Compenser l'artificialisation des sols : l'impossible défi des LGV vers Toulouse et Dax

ENJEUX. Il y a les 4.800 hectares qui seront artificialisés par le chantier des lignes à grande vitesse vers Toulouse et Dax. Mais il y a aussi les milliers d'hectares à trouver pour compenser cette destruction massive d'espaces naturels. Cette recherche de terrains est un défi majeur pour SNCF Réseau qui vante « un projet exemplaire sur le plan environnemental ». Un travail de fourmi déjà réalisé avec succès par Lisea pour la LGV Tours-Bordeaux. Mais, sur le fond, cette compensation est jugée inefficace par les scientifiques comme par les opposants au projet.
840 ouvrages de réduction de l'impact environnemental sont positionnés sur les 300 km de la LGV Tours-Bordeaux mise en service en 2017.
840 ouvrages de réduction de l'impact environnemental sont positionnés sur les 300 km de la LGV Tours-Bordeaux mise en service en 2017. (Crédits : Lisea)

4.800 hectares dont un tiers de terres agricoles et deux tiers de forêts : c'est l'estimation des surfaces qui seront artificialisées en Gironde, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne, Haute-Garonne et dans les Landes par le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Ce chantier doit prolonger la grande vitesse au sud de Bordeaux vers Toulouse d'ici 2032 et Dax d'ici 2040 moyennant 14 milliards d'euros (*). Les textes ne sont pas encore précisément fixés dans l'attente des études environnementales et de biodiversité sur le tracé mais il est déjà acquis qu'il faudra trouver au moins 3.000 hectares d'espaces naturels et agricoles de compensation, probablement davantage. Le chantier est titanesque mais SNCF Réseau a trouvé l'homme de la situation avec Christophe Huau : le nouveau patron de l'Agence GPSO, à la tête d'une trentaine de personnes, a notamment dirigé le chantier de la LGV Tours-Bordeaux de 2011 à 2018.

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« Pas là pour brutaliser les territoires »

Et cet expert est bien décidé à mener à bien « un projet exemplaire sur le plan environnemental » quand bien même il s'agit de tracer 300 kilomètres de lignes nouvelles à travers le Sud-Ouest :

« On sait qu'on sera extrêmement scrutés ! On travaillera sur la faune, la flore, la ressource en eau, les émissions de carbone, les vibrations, le bruit et l'éco-conception globale du projet. Les règlementations seront plus exigeantes qu'il y a dix ans et c'est une bonne chose. Il y a un impact, bien évidemment mais nous ne sommes pas là pour brutaliser le territoire ! Dans le Ciron, on ne va pas bétonner les cours d'eau, on va les enjamber »

GPSO Bordeaux Toulouse Dax LGV

Cliquez sur la carte pour l'agrandir. Évalué à 14 milliards d'euros, le projet GPSO couvre la construction de deux lignes nouvelles sur plus de 300 km, de trois nouvelles gares à Agen, Dax et Montauban, la réalisation des aménagements ferroviaires sur le réseau existant au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse (crédits : GPSO).

Pour limiter les impacts environnementaux d'une telle infrastructure, la règle de base c'est le triptyque ERC pour éviter, réduire, compenser. « Le principe c'est que plus on évite et on réduit mois on a à compenser. Le premier sujet c'est donc la réduction de l'impact environnemental. Pour les 300 kilomètres de la LGV Tours-Bordeaux, 840 ouvrages sous et sur la ligne ferroviaire ont été construits pour assurer des corridors écologiques pour les différentes espèces », rappelle Thierry Charlemagne, le directeur environnement et développement durable de Lisea, qui a piloté le processus sur la liaison Tours-Bordeaux mise en service en 2017.

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Malgré tout, compte tenu de l'artificialisation de 4.200 hectares, Lisea a été contrainte à l'époque de trouver 3.800 hectares d'espaces naturels de compensation : des surfaces agricoles, des zones humides, des forêts matures et des pelouses sèches.

Dix kilomètres de part et d'autre de la voie

L'objectif n'est pas de compenser mathématiquement un hectare pour un hectare mais plutôt de suivre trois grands critères : la proximité, la nature de l'espèce concernée et le « gain de biodiversité ».

« Sauf exception, il faut trouver les surfaces dans une bande de dix kilomètres de part et d'autre de la voie ferrée », précise Thierry Charlemagne. « Ensuite, il y a un savant calcul espèce par espèce. Si elle est courante, on prévoit un hectare de compensation pour un hectare artificialisé mais pour les espèces rares on peut aller jusqu'à cinq hectares sanctuarisés pour un hectare artificialisé ! ».

Et les espèces sont très nombreuses : mammifères petits et grands, amphibiens, reptiles, insectes, volatiles, etc. « On raisonne en termes de gain net de biodiversité dans la nouvelle parcelle en ciblant avec les associations locales les sites les plus favorables. Des cahiers des charges très précis garantissent ensuite la biodiversité sur les parcelles forestières comme agricoles », assure Thierry Charlemagne. Pour mener à bien ce travail de fourmis, Lisea a pris le parti dès le départ d'associer les associations environnementales, agricoles et de riverains des six départements traversés. Rémunérés par Lisea à hauteur de 1.000 euros par jour de suivi, ils participent à la mise en place et au suivi des mesures compensatoires. « Nous étions opposés à la LGV mais une fois qu'elle a été décidée nous avons préféré nous assurer nous-mêmes de la réalité des mesures compensatoires. Tout n'est pas parfait mais il faut dire aussi qu'on n'avait jamais obtenu des ambitions de ce niveau-là », justifie ainsi Céline Gracieux, responsable de la LPO Poitou-Charentes.

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« La compensation c'est un piège »

À l'inverse, en Aquitaine, la Sepanso (Société d'étude de protection et d'aménagement de la nature du Sud-Ouest) a catégoriquement refusé de participer. Son président, Philippe Barbedienne, également conseiller municipal à Lerm-et-Musset (Gironde), revendique son indépendance et sa liberté de ton : « Nous ne sommes pas à vendre et nous ne cautionnons pas ce dispositif qui relève du greenwashing ! Même s'ils arrivent à trouver toutes les terres, cela ne compensera jamais les dégâts faits. La compensation c'est un piège : elle ne résout pas la création d'isolats qui détruisent la biodiversité et ne prend pas en compte toutes les espèces, seulement les plus rares », assène Philippe Barbedienne.

Plusieurs millions de tonnes de CO2

Qualifié de « projet du siècle passé » par la Sepanso, qui plaide pour éviter le projet au profit de la rénovation de la ligne existante, le chantier GPSO devrait générer entre 2,4 et 4,4 millions de tonnes équivalent CO2, selon les différents chiffrages disponibles. À l'inverse, SNCF Réseau met en avant un projet du 21e siècle présentant un bilan carbone pour l'usager dix fois plus favorable qu'une voiture thermique et trente fois plus favorable qu'en avion, sauf qu'il n'existe pas de vols Bordeaux-Dax ou Bordeaux-Toulouse. Néanmoins, « le report modal lié à la réalisation des LGV permettra à terme d'économiser plus de 300.000 tonnes équivalent CO2/an. La neutralité carbone sera donc atteinte en une dizaine d'années », évalue SNCF Réseau.

En face, les promoteurs du projets jurent à l'instar de Christophe Huau que « sur le fond, ça fonctionne : dès lors qu'on arrive à une compensation d'au moins un pour un, c'est positif pour la biodiversité d'autant qu'il y a des contrôles stricts par l'État et que les estimations des surfaces de compensation sont faites par des tiers pas par nous. »

« Un compromis entre des attentes contradictoires »

Des affirmations optimistes balayées par la chercheuse Fanny Guillet, spécialiste de la question au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle :

« D'un point de vue écologique ce principe de compensation n'a aucun sens. Il n'y a évidemment aucun gain de biodiversité possible et il y a mécaniquement une perte, notamment à cause de la rupture des continuités écologiques. Pour imaginer un maintien de la biodiversité, il faudrait sanctuariser dix ou quinze fois la surface artificialisée sous forme de parcs naturels protégés... »

manifestation gpso saint médard d'eyrans 03.04.23

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté contre les LGV le samedi 3 juin 2023 à Saint-Médard d'Eyrans au sud de Bordeaux. (crédits : MG / La Tribune)

Pour la chercheuse, ce principe de compensation vise d'abord à « trouver un compromis politique entre les attentes contradictoires de la société : ceux qui estiment que le gain de vitesse et de desserte justifie la perte de biodiversité et ceux pour qui c'est un mauvais calcul. » Sachant que dans 80 % des cas, les espaces identifiés pour la compensation sont déjà des surfaces naturelles si bien qu'une fois le chantier réalisé, il y reste au total moins de surfaces naturelles qu'avant, malgré le mécanisme de compensation. « Ce projet sera probablement ce qui se fait de mieux en matière de compensation mais cela ne garantit pas pour autant un maintien de la biodiversité », conclut Fanny Guillet.

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Est-ce qu'il y aura suffisamment de terres ?

L'autre sujet est encore plus pragmatique. Est-ce que SNCF Réseau trouvera suffisamment de terres pour remplir ses obligations de compensation ? Sachant qu'il existe déjà une forte concurrence d'usages avec le déploiement des énergies renouvelables, à l'instar du parc solaire géant Horizeo dans le sud de la Gironde, ou d'autres infrastructures telles que l'autoroute Toulouse-Castres voire un hypothétique contournement autoroutier de Bordeaux.

« Ce n'est pas un sujet d'inquiétude mais il y a un gros boulot à réaliser, c'est évident. Lisea y est parvenu, nous réussirons aussi à trouver le foncier ! », juge Christophe Huau. Environ 460 hectares ont déjà été fléchés sur ce sujet mais c'est tout juste 15 % du total. Les représentants de GPSO ont d'ores et déjà approché des propriétaires, notamment des agriculteurs. « Certains ont même déjà donné leur accord », indique Christian Tamarelle, le maire de Saint-Médard d'Eyrans. Là encore le retour d'expérience de Lisea s'avère riche en enseignements. Au total, pour trouver les 3.800 hectares naturels et agricoles nécessaires pour compenser Tours-Bordeaux, Lisea a acheté un tiers des parcelles avant de les rétrocéder ad vitam aeternam aux Conservatoires d'espaces naturels. Les deux tiers restants ont fait l'objet de conventions avec les riverains et exploitants.

Il a fallu quatre ans à Lisea pour réunir la totalité des surfaces nécessaires en 2019, deux ans après la mise en service. « Tout se fait à l'amiable avec les propriétaires locaux et selon une grille tarifaire fixe. La clef c'est de s'y prendre très tôt et d'associer très largement les acteurs », conseille Thierry Charlemagne.

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Un conventionnement jusqu'en 2061

Les engagements pris tiennent jusqu'en 2061. Et après ? « On ne sait pas ce qui se passera ensuite », reconnaît le dirigeant de Lisea. « La question ne se pose pas de manière urgente même si des propriétaires envisagent déjà de prolonger. » S'il est impossible d'avoir à ce stade un bilan sur le long terme du dispositif, Lisea affirme avoir déjà obtenu une stabilisation de la population d'outardes canepetières depuis 2017 alors qu'elle était en régression jusque-là. « Environ 500 personnes sont associées au travail de suivi et d'évaluation de ces espaces de compensation autour des équipes de Lisea pour des actions tels que le prélèvement de poissons, le comptage d'espèces, l'évaluation de la qualité des habitats, etc. », indique l'entreprise. Le premier bilan prévu par la loi sur les impacts socio-économiques et environnementaux de la LGV Tours- Bordeaux est en cours de validation et doit être publié courant 2024.

Outarde

« Les 1ers suivis scientifiques démontrent une stabilisation des effectifs de l'outarde canepetière », indique Lisea (crédits : Didier Wolf, Charente Nature).

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Commentaires 5
à écrit le 28/06/2023 à 8:28
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Quand on vote des lois idiotes d'inspiration gauchiste pour faire progressiste, il ne faut pas s'étonner qu'elles se retournent contre vous...

à écrit le 27/06/2023 à 15:40
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Bon ben maintenant, les écolos vont nous expliquer qu'après avoir interdit l'aviation remplaçable par le train, on va interdire le train (remplaçable par l'avion qui n'artificialise pas les sols !) Y a un moment, quelqu'un va-t-il demander aux écolos...

à écrit le 27/06/2023 à 14:53
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Un intercité sur les voies actuelles avec quelques recalibrage de voies , là ou c'est utile, et du materiel pouvant rouler à 200 km/h entre Toulouse et Bordeaux serait parfaitement adapté. Mais les décideurs vont déclencher la grosse Bertha pour on...

à écrit le 27/06/2023 à 12:39
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On se moque de qui? C'est cela la convergence de l'économie avec l'écologie dans une réindustrialisation? Faire des compensations? Encore un trafic financier!

à écrit le 27/06/2023 à 8:04
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Dire que nos politiciens ont passé ces soixante dernières années à éradiquer les 3/4 des voies ferrées françaises par copulation avec les milieux d'affaires ça fait quand même bien mal hein. Sans eux la dette de la France n'existerait pas c'est évide...

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