Comment Yaal investit de la technique dans les startups

Assurer du développement technologique en échange de parts au capital : la société bordelaise Yaal fait partie des rares à s'inscrire dans la "tech for equity", qui casse les règles habituelles du couple client / prestataire informatique. L'un des premiers projets dans lesquels elle a investi, la startup MyElefant, vient d'être revendue 21 millions d'euros. Cofondateur de Yaal, Arthur Ledard explique comment la société fonctionne : rapport au risque perpétuel, choix des projets, refus de la sous-traitance, organisation à plat...
Yaal est un des rares acteurs à être investisseur au capital de startups en échange de prestations de développement informatique
Yaal est un des rares acteurs à être investisseur au capital de startups en échange de prestations de développement informatique (Crédits : Agence Appa)

Arthur Ledard et Colin Garriga-Salaün se sont rencontrés chez Orange à Bordeaux, "au moment du déploiement des méthodes agiles", explique le premier. "Nous étions en 2007 et cette phase a éclairé les défauts d'un type d'organisation qui ne souhaite pas vraiment se modifier." Ne s'y retrouvant pas, les deux développeurs quittent le navire et finissent par fonder Yaal en 2010 : deux associés, un salarié, soit trois techniciens et zéro commercial. La société est d'abord passée par la pépinière éco-créative des Chartrons puis par l'Auberge numérique opérée par Bordeaux Unitec. "On a appris le commerce par la voie difficile, sourit Arthur Ledard. Notre idée, dès le départ, était de s'adresser aux entreprises de croissance car elles sont capables de dire qu'elles ne savent pas où aller mais qu'il faut y aller : ça colle parfaitement aux méthodes agiles. Mais nous voulions casser la relation classique client / prestataire technique, ce qui nous a conduit à nous positionner comme un investisseur technique."

Le modèle économique de Yaal n'est pas courant.

"D'abord, nous calculons le nombre de jours de travail nécessaires pour réaliser le projet prévu. Pour tant de jours, c'est tant de parts au capital. Tant que les fondateurs ne se paient pas, nous mettons l'équivalent d'un mi-temps gratuit également. Tout ceci fait de nous des associés réels et pas uniquement financiers. Ensuite, tout ce qui ne rentre pas dans le cadre convenu à l'avance est facturé à la journée, résume Arthur Ledard. A ce jour, nous avons investi dans une dizaine de projets. Sept sont morts, deux vivotent, un a très bien marché."

Celui-là, c'est MyElefant, la bonne pioche de Yaal. Cette entreprise, née en 2010 également, a été fondée par Cyril Puget et Jean-Philippe Gallet ainsi que par... Yaal, qui a proposé ses services techniques en échange de 20 % du capital. La plateforme développée permet aux marques d'améliorer l'engagement de leurs clients grâce à des outils de messageries personnalisées. MyElefant vient d'être cédée pour 21 M€ au groupe suédois Sinch, coté au Nasdaq de Stockholm et qui figure parmi les leaders mondiaux de la communication cloud. Une opération qui, en s'adossant à un acteur reconnu, va lui permettre de concrétiser son développement international. Au fil des levées de fonds, Yaal avait vu sa participation se diluer et se fixer à 11,4 % du capital. Reste que la cession de ses parts boucle un cycle de neuf ans avec succès. Lors de cette période, MyElefant a grandi, demandant à Yaal d'étoffer ses effectifs. Une équipe dédiée de 20 personnes s'est progressivement structurée. "Elle va être maintenue sur le territoire puisque MyElefant va embaucher une partie de notre équipe en 2020 en implantant son laboratoire de recherche et développement dans la métropole bordelaise", ajoute Xavier Chetif, en charge des investissements et des opérations.

Un rapport au risque constant

Yaal, elle, va redevenir une TPE, ce qui lui convient très bien, et poursuivre son rôle de dénicheur de pépites amenées à devenir rentables.

"Le critère le plus pertinent, c'est la qualité des fondateurs et leur capacité à évoluer, à changer et à ne pas s'arc-bouter sur leur idée initiale, reprend Arthur Ledard. Ensuite, est-ce que le porteur de projet a une capacité technique de réalisation ? Est-ce qu'il nous raconte une histoire capitalistique crédible ? Est-ce que l'étude de marché est solide ? Est-ce que les fondateurs ont assez de surface pour porter le projet financièrement ? On sait très bien que la trésorerie, ou plutôt son absence, peut facilement tuer une entreprise. Tous ceux qui poussent notre porte en pensant que nous faisons du développement informatique gratuitement, ça ne marchera pas. Par ailleurs il faut qu'à 18 mois, chacun ait fait ce qui était convenu au départ. Nous nous portons garants de la partie technique, le porteur de projet doit pouvoir avancer lui-même en cassant le cycle initial qui veut que l'on développe d'abord pour ensuite s'attaquer à la partie commerciale. C'est absolument nécessaire car on peut vite se retrouver dans une situation où le fondateur se retrouve minoritaire, se démobilise, et où la valorisation de la startup ne repose que sur la technologie. On doit partager risques et valeur."

Le développement de MyElefant et les retombées financières régulières puis la revente à 21 M€ ont prouvé que le modèle "tech for equity" pouvait fonctionner, mais les neuf autres investissements n'ont pas porté les mêmes fruits.

"Le modèle n'est pas forcément rentable et le rapport au risque y est constant, concède Arthur Ledard. Mais ce n'est pas très grave parce ce que nous visons avant tout, c'est l'équilibre, mettre un pour obtenir un, et conserver un confort de travail très épanouissant. Un deal à la MyElefant, je ne sais pas si on le referait aujourd'hui tant il nous a forcé à grandir au-delà des limites que l'on souhaite. Notre métier, c'est d'éditer un service numérique, pas autre chose. Aujourd'hui on est 30. Avec le transfert d'une partie de l'équipe technique vers MyElefant, on va redescendre, notre idéal se situant entre six et neuf personnes avec une organisation à plat. Notre chiffre d'affaires va beaucoup baisser, mais notre masse salariale aussi."

Yaal, investisseur technique dans des startups

Xavier Chetif  et Arthur Ledard (crédit photo Agence Appa)

Des conditions de travail confortables plus que des hauts salaires

Yaal cultive également son originalité en matière de ressources humaines. Les associés touchent environ 1.500 nets par mois, ce qui permet de dégager des marges pour l'entreprise nécessaires pour investir dans la technologie. En contrepartie, la société offre "des conditions de travail confortables. Le fait de travailler sur un projet par an donne la possibilité de bien travailler avec une charge de travail raisonnable et un lissage des périodes compliquées. Et chaque personne recrutée, au prix du marché, se voit proposer de devenir associée au bout d'un an de présence dans l'entreprise. Libre à elle d'accepter ou de refuser. Aujourd'hui, plus d'un tiers de l'effectif est associé."

L'entreprise est, autre rareté, propriétaire de ses bureaux, à quelques dizaines de mètres de la place de la Victoire, et s'apprête à déménager à Bègles, en face de la Cité numérique, dans un bâtiment qu'elle a également acheté. "Le fil conducteur est d'être au maximum responsables de nos conditions de travail, qui sont aussi nos conditions de vie. Les pratiques locatives et les loyers pour les entreprises nous ont dissuadé d'opter pour cette option, et sur 15 ans, c'est moins cher d'acheter", estime Arthur Ledard.

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