Friches et attractivité : Châtellerault, cas d’école d'un rebond industriel à construire

REPORTAGE. Avec une culture industrielle prégnante et une collection de friches, Châtellerault est une terre promise pour la réindustrialisation. À condition de penser le rebond par le prisme de l'attractivité et de la qualité de vie. Comme d’autres bassins d’emplois éprouvés par les fermetures d’usines, le territoire craint la spéculation foncière.
L'ancienne manufacture d'armes, fleuron industriel du XIXe siècle, a été reconvertie en lieu culturel, sportif et académique.
L'ancienne manufacture d'armes, fleuron industriel du XIXe siècle, a été reconvertie en lieu culturel, sportif et académique. (Crédits : MG / La Tribune)

C'est l'histoire d'une artère encore industrielle de 30 kilomètres dans un territoire rural. Tout au Nord de la Nouvelle-Aquitaine, Châtellerault brille par son excellence. Rien qu'à bord du train régional qui descend la Vienne, le visiteur traverse des zones artisanales empreintes d'activités. Ou abandonnées en friche. L'argument s'expose jusque sur la façade de la célèbre manufacture d'armes de la ville, fleuron historique du XIXe siècle : « 1er bassin industriel de Nouvelle-Aquitaine », représenté par de grands noms comme Thales, Safran ou Valeo. Au vu des faits, la banderole devrait au moins être complétée. Avec 8.000 postes, sa zone d'emploi n'est que douzième en chiffre brut. Mais en relatif, avec 43% des emplois de l'agglomération liés au secteur industriel, elle constitue effectivement le premier bassin régional et intègre même le top 15 en France.

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Une mise au clair inévitable pour Antoine Achard. « Mais personne ne le vend comme ça », regrette ce docteur en économie, attaché à la rigueur statistique. Ce natif de la Vienne n'est pas un élu. Employé par la région Nouvelle-Aquitaine, il est chargé de piloter le rebond industriel du territoire de Châtellerault, peu diversifié au-delà de ses pôles aéronautique et automobile.

« Demain, une entreprise vient s'implanter et dit "Moi je vais créer 1.000 emplois à Châtellerault". Ou même 100. Comment les recruter, sachant que les entreprises ici galèrent déjà à recruter ? Comment faire si tu n'as pas de logement, de nourriture en quantité suffisante et de l'énergie pour te fournir ? », expose-t-il.

La réindustrialisation paraît tout de suite moins aller de soi.

« Sacro-sainte industrie »

Heureusement, l'agglomération dispose d'un trésor caché : les friches artificialisées. Un recensement financé par la Région Nouvelle-Aquitaine et conduit par le Scot Seuil du Poitou (Schéma de cohérence territoriale) a permis de révéler un potentiel global de 750.000 mètres carrés de surface au sol, répartis sur les deux intercommunalités du Nord de la Vienne. Des friches précieuses à l'heure où le développement économique des territoires va être contraint par le Zéro artificialisation nette. Le Scot est même capable d'attribuer à chacun des sites un score de mutabilité selon plusieurs vocations : tourisme, habitat, renaturation ou, bien sûr, industrie.

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Chez les élus, on veut profiter de cette réserve devenue précieuse pour s'affirmer comme un territoire support de la réindustrialisation du pays désirée par Emmanuel Macron.

« En tant que territoire industriel historique, nous sommes totalement en phase avec la volonté du président, raconte Michel Droin, vice-président du Grand Châtellerault, chargé de l'économie. On n'a pas du tout envie de faire moins d'industrie ! ».

C'est un euphémisme : ici, tout se pense selon la « sacro-sainte industrie ».

friches châtellerault

friches châtellerault

[Les friches de Châtellerault deviennent un eldorado pour l'aménagement. crédits : MG / La Tribune]

« Mais pour que les industriels viennent, il faut que le territoire soit attractif. » L'avertissement vient d'Aude Florentin. Cette dernière a copiloté le recensement des friches du Nord Vienne. « Avoir des services de proximité, du logement diversifié, des services de transport », fait-elle valoir. « C'est ce que l'on appelle l'armature territoriale, et c'est ce qui conditionne la qualité de vie », assène-t-elle encore. Les friches pourraient donc, à ce titre, servir les besoins du bassin de vie, et pas seulement les velléités économiques.

La reprise du colosse industriel

L'agglomération connaît particulièrement bien cette régulation, puisqu'elle a transformé son emblématique manufacture d'armes en centre-ville, sur les bords de Vienne, en lieu culturel, sportif et académique. Le tout dans un cadre industriel devenu patrimoine. D'autres terrains en friche pourraient servir à revivifier la vie du bassin : on évoque un projet de bowling sur un site pollué de 2 hectares. De friches de cette taille, l'agglomération en a bien quelques-unes, mais leur localisation en cœur de ville ne favorise pas l'implantation d'industries lourdes. Les élus souhaitent en tout cas pouvoir diversifier le tissu, « fortement axé aéronautique et automobile. Demain, il faut qu'on recherche des filières un peu différentes, oriente Michel Droin. Il ne faut pas que lorsque les avions s'arrêteront de voler, la ville s'arrête de manger ! »

La seule volonté politique ne suffira toutefois pas. Les friches sont en effet détenues à plus de 80% par des propriétaires privés. Si les élus expliquent les connaître et travailler en bonne intelligence avec ces derniers, le territoire reste exposé à la spéculation. La valeur des terrains déjà bétonnés risque d'exploser dans les prochaines années, du fait de la compétition entre industriels, énergéticiens, promoteurs et collectivités. Le territoire en a déjà des sueurs froides. Notamment au sujet de son colosse industriel : les Fonderies du Poitou, qui ont définitivement rendu l'âme l'an dernier, après une longue dépression. Une usine de 70.000 mètres carrés de bâtiments sur 38 hectares d'emprise foncière pour un mastodonte inauguré au début des années 1980 qui a craché durant plus de 40 ans les culasses et carters des automobiles Renault.

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Avec la fermeture des fonderies fonte en 2021, puis alu en 2022, près de 600 salariés ont fait les frais de la désindustrialisation. Le site n'est pas classé en friche, car le territoire compte bien le relancer le plus rapidement possible.

« Si on réussit le projet des Fonderies, ça prouvera qu'il y a un avenir industriel ici », catégorise Philippe Eon, directeur de la stratégie environnementale et territoriale du Grand Châtellerault.

Le tribunal de commerce de Paris doit désormais annoncer la reprise du site par un consortium énergétique formé par Lhyfe et TSE permettant la production d'hydrogène et d'énergie solaire.

fonderies du poitou

[Les Fonderies du Poitou sont à l'arrêt depuis un an et leur démantèlement est en cours. crédits : MG / La Tribune]

Complémentaires, mais pas d'accord

L'artère industrielle veut croire en la qualité de ses ressources pour assurer le maintien des activités, le rebond et la transition.

« Les industriels n'ont pas su rendre attractif leur modèle auprès des jeunes. Le fait d'avoir un territoire qui a cette culture depuis longtemps, c'est un atout par rapport à d'autres qui devront basculer dans la réindustrialisation », fait valoir le conseiller régional local Yves Trousselle.

Cet entrepreneur et ex-directeur du site de chaussures Aigle, voisin des Fonderies et qui a internalisé une partie de sa production ici, connaît bien la « culture ouvrière présente ici depuis toujours ». Lui aussi veut penser le renforcement de l'industrie par l'amélioration de la qualité de vie. Il constate toutefois un fossé entre les visées de l'État et des territoires.

« De quoi parle-t-on quand on parle de réindustrialisation ? Pour l'État, c'est la santé, l'électronique : ce sont des industries très automatisées, qui n'apportent pas beaucoup d'emplois ! », affirme-t-il. Les collectivités elles, dans leurs politiques d'aménagement, se retrouvent tiraillées entre leur besoin de développement et les nombreuses réglementations environnementales à articuler.

À Châtellerault, la réindustrialisation telle qu'on la pense pourrait donc rester un mythe centralisé. Mais l'artère sera, à n'en pas douter, un territoire symbole des mutations et du renouveau du secteur. Encore faut-il que les politiques se coordonnent, comme l'appelle de ses vœux Antoine Achard.

« On a l'État qui a de l'argent, la Région qui a du personnel, mais pas nécessairement les fonds, ni la compétence sur l'aménagement du territoire. L'agglo a la compétence, mais pas les fonds, on est plutôt très complémentaire normalement », relie-t-il.

Ou, résumons-le ainsi : « On a tout ce qu'il faut pour réussir, il faut juste que l'on se mette autour de la table. » Un minimum vital pour donner aux chevilles ouvrières de Châtellerault l'avenir qu'elles méritent.

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Commentaire 1
à écrit le 28/06/2023 à 9:09
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Ces anciennes usines sont des lieux idéaux pour exacerber la créativité artistique, rien que les photos ou vidéos prises dans ces lieux abandonnés mais dans lesquelles on peut encore parfaitement en identifier l'ancienne activité leur donnent une ric...

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