Le modèle tout digital affiche-t-il ses limites ?

Agilité, audace, chevaux de Troie, renoncements, retour en force des magasins physiques : ancien vice-président international de Monster Energy Beverage, Marc Valerius de Beffort a glissé de nombreux conseils aux jeunes pousses lors du forum Innovaday, réunissant startups et fonds d'investissement à Bordeaux.
Le forum Innovaday a réuni plus de 600 personnes
Le forum Innovaday a réuni plus de 600 personnes (Crédits : DR)

Après avoir exercé chez Danone en tant que global marketing director Evian Water, Marc Valerius de Beffort a rejoint Monster Energy Beverage, la célèbre marque de boissons énergétiques valorisée plus de 30 milliards de dollars au Nasdaq (Coca Cola a racheté 16,7 % du capital pour 2,15 milliards de dollars en 2014). Cette expérience aura duré un peu plus de six ans au sein d'un groupe qui a explosé au plan mondial, et dont il assurait la vice-présidence internationale. Son parcours professionnel l'a donc mené aux Etats-Unis ou encore à Hongkong. Installé à Bordeaux depuis 18 mois, il cumule aujourd'hui les casquettes d'investisseur et de cofondateur de la nouvelle marque de luminaires baptisée Hoopzï. Invité du forum Innovaday dédié à mettre en contact jeunes pousses entrepreneuriales et investisseurs, événement organisé par Bordeaux Unitec et ADI Nouvelle-Aquitaine, le business angel évoque avec La Tribune les mutations du paysage des startups.

La Tribune - En tant qu'investisseur, qu'est-ce qui vous séduit particulièrement au moment de vous lier à une startup ?

Marc Valerius de Beffort : Comme beaucoup, je vérifie si l'équipe est incisive et va être capable de pivoter dans l'évolution de son business. Elle doit être prête à abandonner ses idées de départ, accepter de se couper un bras finalement, pour évoluer et prendre des directions qui n'étaient pas prévues initialement mais qui seront porteuses. Prenons l'exemple de la startup bordelaise Kazoart. Sa fondatrice Mathilde Le Roy l'a créée pour démocratiser l'art auprès du grand public et donner de la visibilité à des artistes émergents. Aujourd'hui, cette pépite a un boulevard devant elle sur le marché BtoB, en permettant à des entreprises de louer des œuvres et d'en faire l'acquisition par la suite, le tout en s'appuyant sur un mécanisme de défiscalisation très intéressant. Ce n'était pas la philosophie initiale mais Kazoart doit saisir l'opportunité et foncer sur ce marché pour se développer, sans négliger son activité BtoC bien sûr.

Après avoir œuvré au déploiement mondial accéléré de Monster Energy Beverage, que pourriez-vous conseiller aux dirigeants de startups ?

Je trouve déjà que nous autres Français sommes trop conditionnés, trop timides. On se met des barrières pas possibles en cherchant à verrouiller le contrôle de niches de marché sans essayer d'aller plus loin. Je propose plutôt d'utiliser un "cheval de Troie", dans le marché de l'alimentation par exemple, avec un premier produit qui permet de planter sa marque dans le paysage, et de décliner ensuite les références à partir de ce premier cheval de Troie. Y aller frontalement face à Danone et consorts en essayant de s'emparer d'un bloc de marché, ce n'est pas la peine. Par contre, c'est envisageable en entrant par la petite porte et en ajoutant rapidement des briques supplémentaires. C'est ce que nous cherchons à faire avec Hoopzï, qui vise le marché de la décoration d'intérieure et du mobilier. Attaquer Ikea frontalement sur tous ses produits d'un coup, c'est du suicide. On commence donc avec une lampe, une porte d'entrée plus facile. Chaque année, un foyer sur quatre en France y consacre un budget de 30 €. Et puis en année 3, 4, 5... une fois que la marque se sera installée, on va progressivement ajouter d'autres produits Hoopzï : canapés, tables, chaises... et passer d'un marché de 800 millions à 10 milliards d'euros !

Vous dites également que le modèle pure player, avec une présence uniquement sur le web, est remis en cause ?

C'est effectivement une tendance qui me frappe : le retour en force du phygital (mix de physique et digital, NDLR). Toutes les startups que j'accompagne voient le même phénomène se produire : les coûts de la publicité en ligne explosent alors que les résultats, c'est-à-dire la conversion en clients, baissent. Google et Facebook sont en position de force pour imposer leurs tarifs. Les influenceurs sur les réseaux sociaux ont aussi changé de posture : j'en vois de plus en plus préférer prendre des parts au capital des startups qui les sollicitent pour en faire la promotion, plutôt qu'un gros chèque. Tout ceci participe au retour en force des magasins physiques, où il est plus aisé de faire de l'acquisition client en lui faisant vivre une véritable expérience d'achat, en lui faisant découvrir un univers. Pour les marchés de l'alimentation, de l'habillement, du parfum... rester pure player est très difficile : le modèle s'essouffle, de mon point de vue. Au regard de l'explosion de la publicité sur le web, le magasin, avec un bail et deux vendeurs sous contrat, redevient rentable ! Ce n'était pas le cas il y a deux ou trois ans. L'exemple de My Jolie Candle est intéressant à cet effet. Cette startup que j'accompagne s'est faite connaître en vendant sur le web une vraie innovation produit : des bougies qui, au fur et à mesure qu'elles brûlent, laissent apparaître un bijou. La société a décollé en s'appuyant sur les influenceurs. Aujourd'hui, elle réalise 12 M€ de chiffre d'affaires et développe son réseau de magasins.

Autant que possible, je préconise d'avoir une "vie retail" dès le jour 1. Ça ne veut pas dire posséder son réseau de boutiques mais au moins être distribué par des acteurs en magasin. L'omniprésence du e-commerce a fait oublier qu'un point de rencontre physique avec le consommateur permet d'avoir un avis immédiat, de poser des questions. C'est du focus group permanent ! Alors qu'a contrario le web fait qu'on ne voit plus jamais le client et qu'on est obligé de le soumettre à des questionnaires en ligne auquel personne n'a envie de répondre. Mais j'ai bien conscience que pour les startups, c'est deux fois plus dur qu'avant : maintenant il faut être bon en ligne ET en boutiques physiques. Et pour qu'une marque commence à être présente à la fois dans l'esprit du consommateur et dans la distribution, il faut pouvoir investir. Au moins 10 M€.

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Innovaday distingue deux startups

Organisé par Bordeaux Unitec, le forum Innovaday 2019 a réuni plus de 600 participants. 36 startups lauréates ont pu rencontrer de manière privilégié 62 investisseurs et se nourrir des témoignages lors des tables rondes. L'événement a distingué en particulier deux jeunes pousses :

  • Axioma est à la recherche de deux millions d'euros pour industrialiser la production de ses additifs naturels à destination de l'agriculture et de l'élevage. L'entreprise basée à Brive-la-Gaillarde développe des produits permettant d'améliorer l'assimilation de sa nutrition par la plante, augmentant des défenses naturelles avec pour conséquence une baisse des doses d'intrants chimiques nécessaires. Prix Innov'Invest.
  • Startec Developpement, recherchant deux millions d'euros également. Le groupe n'est pas une startup à proprement parler mais est le fruit de la réunion de trois sociétés, Clairitec (solutions d'affichage graphique innovantes pour tous les secteurs industriels), BMS PowerSafe (systèmes de gestion de batteries intelligents), et Neogy (systèmes de production et de stockage d'énergie électrique autonomes). L'accélération forte en termes de chiffre d'affaires enregistrée en 2019 demande au groupe de muter rapidement, tant d'un point de vue organisationnel et productif que culturel. - Prix Innovaday

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