuse école Boule (métiers d'art, design, agencement), Jean Guyon, qui a fait fortune dans l'immobilier et la décoration d'intérieur, est devenu un grand propriétaire viticole du Médoc. Il n'a pas investi dans le vignoble bordelais pour acquérir un signe extérieur de richesse de plus, avant de reprendre le cours d'une vie parisienne bien remplie.

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Parce que ce Parisien pur jus a décidé de relever un premier défi : celui d'arriver à faire un vin au niveau de ses attentes d'amateur averti et puis un deuxième, celui de se tailler une sorte de royaume viticole médocain. S'il a démarré en 1989 en achetant une petite parcelle de deux hectares, c'était pour tâter le terrain. Parce que ce néo rural, cuvée grand siècle, a plutôt le profil d'un joueur de poker prêt à mettre le feu au tapis vert pour gagner plus de vignes, que celui d'un gentleman-farmer à temps partiel.

Jean Guyon a démarré petit avant de grandir

"J'ai commencé avec deux hectares et puis j'ai étendu mon domaine en rachetant de nouveaux châteaux. Aujourd'hui je possède 185 hectares de vignes en Médoc. Nous réalisons habituellement entre 8,5 et 10,5 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec 49 salariés employés en direct et 20 à 25 qui dépendent de sous-traitants", éclaire pour La Tribune Jean Guyon.

Si les vendanges ont bien eu lieu en 2020, le mauvais contexte économique général, marqué en particulier par la fermeture des bars et des restaurants et l'interruption de nombreuses ventes à l'export a poussé presque tout le monde au bord de la catastrophe. Un des coups les plus durs pour Jean Guyon est venu des compagnies aériennes, un canal de distribution qui a drainé 50 % des ventes de la production de ses vignobles Rollan de By en 2019, avec Air France, Cathay Airways ou encore Finnair...

Avec l'arrêt des compagnies aériennes, les stocks augmentent

"Air France c'est 200.000 bouteilles par an sur une production totale de 1,3 million de bouteilles ! Là ils attendent et nous on stocke. Ce n'est pas un problème pour l'instant... Globalement notre premier débouché c'est la France, avec la grande et moyenne distribution mais aussi les restaurants. Nous avons par exemple 600 restaurants clients à Paris mais là aussi c'est compliqué avec le Covid", souligne Jean Guyon.

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Les domaines Rollan de By ont ainsi ainsi enregistré un véritable plongeon de leurs ventes au cours de l'année dernière. "Notre activité a chuté de 50 % en 2020 ! J'ai dû contracter un prêt garanti par l'Etat (PGE) d'un montant de 1,5 million d'euros. En trente ans je n'avais jamais eu un seul bilan négatif jusqu'à 2020", détaille Jean Guyon. Parce qu'en plus des redoutables turbulences occasionnées par la crise sanitaire, Rollan de By a dû encaisser un autre choc commercial.

Comment desserrer l'étau des tarifs douaniers aux Etats-Unis

Ce deuxième choc économique a été provoqué par les sanctions douanières imposées par les Etats-Unis aux producteurs de vins tranquilles, notamment en France, en guise de représailles, dans le cadre du conflit entre les constructeurs aéronautiques Boeing et Airbus. L'équation des domaines développés par Jean Guyon est simple : 50 % de leur activité dépend de l'export.

Jean Guyon

Jean Guyon, 72 ans, même amour du vin et de l'art contemporain (crédits : Rollan de By)

"Les ventes au Japon se sont très bien tenues, même pendant cette période. Nous vendons également en Europe, notamment en Europe du Nord, mais aussi en Chine. Les Etats-Unis sont un de nos gros clients et représentent 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Aussi le bras de fer engagé par l'Europe avec les USA sur le terrain de l'aéronautique nous fait mal puisque globalement notre filière va perdre entre 6 et 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Et je ne suis pas sûr que nous ayons été bien épaulés dans ce conflit, qui gonfle nos droits de douane de +25 % pour entrer aux USA. Pour trouver une solution j'ai proposé à notre importateur américain et à notre distributeur sur place de réduire leurs rémunérations de -7,5 % chacun, tandis que moi je prends -10 %. Nous sommes tombés d'accord là-dessus et pour le moment ça tourne comme ça mais ça nous coûte quand même 200.000 euros", décortique Jean Guyon.

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Quand l'artiste fait entendre ses choix

Jean Guyon ne se plaint pas de la rapidité du versement des financements auxquels il a pu avoir droit, mais préfèrerait ne pas avoir à rembourser le PGE sous forme d'un crédit traditionnel mais plutôt d'un crédit in fine, qui consiste à rembourser d'abord les intérêts, et le capital en dernier lieu, en étalant si possible l'apurement de la dette sur trois ans.

Mais le patron de Rollan de By ne se contente pas de racheter d'autres vignobles dès qu'il en a l'occasion. Doté non seulement d'une vraie culture artistique mais aussi de l'esprit indépendant qui va avec, il a par exemple fait appel à un grapheur de rue pour s'occuper de la façade de son chai et il s'est attaqué à la sacro-sainte image des bordeaux. Pour ce dirigeant atypique il ne s'agit plus de savoir si la représentation de l'univers des bordeaux doit plonger ses racines dans l'imagerie "old school" des jeunes gens branchés du Cap Ferret, avec le polo sur les épaules, mais plutôt quel fétiche abattre en priorité.

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La bordelaise : "une image de vieux notaire" qui rassure

C'est ainsi que Jean Guyon va frapper vite et fort en envoyant dinguer en bas de son piédestal la célèbre bouteille bordelaise dans sa catégorie vins blancs. Avec son vin baptisé "Le Blanc", dont le nom explose sur l'étiquette, le patron de Rollan de By tutoie le blasphème en choisissant une bouteille bourguignonne pour y blottir son vin bordelais.

Un blanc sec dont la souplesse n'a d'égale qu'une intense et très séduisante teneur en fruit, qui laisserait presque deviner des paysages alsaciens à quelques encablures de la pointe du Médoc. La bouteille qu'il a choisi pour son rosé est à la fois un clin d'oeil à la féminité et une attaque géométrique du fétiche de la bordelaise, brisé sur un axe franchement cylindrique. Une bouteille bordelaise, dont Jean Guyon préserve néanmoins l'élégante silhouette pour ses vins rouges. Des choix qui détonnent mais qui témoignent d'un respect intact pour l'icône de Bordeaux, prend-il soin de souligner.

"Je reste très optimiste pour les vins de Bordeaux. Le Bordeaux bashing c'est une invention des Bordelais, qui se désolent et se recroquevillent dans leur coin. Pour moi les vins de Bordeaux sont les meilleurs du monde, ils offrent le meilleur rapport qualité/prix.

Alors pourquoi ne pas aller chercher des consommateurs plus jeunes ? La bouteille bordelaise a une image de vieux notaire, elle rassure, elle sécurise c'est pourquoi je la garde pour les rouges. Mais je pense aussi désormais à proposer du vin en petites bouteilles, en packs de six fois vingt-cinq centilitres, et même des vins en canettes", annonce cet amoureux du vin comme de l'innovation.

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Remise en cause du classement des Crus bourgeois

En 2003, le nouveau classement des Crus bourgeois du Médoc, qui avait éliminé plusieurs châteaux des catégories supérieure et exceptionnelle, pour les remplacer par d'autres, avait déclenché un conflit impitoyable entre l'organisation et les sortis. En 2007 la justice donnait raison aux plaignants, renvoyant aux oubliettes les catégories supérieure et exceptionnelle pour ne conserver que le classement Cru bourgeois du Médoc. En 2020, après de nombreuses vérifications, remises à plat et encadrements ministériels, l'Alliance des Crus bourgeois du Médoc, rendait public son nouveau classement, qui réintroduisait les catégories supérieure et exceptionnelle.

"Sur les 14 crus bourgeois exceptionnels de ce nouveau classement, 9 appartiennent à des administrateurs et dirigeants de l'Alliance. Je trouve que ça fait vraiment beaucoup ! Rollan de By, ancien Cru bourgeois exceptionnel, n'était même plus dans la liste des Crus bourgeois ! J'appelle le président et il me dit de me représenter à la dégustation. Je le fais et je me retrouve simplement dans les Crus bourgeois !

On paie 12.500 euros pour faire goûter cinq échantillons de nos vins. Multiplié par tous les participants ça représente 2,5 millions d'euros. Avec ce budget il me semble que nous avons les moyens de réunir en toute transparence un jury d'œnologues de premier plan pour trancher la question des Crus bourgeois. Tout le monde y gagnerait ! Au lieu de quoi il semble que nous ayons affaire à des gens qui sont juges et parties, c'est pourquoi j'ai décidé de porter plainte", déroule en substance Jean Guyot.

Un nouvel épisode tumultueux semble ainsi s'ouvrir pour l'Alliance des Crus bourgeois, d'autant que le patron de Rollan de By n'est pas le seul à avoir porté plainte. Si l'on considère que le nouveau classement des Saint-Emilion de 2012 risque d'être lui aussi remis en cause par le procès en correctionnelle qui s'ouvre à Bordeaux au mois de mars prochain, sur la base d'accusations très semblables, on se demande comment le classement de 1855, qui ne concerne que les vins de Bordeaux de la rive gauche de la Garonne, arrive encore à tenir debout....

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Les propriétés de Jean Guyon dans le Médoc pour un total de 185 hectares et 1,3 millions de bouteilles vendues par an avant la crise :

  • Rollan de By (1989) AOC Médoc
  • Château Haut Condissas (1991) AOC Bordeaux et AOC Margaux
  • Château Tour Seran (2000) AOC Médoc/ Cru Bourgeois
  • Château La Clare (2001) Cru Bourgeois du Médoc
  • Château La Rose de By (2011) Médoc - Vin Cacher
  • Château Greysac (2012) Médoc racheté à la famille Agnelli/ ex Union des grands crus (et ex-Cru Bourgeois exceptionnel)
  • Château de By (2012) Médoc
  • Château du Monthil (2012) Médoc/ Cru Bourgeois

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