Sur les terres du parc solaire Horizeo, le jeu des sept (riches) familles

DÉCRYPTAGE. Avec 1.000 hectares d'emprise foncière, ce n'est rien d'autre que le plus grand projet de parc solaire en Europe. Horizeo va louer les terres d'un groupement forestier discret au sud de la Gironde, dirigé par d'illustres familles du milieu viticole bordelais. Elles pourraient toucher chaque année une rente équivalente à la valeur des terres, et ce pendant 40 ans.
Maxime Giraudeau
Les terres du projet solaire Horizeo abritent des parcelles sylvicoles et un domaine de chasse privée.
Les terres du projet solaire Horizeo abritent des parcelles sylvicoles et un domaine de chasse privée. (Crédits : Horizeo)

Et si c'était le dernier projet de cette ampleur ? Pour le futur parc solaire Horizeo, le temps est compté. La loi d'accélération des énergies renouvelables, promulguée le 10 mars dernier, interdira dès 2024 l'implantation de structures énergétiques sur des domaines forestiers. Désormais, Engie et Neoen, les pilotes du projet, avancent avec un calendrier non-extensible. Le lancement des travaux, sur plus de 1.000 hectares d'un vaste domaine forestier au sud de la Gironde, est prévu pour 2025. La mise en service progressive du parc suivra à partir de 2026 pour une puissance finale de 1 GW, soit la consommation annuelle de 740.000 personnes.

Avant d'engager les procédures d'autorisations environnementales, les énergéticiens ont dû s'ouvrir les portes du foncier, étape reine et préalable à tout développement. Si Engie et Neoen n'ont pas officiellement communiqué à ce sujet, ils assurent à La Tribune avoir la maîtrise sur ce point. « Aujourd'hui, nous avons des actes fonciers qui nous permettent de développer le projet en sécurité. Le foncier est sécurisé », insiste Mathieu le Grelle, directeur du développement d'Horizeo pour Engie. Autrement dit, les propriétaires terriens ont contractualisé pour louer leur domaine dans le cadre d'un bail emphytéotique. Une location longue durée qui correspond au modèle classique d'implantation des énergies renouvelables.

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Selon les recherches menées par La Tribune, les familles en question, au nombre de sept, sont réunies au sein du Groupement forestier du Murat, dont le gestionnaire se nomme Stanislas Droin. Un nom évocateur dans le milieu viticole bordelais. À 52 ans, ce gestionnaire foncier est à la tête du château Laroque à proximité de Saint-Émilion. Un domaine de 60 hectares dirigé jusqu'en 2018 par son oncle, Xavier Beaumartin, issu d'une famille qui a fait fortune dans la sylviculture dès le début du 20e siècle. Ayant peu à peu repris la gestion du patrimoine familial, Stanislas Droin est aujourd'hui le gérant d'une dizaine de groupements forestiers et agricoles en Gironde. Dont le Groupement forestier du Murat, qui rassemble 2.500 hectares de terres forestières entre Saucats, Cestas et Le Barp, au sud de la Gironde.

Une estimation de 120 millions d'euros sur 40 ans

Avec un tiers des parts sociales, la famille Beaumartin est majoritaire au capital de cette société dédiée à l'exploitation forestière. Les parts restantes sont partagées quasi équitablement entre Stanislas Droin et cinq autres célèbres familles. À commencer par les trois enfants de Corinne Allard, née Droin, et Franck Allard, fondateur des assurances deux-roues AMV et président du Medef Gironde. Mais aussi la famille Moueix, propriétaire d'une dizaine de domaines dont Château Latour à Pomerol, et la famille Tari, historiquement active dans le milieu viticole en Médoc et en Provence. On y retrouve également Sébastien Bardinet, le dirigeant du courtier en vins Tastet & Lawton. Et enfin la famille Dognin, qui possède des liens de parenté avec la famille Beaumartin. Deux des familles citées - Moueix (354e) et Allard (426e) - font partie du classement des 500 plus grandes fortunes de France du magazine Challenges.

L'ensemble des terrains convoités par le projet Horizeo est détenu par ce groupement forestier. Autrement dit pour les sept familles, c'est du pain béni. Car si le projet est mené à bien, elles percevront durant 40 ans une rente annuelle d'exploitation versée par Engie et Neoen. Selon une association environnementale et un aménageur de projet, le montant du loyer pourrait tourner autour de 3.000 euros par hectare et par an. Un prix de marché courant selon les professionnels du secteur. La manne financière est tout de même colossale pour les propriétaires. Pour 1.000 hectares, la location des terrains rapporterait 3 millions d'euros par an. Et plus de 120 millions sur l'ensemble de la durée du bail. La somme représente environ 10 % de l'investissement global du projet, qui s'élève à 1 milliard d'euros. Un tel niveau de rente n'aurait jamais pu être atteint grâce aux activités d'exploitation forestière et de chasse privée jusqu'ici implantées sur ces terres.

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horizeo terres

Les exploitants du domaine de chasse devront vraisemblablement stopper leur activité. (crédits : MG / La Tribune)

Impérative unanimité

Même la valeur des terrains ne représente rien en comparaison du potentiel financier apporté par Horizeo. À titre d'exemple, la valeur estimée par la Safer des terrains forestiers dans la région du Sud-Ouest de la France était de 3.230 euros par hectare en 2022. Soit seulement une année de rente dans le cadre d'Horizeo, sachant que les terres sont plus chères encore en Gironde que dans le reste de la région. L'intérêt patrimonial, sylvicole et récréatif semble balayé par l'enjeu pécuniaire. « Stanislas Droin est là pour faire tourner un groupement économique, il réfléchit d'abord à l'intérêt financier. C'est le jackpot pour eux », indique une connaissance des familles et représentante d'une association environnementale.

Mais selon une source proche du dossier, les discussions avec le Groupement forestier du Murat et ses vingt membres ont été plus longues que prévues. En effet, les statuts de la société stipulent que seule une « décision générale » des associés a le pouvoir de « consentir des baux et concessions de plus de 9 ans ». Alors que l'unanimité est impérative, y aurait-il des dissensions entre les clans ? Les procédures de donation/partage conduites par deux familles, les Allard et Beaumartin, illustrent la nécessité de conserver l'unité. Le document notarié consulté par La Tribune, impliquant Corinne Allard, désignée comme donateur, et ses enfants, donataires, indique : « Le donateur entend que soient formellement interdites au donataire, qui s'y soumet, toutes mutations du bien présentement donné pendant sa vie, à peine de nullité desdits actes, et même de révocation des présentes, sauf son accord préalable. Il précise que cette interdiction est fondée sur le caractère familial de la société », indique le document. Une clause qui vient prévenir d'éventuelles divergences dans les familles en imposant une voix unique. De quoi rassurer les aménageurs.

Des inquiétudes climatiques

Sollicitées, les familles n'ont pas souhaité répondre à nos questions. « Le domaine du développement est toujours plein de surprises mais nous pensons que le sujet du foncier est maîtrisé », réaffirme Mathieu Le Grelle. « Le dépôt des demandes d'autorisation fait office de déclaration de projet. C'est cette procédure qui va embarquer un changement d'usage et modifier la destination sylvicole des parcelles. » Le dossier doit être déposé en fin d'année.

Les porteurs du projet estiment que les feux sont au vert. Mais les incendies survenus en sud Gironde l'été dernier ont ravivé de vieux souvenirs. En 1949, les terres du Groupement forestier du Murat ont en effet été touchés par les violents feux qui ont ravagé à l'époque 50.000 hectares de forêt et causé la mort de 82 personnes. Après les événements de 2022, l'attention s'est cristallisée autour de la prise en compte du risque incendie par Horizeo. « Je suis favorable au projet à condition qu'il n'augmente pas les risques d'incendies et d'inondation », pointe Bruno Clément, le maire de Saucats, qui doit faire voter une modification du PLU pour accueillir le parc solaire géant.

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Rien qui ne mette en suspens le projet, même s'il engendre des appréhensions dans le milieu viticole environnant. « Nous sommes étonnés de voir un projet d'une taille tellement importante arriver au bord d'une appellation, en lisière de grands crus classés », redoute Olivier Bernard, membre du syndicat viticole Pessac-Léognan et propriétaire du Domaine de Chevalier, à quelques kilomètres du projet solaire. Les viticulteurs de l'appellation redoutent une perturbation du climat local. Les propriétaires des terrains, eux, ne disposent pas de vignobles à proximité. Malgré un silence total, très courant lorsqu'il s'agit d'affaires de grandes familles, tout laisse penser que le domaine de ces associés va devenir une véritable poule aux œufs d'or.

Maxime Giraudeau

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Commentaires 7
à écrit le 03/10/2023 à 20:04
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Monsieur Giraudeau, vous oubliez de dire que ces parcelles ont été subventionnées au nettoyage et reboisement Klaus pour un montant de 2 M d€ (valeur annoncée par le représentant ENGIE lors du débat public). En principe ces parcelles sont en gestion ...

à écrit le 02/06/2023 à 20:39
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Un bail emphytéotique, également appelé emphytéose (l’origine du mot vient du grec « emphyteusis » qui signifie « implantation ») est un bail immobilier ou contrat de location dont la durée est extrêmement longue. En général, le bail emphytéotique se...

à écrit le 02/06/2023 à 19:02
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Mille hectares de domaine forestier, on croit rêver ! Quel symbole... Des centaines de milliers d'arbres vont donc être abattus... Et pour combien de panneaux solaires made in China à la place ? Le gain écologique n'y sera peut-être même pas à l'hori...

à écrit le 02/06/2023 à 18:48
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C'est quoi ce deal, famille illustre que l'on va enrichir avec l'argent des contribuables. Du vol déguisé, pour les copains aristocrates. L'état n'a pas un petit bout de terre qui ne sert à rien ? Un pauvre paysan qui n'arrive pas à vendre ses terres...

à écrit le 02/06/2023 à 14:31
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Pour faire la même chose, le nucléaire n'a besoin que de 30 hectares. Et je croyais qu'on avait besoin des arbres pour entretenir les puits de carbone. Bon, j'ai dû rater quelque chose...J'espère tout de même que ces familles ont indemnisé les 82 per...

à écrit le 02/06/2023 à 11:56
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Même si le Capital de Karl Marx est passablement poussiéreux, un principe qu'il y énonce n'a rien perdu de sa validité, à savoir que les riches le deviennent toujours plus. Arriver à trouver le point d'équilibre avec la masse de pauvres qui le devien...

à écrit le 02/06/2023 à 8:08
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A vrai dire on ne s'en fait pas pour les riches, alors qu'il faudrait les secouer on continue de les biberonner.

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