Pour ou contre : face aux risques d'incendie, faut-il une base Canadair dans le Sud-Ouest ? (Laurence Harribey face à Nathalie Delattre)

Le gouvernement a récemment annoncé l'implantation d'une base de Canadair à proximité de la forêt des Landes de Gascogne pour lutter contre les incendies. Mais, alors que le Sénat a dans le même temps fait émerger une proposition de loi transpartisane, l'utilité d'une nouvelle infrastructure dans le Sud-Ouest similaire à celle de Nîmes a fait naître des oppositions puisque, désormais, les risques climatiques touchent également la moitié Nord du pays. Faut-il une base canadair dans le Sud-Ouest, c'est le débat de La Tribune en Nouvelle-Aquitaine entre les sénatrices de la Gironde Laurence Harribey (PS) et Nathalie Delattre (Mouvement radical).
Maxime Giraudeau
(Crédits : DR)

La forêt des Landes de Gascogne aura sa base. En déplacement en Gironde le 11 avril, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a confirmé, en plus du pré-positionnement de moyens aériens dès le 1er juin dans le Sud-Ouest, l'implantation d'une base aérienne pour lutter contre les incendies forestiers d'ici à plusieurs années. Après un été 2022 où plus de 30.000 hectares ont brûlé dans la forêt des Landes et autant dans le reste du pays, ces annonces, saluées par les élus de tous bords, interviennent dans la foulée d'un travail sénatorial, qui a débouché sur une proposition de loi pour prévenir le risque incendie des forêts.

Si l'État s'engage ainsi sur le volet théorique, le débat s'ouvre sur le déploiement technique. Vantant les atouts en formation et en compétences aéronautiques du Sud-Ouest, de nombreux élus locaux plaident pour une base aérienne de l'envergure de la base Canadair de Nîmes, où la sécurité civile emploie 500 personnes, afin d'être autonome dans la lutte incendie. Mais une telle implantation, à seulement 1h30 de vol de la base existante, pourrait faire doublon alors que les effets du changement climatique causent des dégâts au-delà du Sud-Ouest, dans la moitié Nord de la France. Alors, faut-il implanter une base Canadair autonome dans le Sud-Ouest, sur le modèle de celle de Nîmes ?

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« Oui, c'est évident. Le massif forestier des Landes de Gascogne est un massif de résineux, menacé par le feu et par une propagation plus rapide que sur d'autres essences. C'est le massif le plus important d'Europe donc c'est difficile d'imaginer qu'on n'ait pas de base aérienne. On est sur un sol de tourbière et on sait que c'est un feu qui couve, qui peut réapparaître d'un seul coup comme un geyser. Cette nature là fait que, même avec les drones et la photographie aérienne, on ne sait jamais où il va sortir. La réactivité nécessaire change la temporalité du secours. Le fait d'avoir une base aérienne sur site permet de gagner une heure, voire une heure et demie. Il y a une doctrine actuellement, et on l'a vu cet été, concentrée sur les feux naissants. L'éloignement des moyens aériens ne correspond plus aujourd'hui à la doctrine d'intervention.

La première réponse c'est le pré-positionnement des moyens aériens mais ce n'est pas suffisant, ce n'est qu'un test par rapport à la faisabilité d'une base. Cela ne permet pas une logistique et une culture de préparation qu'on aurait avec une base. Plus on mène les exercices sur les lieux possibles des incendies, plus on est réactif sur la lutte. On a bien vu aussi un problème de maintenance car on est en faiblesse de moyens aériens en France. En Gironde, comme dans les Landes, on a tout à fait les compétences pour assurer la maintenance. Alors qu'en se fixant sur une seule localisation à Nîmes, il arrive que les avions ne décollent pas faute de moyens de maintenance suffisants.

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La base est un élément déclencheur de toute une doctrine de prévention. Certains la contestent en disant qu'il faut plutôt une base nationale de rang européen plutôt que plusieurs bases territorialisées. Je m'oppose à ça car la territorialisation de deux ou trois bases pourra justement renforcer la capacité de coopération européenne. Cela positionnerait ces bases en tête de ponte de la lutte incendie en Europe. Le Sud-Est couvrirait l'Italie, voire la Grèce. Nous, Sud-Ouest, pourrions être une base repère pour l'Espagne et le Portugal. Et puis, une troisième dans l'Est. La stratégie européenne doit se penser de manière territorialisée. Cela suggérerait des investissements coordonnés des autres pays.

Je suis très favorable à une base mixte avec des Canadair mais aussi des bombardiers. On a vu des choses très intéressantes l'été dernier, comme la baudruche qu'on vide sur un départ de feux. Je crois à la complémentarité des moyens aériens et ça suppose la constitution d'une base logistique, avec des moyens terrestres et une approche commune. Ça me semble important d'avoir ce point d'ancrage territorial.

En travaillant avec mes collègues du Sud-Est, je me suis rendue compte qu'ils ne connaissaient pas la DFCI [Défense des forêts contre les incendies, ndlr]. Les maires du Sud-Est n'ont pas cette organisation, qui est financée par les propriétaires forestiers participant aux décisions. Plus largement, il y a une certaine méconnaissance de ce qu'est la lutte contre les incendies en Aquitaine. Si nous avons une base ici, elle ne portera pas la même culture que celle du Sud-Est. »

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« Je n'ai pas défendu le projet d'une base comme nous avons déjà à Nîmes parce que rien qu'en investissement c'est 17 millions d'euros. Aujourd'hui, on a besoin de mobiliser des moyens et Nîmes n'est pas si loin que ça à vol d'avion. Une base similaire n'est à mon sens pas le plus judicieux pour trouver la meilleure efficacité organisationnelle en termes de moyens aériens sur le massif forestier des Landes de Gascogne.

Nîmes est une base « mère » avec la maintenance lourde et, ce qui est proposé c'est que, sur la façade Atlantique et ailleurs, l'on ait des bases « filles ». Je trouve cette organisation extrêmement intéressante par rapport à une base « mère » qui a la capacité de faire de la maintenance : un moteur de Canadair c'est un million d'euros, les enjeux de maintenance sont énormes. La base « fille » permet d'assurer la maintenance légère, la visite annuelle, le changement des filtres toutes les 7 heures de vol, avec un investissement beaucoup moins lourd.

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On a beaucoup de candidatures pour accueillir la base : Biscarrosse, Mérignac, Lesparre-Médoc. Mais il faut élargir le débat. Mes collègues des autres départements se sont manifestés lors des discussions au Sénat : les incendies surviennent aussi en Bretagne, dans le Nord ! C'est difficile de défendre une deuxième base « mère » dans la moitié Sud, dès lors qu'on connaît les effets du changement climatique. Il y a d'autres massifs forestiers importants en France et il va falloir qu'on ait aussi le sens du partage. Pour intervenir sur les feux naissants, un ou deux avions pré-positionnés peuvent suffire, complétés par les moyens terrestres.

La technique des bases « filles » va permettre d'avoir les avions très disponibles en attendant d'avoir les renforts. Les drones militaires pourraient aussi surveiller et détecter les feux naissants. Dans la prochaine Loi de programmation militaire, je demanderai à ce que ces drones soient mis à disposition du massif forestier.

Je me suis beaucoup battue pour le pré-positionnement et l'achat de matériel supplémentaire. Le pré-positionnement se faisait déjà plus ou moins à date fixe sur les périodes les plus délicates. Avec le changement climatique et les conditions météorologiques, il y a une approche très pragmatique à avoir  : c'est d'arriver à effectuer une cartographie de la situation pour être en capacité de positionner 48 heures avant un épisode à risques des avions qui vont répondre à la demande.

Sur le sujet de la formation, ce n'est pas parce que les pilotes et techniciens seront formés dans le Sud-Ouest qu'il faudra les garder ici. Ce qui est important c'est de former sur notre territoire des jeunes par rapport à ce que l'on attend sur notre doctrine de défense. Aujourd'hui nous n'avons pas d'avions en capacité de mener des interventions de nuit et même dans certaines conditions particulières de jour. On parle beaucoup des Canadair mais ils ne répondent plus vraiment aux attentes et ne représentent pas le matériel de demain. Je m'interroge pour voir comment on peut introduire l'idée d'un avion à plus grande capacité capable de voler en toute situation. Les Canadair n'ont pas fait de bond technologique, alors qu'on en a besoin.

Je pense qu'il y a eu une réponse assez rapide et qu'on a bien avancé le travail. Désormais, il faut moins que les politiques s'en mêlent car le sujet va relever d'une question de technicien. Chacun va dire « il faut une base chez moi » mais ce sont les pompiers et la sécurité civile qui savent quand même un peu mieux où les bases doivent être positionnées. »

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Maxime Giraudeau

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