LGV Bordeaux-Paris : les péages facturés par Lisea à la SNCF sont-ils trop chers ?

DÉCRYPTAGE. Le coût « exorbitant » des péages facturé par Lisea, le concessionnaire de la LGV Tours-Bordeaux, est régulièrement cité par la SNCF pour justifier l'impossibilité d'affréter davantage de trains entre Bordeaux et la capitale. Ces péages sont-ils réellement plus chers qu'ailleurs ? À qui la faute ? Quel est l'impact réel pour la SNCF ? Éléments de réponses.
Si Lisea reconnaît des péages parmi les plus chers de France sur l'axe Paris-Bordeaux, le concessionnaire assure qu'ils ne sont en rien exorbitants par rapport à ceux facturés par SNCF Réseau.
Si Lisea reconnaît des "péages parmi les plus chers de France" sur l'axe Paris-Bordeaux, le concessionnaire assure qu'ils ne sont en rien "exorbitants" par rapport à ceux facturés par SNCF Réseau. (Crédits : Pierre Begue / Lisea)

« Sans révision du modèle des péages, l'ajout de nouvelles circulations sera impossible pour SNCF Voyageurs », a asséné Christophe Fanichet, le PDG de SNCF Voyageurs, dans un courrier adressé aux élus bordelais le 1er août dernier. Pour SNCF Voyageurs, le montant des péages facturés par Lisea, le concessionnaire des 302 km de la LGV Tours-Bordeaux, entraîne un déficit structurel sur cette ligne et serait donc l'une des raisons, si ce n'est la raison principale, de la rareté de l'offre proposée sur l'axe Paris-Bordeaux.

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Au point, comme cette filiale de la SNCF l'a encore expliqué à La Tribune ce mardi 13 décembre, de plaider pour une renégociation du contrat :

« Nous l'avons déjà dit, sommes ouverts à la discussion sur l'évolution du modèle économique de cette ligne. Ce que nous disons c'est que le modèle économique actuel, proposé et imposé par Lisea, n'est pas soutenable sur le long terme. En l'état actuel, on perd de l'argent sur cette ligne, si cela continue, à un moment donné, on sera peut-être invité par nos actionnaires à faire autre chose...»

Qu'en est-il vraiment ? Qui a réellement fixé les tarifs des péages ? À quel prix et selon quelles évolutions ? Quelles sont les conséquences pour les deux acteurs, SNCF voyageurs et Lisea ? Élements de réponse.

  • Qui a fixé les tarifs des péages ?

Si SNCF Voyageurs pointe régulièrement du doigt le montant des péages pratiqués par Lisea, la réalité est un peu plus complexe puisque le concessionnaire de la ligne n'a pas la main sur ce paramètre clef. « C'est le groupe ferroviaire lui-même, en l'occurrence SNCF Réseau [Réseau ferré de France, à l'époque NDLR], qui a défini dans le contrat de concession signé en 2011 le barème des péages de Tours-Bordeaux et leur évolution sur toute la durée de la concession jusqu'en 2061, il y a donc une très grande visibilité », rappelle à raison Philippe Jousserand, le directeur général de Lisea.

Avant même l'ouverture de la ligne en juillet 2017, la SNCF savait donc qu'elle allait perdre de l'argent sur cette ligne au point d'être structurellement déficitaire puisque tout figurait déjà noir sur blanc dans l'offre de Lisera retenu par les pouvoirs publics. « Cela correspondait, à l'époque, à la volonté de l'Etat de contenir la part du contribuable public à 50 % du total. L'autre moitié devant être financée par l'usager, c'est-à-dire le ou les entreprises ferroviaires qui empruntent la ligne », ajoute le patron de Lisea, qui précise qu'en contrepartie, c'est au concessionnaire d'assumer le risque du trafic, que ce soit pendant la pandémie ou pendant les 95 jours de grèves entre 2018 et 2022. Mais c'est un fait, les intérêts des deux entreprises sont fondamentalement divergents, ce qui avait même donné lieu à une mission de conciliation dès 2015.

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  • Les tarifs de Tours-Bordeaux sont-ils plus élevés qu'ailleurs ?

C'est l'argument récurrent de la SNCF et répété à nouveau par Christophe Fanichet, le PDF de SNCF Voyageurs en août dernier : « Le niveau de péages pour circuler sur la LGV Tours-Bordeaux est un des plus élevés de France. [...] Circuler sur la ligne Paris-Bordeaux est 1,6 fois plus cher en moyenne que sur les autres lignes ». Mais là encore, la réalité est plus nuancée, notamment parce que les péages de Lisea ne concernent que la moitié des 600 km de la ligne Bordeaux-Paris, l'autre moitié étant détenue par... SNCF Réseau.

Et, tout en rappelant les nombreux ponts et tunnels qui ont du être construit sur la portion Tours-Bordeaux, Philippe Jausserand avance, lui-aussi, des chiffres : « Le péage sur Paris-Bordeaux en 2022 pour une rame simple est à 33,5 €/km tandis que le Paris-Lyon est à 34,4 €/km. En revanche, pour une rame multiple, le Paris-Bordeaux monte à 43,8 €/km contre 37,7 €/km sur le Paris-Lyon. Là encore, cette différence s'explique par le choix du groupe ferroviaire de tarifer non en fonction de la rame mais de sa capacité d'emport. Concrètement, une rame double paie 1,5 fois plus cher qu'une rame simple sur la LGV Tours-Bordeaux. »

Et le patron de Lisea refuse, diplomatiquement mais fermement, de porter le chapeau de ces augmentations :

« C'est assez facile de charger Lisea mais entre 2017 et 2022, le péage sur Tours-Bordeaux a augmenté en cumulé de 26 % quand, dans le même temps, cette hausse est de 130 % sur la ligne Paris-Lyon et, là, c'est le fait de SNCF Réseau ! Donc, non, le montant de péages n'est pas exorbitant même s'il figure bien parmi les plus élevés de France. Et nous travaillons avec notre client pour trouver des solutions. »

Lisea propose ainsi des baisses de 20 à 40 % de ses péages pour des circulations vers de nouvelles destinations, par exemple des Ouigo vers la côte basque.

  • Pourquoi les montants des péages vont-ils encore augmenter ?

« Lisea a annoncé récemment une hausse de 8,25 % en 2024 », attaque Christophe Fanichet, dans son courrier aux élus locaux, dans ce qui ressemble fort à une tentative de faire diversion en pointant à nouveau la responsabilité du concessionnaire. Dans les faits, les formules de révision des péages, dénoncées par SNCF Voyageurs, sont inscrites noir sur blanc dans le contrat depuis 2011. Elle sont notamment liées à l'inflation, avec une prise en compte décalée de deux ans. « En 2023, les tarifs de Lisea vont augmenter de 4,5 % compte tenu de l'inflation de 2021 puis de 8,25 % en 2024, compte tenu de l'inflation de 2022 », confirme Philippe Jausserand, avant de nuancer : « En comparaison, SNCF Réseau actera une hausse de 4,2 % en 2023 et de 7,6 % en 2024, on est donc sur des montants relativement proches. » En parallèle de l'inflation, Lisea paie l'électricité et la « facture ensuite en grande partie à l'opérateur », sachant que le prix du KWh sera multiplié par dix entre 2021 et 2023, passant de 50 à 500 euros.

  • Quelle est l'ampleur du déficit pour la SNCF ?

« Le poids des péages pour circuler entre Paris et Bordeaux représente en 2019 plus de 46 % de notre chiffre d'affaires sur cette liaison, contre 29 % en moyenne sur les autres lignes », avance le PDG de SNCF Voyageurs, évoquant « des déficits structurels annuels massifs ». « En dépit du succès de fréquentation, l'exploitation des TGV sur cette liaison a ainsi généré en 2019, pour notre entreprise, 87 millions d'euros de déficit (hors effets liés à la grève). En 2021, la desserte est demeuré déficitaire pour la cinquième année consécutive », poursuit Christophe Fanichet. Si les montants exacts restent confidentiels, il est clair que l'argent perdu par la SNCF sur Bordeaux-Paris, malgré l'affluence croissante, se chiffre en centaines de millions d'euros depuis 2017.

« Cela témoigne d'un problème structurel qui ne peut pas être ignoré », conclut Christophe Fanichet, esquissant sa volonté de renégocier les termes du contrat. Mais, plus qu'à Lisea, ce message devrait plutôt s'adresser au groupe SNCF ou à l'Etat qui ont signé et validé le contrat de concession de la LGV en 2011. « Il y a des pays européens où l'Etat prend en charge les péages, nous pensons que c'est plutôt de ce côté là qu'il faut regarder... Le problème c'est qu'en France, quand il est question de voiture, on agit, on l'a bien vu sur le carburant ces derniers mois, mais quand il est question de train, on attend... », considère Christian Broucaret, le président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d'usagers de transport) en Nouvelle-Aquitaine. Et le représentant des usagers de lister également les sources d'économies potentielles pour la SNCF :

« Elle fait circuler des trains avec plus de monde, mieux remplis et à des tarifs plus chers, elle mobilise les personnels moins longtemps puisque l'aller-retour se fait beaucoup plus vite qu'avant la LGV et elle réalise des économies d'énergies en faisant circuler des rames duplex et multiples. Mais on n'entend jamais la SNCF sur ces aspects-là ! »

Une rame multiple permet en effet d'emmener deux fois plus de voyageurs, jusqu'à plus d'un millier de personnes. Et si les péages sont 1,5 plus élevés, la dépense énergétique est moins élevée puisque la deuxième rame bénéficie de l'effet d'entraînement de la première.

  • Quelle est l'ampleur du déficit pour Lisea ?

Du côté de Lisea, dont les revenus dépendent à 100 % des péages payés par SNCF Voyageurs, en l'absence d'autres opérateurs, la situation n'est pas fondamentalement meilleure. La filiale de Vinci Concessions, la Caisse des Dépôts, Meridiam et Ardian, est, elle-aussi, déficitaire depuis 2017, perdant entre 200 et 250 millions d'euros par an. L'objectif étant de basculer vers l'équilibre au début des années 2040 puis de se rémunérer sur les dernières années de la concession, schématiquement entre 2051 et 2061.

Et la concurrence pourrait-elle générer de nouvelles recettes dans les années qui viennent ? « Notre intérêt c'est bien évidemment d'attirer de nouveaux entrants. Il y a le projet de la société Le Train et il y a des contacts avec d'autres opérateurs mais c'est encore très en amont à ce stade », élude Philippe Jousserand. Mais Lisea anticipe déjà de potentiels arrivées avec son projet d'atelier de maintenance prévu au sud de Bordeaux à l'horizon 2026.

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En revanche, du côté de SNCF Voyageurs, où on n'a aucun intérêt à voir venir un concurrent qui pourrait encore dégrader sa situation, on affiche ses doutes : « Nous ne sommes pas convaincus que d'autres opérateurs viennent faire rouler des trains sur cette ligne compte tenu du ticket d'entrée qui est beaucoup trop élevé. »

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