Industrie : « Le mille-feuille administratif peut tuer un certain nombre de projets »

« Construire une usine : le parcours du combattant ? » C'est la question posée lors de l'étape bordelaise de l'évènement « Transformons la France au cœur des régions ». L'occasion de croiser les regards sur la réindustrialisation des territoires entre Damien Havard, directeur général de HDF Energy, Manon Vaillant, directrice générale de PureNat et Alexandre Cieux, président de l'Observatoire de l'immobilier d'entreprise de Bordeaux Métropole.
Alexandre Cieux, Damien Havard et Manon Vaillant, mardi 28 novembre 2023, lors de la table-ronde « Construire une usine : le parcours du combattant ? » animée par Raphaëlle Duchemin.
Alexandre Cieux, Damien Havard et Manon Vaillant, mardi 28 novembre 2023, lors de la table-ronde « Construire une usine : le parcours du combattant ? » animée par Raphaëlle Duchemin. (Crédits : Quentin Salinier)

Sonnés coup sur coup par le Covid-19 et la guerre en Ukraine, les décideurs politiques sont désormais unanimes à défendre la souveraineté et la réindustrialisation du territoire et à soutenir financièrement cette dynamique. Mais entre les discours et la réalité du terrain, il reste encore de sérieux contrastes exprimés lors d'une table-ronde sur le sujet, à l'occasion de l'évènement « Transformons la France au cœur des régions » qui s'est déroulé à Bordeaux ce 28 novembre. D'autant que l'argent n'est pas l'alpha et l'omega pour réussir à construire une usine.

« Il y a huit ans on me conseillait, au plus haut niveau de l'État, de faire fabriquer mes piles à combustibles en Chine ! Aujourd'hui, heureusement, les mentalités ont changé », témoigne Damien Havard, le directeur général d'HDF Energy, qui s'apprête finalement à inaugurer son usine de piles à hydrogène début 2024... à Bordeaux Métropole sur les anciens terrains de Ford.

« Le Covid a fait prendre conscience au monde entier qu'il fallait réindustrialiser et il y aussi Donald Trump, avec son discours America First, qui a montré que cette bataille économique est bien réelle, on le voit tous les jours dans l'industrie ! », clame-t-il.

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« Il n'y a pas de foncier ! »

Dans cette grande bataille, l'un des premiers verrous sur le terrain reste justement l'absence de terrains disponibles. « On a des demandes entrantes de projets industriels petits, moyens et XXL, mais on ne sait pas où mettre l'industrie. Quand on prend l'agglomération bordelaise, il n'y a pas de foncier ! », assène Alexandre Cieux, le président de l'Observatoire de l'immobilier d'entreprise de Bordeaux Métropole (OIEB). « Des friches industrielles à Bordeaux, il n'y en a pas non plus ou alors c'est la main mise du secteur privé même si la Métropole s'est lancée dans un plan de préemption. »

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Et lorsqu'un est terrain finalement identifié, c'est un second marathon qui débute dans le labyrinthe des démarches administratives sur le plan de l'urbanisme, de l'environnement, de la sécurité ou encore des raccordements. « Il faut trouver le foncier puis il faut compter trois, quatre, cinq ou six ans pour obtenir les autorisations puis, enfin, lancer la construction des bâtiments. Et tout cela coûte cher », détaille Alexandre Cieux. Des délais et des coûts pas toujours compatibles avec le développement d'une activité industrielle qui doit trouver un marché à un instant T. Et lorsqu'il s'agit d'une entreprise naissante, c'est un peu le serpent qui se mord la queue comme le raconte Manon Vaillant, directrice générale de PureNat, une startup deeptech fondée en 2020 qui fabrique un textile biomimétique purificateur d'air :

« On est tombés au bon moment par rapport à l'élan du plan France 2030. En revanche, on n'a pas la taille d'une grosse industrie et avant de pouvoir construire une usine et de bénéficier de ce plan il faut pouvoir développer une première ligne industrielle. Et, là, il y a un trou dans la raquette pour une structure comme la nôtre qui a besoin de sécuriser son plan commercial pour sécuriser son investissement et inversement. »

Des procédures longues et complexes

Soutenu historiquement par la Région Nouvelle-Aquitaine puis par une entrée en bourse réussie en 2021, HDF Energy s'est donnée les moyens de ses ambitions internationales. Mais, malgré tout, l'équation est restée longue à résoudre : « On a mis trois ans pour avoir le terrain après des auditions et une vingtaine de candidats pour avoir, au final, le droit d'acheter les terrains au prix du marché. Parce qu'effectivement il n'y a pas de foncier à Bordeaux ni de réserve industrielle, ça peut être un frein ! »

Alexandre Cieux

Alexandre Cieux, président de l'OIEB (crédits : Quentin Salinier).

Pourtant, pointe Alexandre Cieux, « la volonté politique de réindustrialiser est bien réelle du côté des collectivités comme de l'État » mais elle vient se heurter à la machine administrative :

« Le millefeuille administratif peut tuer un certain nombre de projets industriels dans un contexte de guerre des territoires en France où la Nouvelle-Aquitaine est souvent mise en compétition avec l'Occitanie et les Pays-de-la-Loire. La région bordelaise se démarque notamment par la qualité de sa main d'œuvre industrielle : ingénieurs, cadres et ouvriers. »

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« Maîtriser de nouveaux métiers »

« Il faudrait un facilitateur pour simplifier et raccourcir les délais ! », suggère ainsi le président de l'OIEB. De son côté, Manon Vaillant a réussi à trouver des locaux temporaires avec la Communauté d'agglomération Pays basque pour transférer l'innovation de laboratoire de PureNat vers le monde industriel avant, in fine, d'accéder au marché. « C'est la gestion de ce temps du transfert de l'innovation de rupture vers le marché de demain qui est au cœur de nos problématiques et qui suppose de maîtriser de nouveaux métiers ou d'être accompagnés », souligne Manon Vaillant. L'année 2024 devrait néanmoins être celle de la montée en puissance industrielle pour PureNat avec la mise en route de sa ligne de fabrication pilote.

Manon Vaillant

Manon Vaillant, directrice générale de PureNat (crédits : Quentin Salinier).

« Malgré ces difficultés, la tendance s'améliore en matière de réindustrialisation », tempère Damien Havard, même s'il reste des verrous à faire sauter : « La commande publique pourrait peut-être enfin penser à acheter français et européen. Ce serait un grand pas en avant ! » Et dans ce paysage complexe, Alexandre Cieux appelle lui à « anticiper au maximum parce que de l'envie à la réalisation c'est effectivement encore le parcours du combattant ! [...] On a une trentaine de projets en portefeuille en Gironde, seulement une dizaine devraient aboutir, les autres iront ailleurs ou changeront de forme. »

Et cette simplification semble d'autant plus indispensable face à la compétition inter-régionale mais aussi internationale croissante, conclut Damien Havard, positionné sur un marché de l'hydrogène en plein essor : « La concurrence internationale est là et elle est forte, soyons vigilants à bien accompagner nos entreprises pour qu'elles puissent trouver du foncier et avancer rapidement. »

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Commentaire 1
à écrit le 29/11/2023 à 12:17
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Oui mais ce n'est pas au niveau qui devrait nous intéresser à savoir au niveau de tout ces gens talentueux, enthousiastes et dynamiques qui ont plein d'idée mais jamais de capitaux pour les financer. Capitaux trustés uniquement par les brain dead. No...

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