Sylviculture  : après les incendies en Gironde, une nouvelle doctrine qui peine à s'affirmer

Les incendies de l'été dernier ont mis la lumière sur la responsabilité des propriétaires forestiers de Gironde dans l'entretien des parcelles. Prairies en pâturage, bordures tampons, plantation de feuillus : de nouvelles techniques doivent être considérées mais certains sylviculteurs se hâtent déjà de tout replanter comme avant.
Maxime Giraudeau
Le bois brûlé à Hostens attend d'être évacué par camion.
Le bois brûlé à Hostens attend d'être évacué par camion. (Crédits : MG / La Tribune)

C'est un itinéraire aux lourds stigmates. Sur la départementale qui relie Saucats à Hostens, à 30 kilomètres au sud de Bordeaux, la désolation. Sur plusieurs kilomètres, des dizaines d'hectares encore en pinède il y a un an ont été rasés. Au bord de la chaussée, les cadavres de bois brûlé s'entassent encore ce 28 avril. Le charnier forestier est en cours d'évacuation. La petite ville d'Hostens, dont le bon millier d'habitants a vu les trois quarts de la forêt communale brûler, a forcément perdu de son charme.

Depuis sa mairie, le premier édile de la commune, Jean-Louis Dartiailh, lui-même pris dans les flammes à deux reprises l'été dernier, a l'impression de vivre une double peine. « On avait des routes déjà abîmées par les camions des pompiers qui étaient très chargés. Maintenant, les camions d'extraction de bois finissent de les dégrader », constate-il impuissant. Malgré les annonces du gouvernement sur les nouveaux moyens mis à disposition et la proposition de loi sénatoriale sur la lutte active, le maire attend toujours des aides pour les dommages subis sur les communes sinistrées.

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Le bois est entassé le long de la route départementale entre Saucats et Hostens. (crédits : MG / La Tribune)

« Les sylviculteurs sont déjà en train de remembrer »

Mais ses inquiétudes se portent surtout sur les intentions des propriétaires forestiers. En début d'après-midi, l'un d'entre eux est venu à sa rencontre pour signaler que le remembrement avait déjà commencé. Une replantation hâtive alors qu'une période de régénération est nécessaire afin d'éviter l'invasion de parasites. « Il faut laisser un ou deux étés pour que la situation sanitaire se résorbe, nous le disons aux sylviculteurs », assure Stéphane Latour, directeur du Centre national de la propriété forestière.

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Plus étonnant encore, les enseignements des incendies 2022 ne semblent pas avoir été entendus. « Nous l'avons vu après les incendies : sur les parcelles privées, les pins étaient plantés en bordure de fossé, en limite de domaine public. Les premiers sylviculteurs qui sont déjà en train de remembrer ne tiennent toujours pas compte de ça. Ils replantent en gagnant un maximum d'espace », observe Jean-Louis Dartiailh qui a alerté le président du département et la préfecture. Le constat a de quoi interroger.

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Le maire d'Hostens Jean-Louis Dartiailh a vécu de près les incendies de l'été 2022. (crédits : MG / La Tribune)

Retour du risque maximal d'ici 10 ans ?

Le soir même à Bordeaux, la Sepanso Gironde, une organisation de défense de l'environnement, accueillait une conférence de l'ex-ingénieur forestier de l'Inrae Alexis Ducousso. Un connaisseur des forêts et du risque incendie, lui-même sylviculteur, dont le discours résonne de façon inquiétante devant une centaine de personnes. « On observe une concentration de pins entre 10 et 20 ans à Landiras, or c'est là qu'ils sont le plus vulnérables aux flammes. Cela explique en grande partie la gravité de l'accident », explique-t-il.

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Le précédent remembrement a en effet été entrepris en 2009, quand des millions d'arbres ont été mis à terre par la tempête Klaus. Selon ce spécialiste, si les sylviculteurs se hâtent à nouveau à planter de façon homogène et sans respecter les zones tampons, la forêt sera de nouveau exposée à un risque maximal d'ici 10 ans.

Face à cela, de nombreuses solutions sont pourtant déjà connues. Parmi elles, la mise en prairies pâturées de bandes de terres larges de plusieurs dizaines de mètres entre deux parcelles ou l'insertion d'arbres feuillus (chênes, peupliers...) en bordure de plantation. Autre possibilité, l'association d'espèces moins soumises au risque incendie au cœur des exploitations et la constitution de parcelles abritant des arbres d'âges divers.

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Communication rompue

« Allonger la durée de vie des arbres réduit le risque incendie appuie Alexis Ducousso, tout en réalisant que « cela pose un problème de refonte du modèle économique de la filière bois. » Difficile d'attendre 10 à 20 ans de plus pour couper les arbres alors que le secteur connaît déjà des difficultés d'approvisionnement. Tout en reconnaissant la nécessité d'un travail d'intelligence collective, le chercheur témoigne d'une communication rompue.

« Il y a un problème majeur et global pour la forêt, avec un transfert de la recherche à l'application qui ne se fait pas bien. En tant que scientifique, on ne nous demande plus du tout de faire de la vulgarisation mais seulement de la publication. On a un gros problème à retisser des liens et ça engendre des manques de formations des sylviculteurs forestier », regrette-t-il. Un dialogue pourtant capital, tant d'un point de vue de gestion du risque que d'enjeux économiques, dans une région Nouvelle-Aquitaine où la filière forêt et bois représente presque 10 milliards d'euros par an.

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Maxime Giraudeau

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