LGV Bordeaux-Paris : un an après, qu'a changé la grande vitesse ?

Le 2 juillet 2017, la ligne à grande vitesse entre Bordeaux et Tours, mettant la capitale girondine à 2 heures de Paris, était mise en service en grandes pompes. L'infrastructure a-t-elle eu l'impact promis par ses promoteurs sur le développement régional ? Tout le monde sort-il gagnant ? Zoom sur le bilan économique d'une année de LGV.
En un an, 5,5 millions de voyageurs ont effectué le trajet Bordeaux-Paris sur la nouvelle ligne à grande vitesse, selon la SNCF, soit une hausse de 50 % en un an.
En un an, 5,5 millions de voyageurs ont effectué le trajet Bordeaux-Paris sur la nouvelle ligne à grande vitesse, selon la SNCF, soit une hausse de 50 % en un an. (Crédits : Agence APPA)

Bien sûr, on n'est qu'un an après. Bien sûr, 12 mois ne suffisent pas à transformer une économie. Bien sûr, rien n'est jamais définitif. Bien sûr, la grève perlée qui touche la SNCF joue forcément un rôle et demande à ce que les chiffres soient regardés avec précaution. Il reste qu'un an après sa mise en fonction, il est possible de dresser un premier bilan pour la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (SEA). Soit 340 kilomètres de ligne nouvelle entre Tours et Bordeaux, qui ont placé la métropole girondine à 2h04 de Paris, contre 3h02 auparavant. L'infrastructure aura coûté la bagatelle de 7,8 milliard d'euros. Elle aura été construite dans le cadre d'un partenariat public-privé, une première en France pour une LGV. Et c'est finalement Lisea, consortium associant Vinci, la Caisse des dépôts, Meridiam et Ardian, qui aura décroché l'appel d'offres pour la construction et l'exploitation de la ligne pendant 50 ans.

Premier point à aborder, les chiffres bruts de fréquentation de la ligne, sur laquelle la SNCF est seule à circuler en attendant l'ouverture à la concurrence en 2021 ou le lancement d'une liaison internationale.

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La SNCF annonce 5,5 millions de voyageurs sur la ligne Bordeaux-Paris, soit une hausse de 50 % (+70 % avant les grèves du printemps 2018). Lisea estime de son côté que le trafic annuel sur l'axe Bordeaux-Paris - toutes destinations confondues - serait passé de 16 à 20 millions de passagers. Les deux acteurs s'accordent à dire que l'offre à bas prix Ouigo est celle qui affichent le meilleur taux de remplissage, autour de 90 % selon Lisea. Pour le reste, impossible de savoir : la SNCF ne tient pas à révéler le taux d'occupation de ses TGV. Sur l'impact de la grève, là non plus l'opérateur ferroviaire et la société concessionnaire donnent des sons de cloche différents : la SNCF estime que la tendance n'en est pas affectée alors que Lisea est plus circonspecte.

Des entreprises à fort capital d'image

Pour ce qui est des bénéfices économiques, le sujet est aussi intéressant que complexe à analyser. Il est en effet difficile de séparer clairement ce qui est lié à l'accessibilité renforcée par l'infrastructure, au fait que Bordeaux n'est plus qu'à 2 heures de Paris, et ce qui est du ressort de la « hype bordelaise ». Depuis plusieurs années, la métropole n'est plus du tout la belle endormie qu'on a longtemps dépeinte. Capitalisant sur la qualité de vie qu'elle offre - si l'on met de côté ses effroyables embouteillages et les multiples chantiers - et sur une offre de formation conséquente gage de jeunes salariés bien formés, son économie décolle même si le tissu local reste majoritairement composé de TPE et PME.

L'un des enjeux de la LGV était de permettre l'arrivée de nouvelles entreprises et sur ce plan, le défi est assez réussi. Ubisoft, Deezer, Betclic, Back Market... et beaucoup d'autres - à l'instar de WebEngineering, Amaris et Conserto - ont implanté des bureaux à Bordeaux ces derniers mois. A chaque fois, la combinaison du dynamisme local et de l'accessibilité en train a été mise en avant même si les logiques obéissent à divers motifs. Deezer a choisi Bordeaux parce qu'elle préférait ouvrir un bureau en région plutôt que de risquer de perdre des talents cherchant à quitter Paris. Ubisoft est venu puiser dans un écosystème du jeu vidéo très dynamique. Les noms de ces sociétés sont ronflants mais à l'exception de Betclic, qui a installé son siège social à Bordeaux, et dans une moindre mesure d'Ubisoft, on parle de bureaux complémentaires et pas encore de centres de direction appâtés par la LGV bordelaise. La seule chose à peu près certaine, c'est que le fait de placer Bordeaux à 2 heures de Paris en train a attiré davantage encore de touristes dans la métropole bordelaise mais aussi sur le bassin d'Arcachon.

Même si à ce jour, aucun organisme n'a chiffré précisément cet « effet LGV », il semble assez tangible. Invest in Bordeaux, l'agence chargée d'aider de nouvelles entreprises à s'installer, annonce ainsi avoir enregistré le meilleur score depuis sa création il y a 20 ans avec la création annoncée de plus de 2.000 emplois nets en un an sur Bordeaux Métropole grâce à des entreprises exogènes. Si l'on élargit aux entreprises déjà présentes sur le territoire, le chiffre devait tourner autour des 11.000 créations nettes selon le président de la Métropole, Alain Juppé.

Effets réels et "pensée magique"

Fin connaisseur des mécaniques urbaines, professeur à Sciences Po Bordeaux et responsable scientifique du Forum urbain, centre d'innovation sociale sur la ville, Gilles Pinson relativise, de son côté, l'impulsion économique lié à la nouvelle LGV :

« J'entends des impressions positives sur l'économie, mais aussi qu'elle a entraîné de la frénésie immobilière. Il y a eu un effet d'emballement du marché foncier et immobilier, conjugué aux 7.000 nouveaux habitants qui arrivent sur la métropole bordelaise chaque année. Sur le plan économique, il y a sans doute des effets positifs, il y a sans doute aussi de la pensée magique. »

L'enseignant-chercheur profite d'ailleurs du sujet pour tirer une sonnette d'alarme et élargir le propos : « On est dans un contexte où la gouvernance de la métropole est faible sur cette question d'immobilier et d'urbanisme. Beaucoup de maires sont dans des logiques conservatrices qui estiment que maintenir une certaine qualité de vie passe uniquement par de la faible densité. Ils jouent la carte du localisme et ne sont pas prêts à des systèmes d'actions collectives. C'est la tendance bordelaise à se dire que les choses iront d'elles-mêmes. »

Si la flambée immobilière est bien réelle, elle ne peut, malgré tout, pas être imputée aux seuls couples parisiens qui s'établissent dans le bordelais. La mécanique est beaucoup plus complexe. Au moins peut-on se réjouir que les quelques autocollants « Parisien rentre chez toi ! » qui avaient fleuri au moment de l'inauguration de la LGV, n'ont pas tenu longtemps. Les bémols entendus se concentrent surtout pour le moment sur l'absence de TER permettant de prendre les premiers TGV de 6 h ou 7 h lorsque l'on vient de l'extérieur de la métropole, ce qui implique des déplacements en voiture entrainant une saturation précoce du périmètre de la gare et de ses parkings, et sur l'impossibilité de choisir une nouvelle rame équipée de wifi.

La clientèle parisienne enfin accessible

Le perdant de l'histoire semble assez clairement être Hop ! Air France. La navette entre Bordeaux et Paris, si elle a plutôt bien résisté au début, recule mois après mois. En janvier dernier par exemple, la baisse du trafic était de -29,5 % par rapport à janvier 2017. Un chiffre peu aisé à appréhender puisqu'Air France ne dissocie plus les chiffres qui concernent Orly, la destination impactée par la LGV, et ceux de Roissy Charles-de-Gaulle et son hub international. De nombreux chefs d'entreprise disent ne plus du tout prendre l'avion. « Je voyage entre 2 et 3 jours par semaines, le plus souvent en train, la moitié du temps à Paris. Pour ma part, je me rends à Paris toutes les semaines. La LGV nous fait gagner 4 heures par semaine, soit 200 heures depuis un an. C'est autant de temps que nous passons en plus avec nos collaborateurs ou en famille. Elle n'a pas motivé notre choix de venir à Bordeaux, mais elle a véritablement changé notre rythme de vie », explique ainsi un cadre dirigeant d'une startup bordelaise.

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Les gagnants, eux, pourraient être une typologie de petites entreprises bordelaises et de consultants freelances arrivant désormais à toucher une clientèle parisienne qui se refusait à eux jusqu'à présent. Cette dernière semble séduite par le « rapprochement » qu'a occasionné la LGV mais aussi par le fait de travailler avec des acteurs bordelais. TGV et hype : les deux sont décidément bien imbriqués pour donner la clef du succès.

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Commentaires 6
à écrit le 15/03/2019 à 20:57
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Bonjour, Belle technologie avec ces avantages et contraintes mais je ne suis pas convaincue que les système au sol résiste à cette vitesse.

à écrit le 13/07/2018 à 16:08
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et poutant plus de trains directs TGV ou autres entre Tours(Saint pierre des corps) Tarbes Pau Pays basque ou Arcachon pour gagner 5 ou 10 minutes on oublie les gares intermediares et la region centre progrs pour les parisiens uniquement !!!!

à écrit le 06/07/2018 à 13:57
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À Toulouse aglo il y a entre 15 et 20000 nouveaux habitants qui arrivent chaque année sans TGV pourquoi en faire un ? et Narbonne et et la Méditerranée est à seulement 1h15 ou 1h30 de toulouse autant que Bordeaux et le bassin d'arcachon communiquons ...

à écrit le 04/07/2018 à 16:55
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Une débauche d'investissements, dont des nouvelles voies ferrées, alors que la France en est déjà couverte. Tout ça pour rapprocher les cades sup parisiens du bassin d'Arcachon. Quel gâchis !

le 11/07/2018 à 14:28
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Ben oui, c'est ça, la sncf a fait cette ligne TGV uniquement pour les cadres sup parisiens qui vont à Arcachon. Une telle débauche de bêtises en si peu de mot me laisse songeur .... Pauvre français .....

à écrit le 04/07/2018 à 10:25
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« Parisien rentre chez toi ! » C'est exactement ce que l'on dit aux bordelais aux ils débarquent chez nous en vacances. Dans un contexte de consortium financier européenne notre idée de nation est totalement détruite, la nation européenne n’ayant...

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