Incendies : « Des sylviculteurs nous accusent d'avoir trop protégé les maisons »

ANALYSE. Les incendies qui ont ravagé les forêts de Gironde et d'une partie des Landes cet été ont provoqué toute une série d'électrochocs. Parmi lesquels la montée de la contestation chez certains propriétaires forestiers s'impose comme un élément marquant. La coupe en urgence et sans leur accord de centaines de milliers d'arbres pour stopper l'avancée du feu alimente une fronde sur le prix à payer pour les grumes ou encore l'ampleur de l'étendue des incendies. En première ligne pendant cet été de feu, la préfète de la Gironde et de Nouvelle-Aquitaine reviens avec La Tribune sur ce nouveau dossier forestier qui pourrait influer sur la défense contre les incendies dans le massif des Landes de Gascogne.
Fabienne Buccio
Fabienne Buccio (Crédits : Agence Appa)

Lors de sa conférence de rentrée la préfète de la Gironde et de Nouvelle-Aquitaine, Fabienne Buccio, a mis l'accent sur l'actualité majeure de cet été : les terribles incendies de La-Teste-de-Buch, sur le bassin d'Arcachon, et Landiras au sud du département. Des feux dont l'intensité semblait appartenir à un passé révolu de l'histoire du massif des Landes de Gascogne qui s'étend en Gironde, dans les Lande et à l'ouest du Lot-et-Garonne.

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Ces incendies ont calciné 27.000 hectares de forêt dont 20.000 à Landiras. Sans compter l'incendie de septembre à Saumos, qui a détruit près de 3.000 hectares de forêt à l'ouest de Bordeaux Métropole. La préfète de la Gironde et de Nouvelle-Aquitaine a passé tous les jours de cette séquence catastrophique sur les routes, entre Bordeaux, La Teste et Landiras. Notamment au côté du contrôleur général Marc Vermeulen, patron opérationnel du Sdis de Gironde (Service départemental d'incendie et de secours), dont Jean-Luc Gleyze, à la tête du Conseil départemental de la Gironde est le président.

Les services de l'Etat étaient prêts à faire face

"Nous faisions tous les jours le point avec les sous-préfets d'Arcachon et de Langon et deux officiers. La logistique, qui a joué un rôle déterminant, en particulier quand il a fallu évacuer les résidents d'Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), était sous le contrôle du centre opérationnel départemental, tandis que la cellule d'information du public faisait savoir aux particuliers que les odeurs de fumée étaient sans danger, qu'il ne fallait pas téléphoner aux pompiers. Et c'est l'état-major zonal qui a coordonné l'arrivée des colonnes de renforts terrestres et des avions. C'est un système bien rodé", déroule en substance la préfète.

Seule référence comparable par son étendue aux incendies de cet été, le feu d'août 1949 est resté dans les mémoires à cause de ses conséquences tragiques, puisqu'il a été l'incendie le plus meurtrier du XXe siècle en France, avec 82 morts. Un sinistre qui avait détruit à l'époque 52.000 hectares. Sachant qu'entre 1937 et 1950 les feux se sont déchainés dans un massif forestier peu équipé, ravageant 450.000 hectares dont 100.000 pour la seule année 1947 !

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La pluie a apporté, in fine, une aide précieuse aux pompiers (Stéphane Mahé).

La DFCI a-t-elle atteint ses limites ?

En 1945, l'Etat systématise sur ordonnance la création d'associations de DFCI, qui existent depuis la fin du XIXe siècle, dans tout ce massif forestier. DFCI qui va créer un système très robuste de protection contre les incendies, avec le quadrillage du massif par des casernes de pompiers équipées de tours de guet, la création de points d'eau dans la forêt ou encore l'ouverture de 42.000 kilomètres de pistes.

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Preuve de l'efficacité de la DFCI, personne ou presque ne sait que c'est la Gironde qui enregistre chaque année le plus grand nombre de départs de feu, de l'ordre de 1.500 contre 700 pour toute la Provence... Ce qui fait de cet été 2022 un été pas comme les autres. Alors que plus aucun grand incendie ne semblait pouvoir vraiment menacer la forêt des Landes de Gascogne depuis la fin des années 1940, la DFCI a donné cet été l'impression de frôler la rupture. Une sentiment réfuté par la préfète.

"La DFCI de la Gironde a fait un excellent travail ! Elle est là pour la garde du feu. Et cet été elle est allée au-delà de son rôle et s'est retrouvée parfois face à l'incendie. La DFCI reste un bon système. Elle ne s'est pas effondrée. Mais les conditions météo ne sont plus les mêmes, elles ont changé. Lors de l'incendie de 1949 il y a eu 82 morts, et là aucun. En plus des pompiers du Sdis de la Gironde, des dizaines de colonnes de renforts ont convergé vers la Gironde depuis les casernes de toute la France, puis ensuite de pays européens. Alors que les pompiers avaient 4.400 habitations à défendre, moins de 1 % des bâtiments a été détruit par le feu", insiste Fabienne Buccio.

Des priorités respectées à la lettre

Pour la préfète, et malgré l'ampleur des dégâts forestiers, les objectifs ont été atteints.

"Les priorités dans ce genre de catastrophe sont au nombre de trois. Avec par ordre de priorité : la préservation des vies humaines, celle des habitations et enfin de la forêt", rembobine avec fermeté la patronne des services de l'Etat.

En plus de la météo marquée cette année par une chaleur et une sécheresse estivales extrêmes, et des vents tournants, Fabienne Buccio estime aussi que l'urbanisme a  beaucoup bougé depuis les années 40 et que cela représente potentiellement de nouveaux dangers.

"À Landiras, il n'y a pas de sujet, les habitations installées dans la forêt sont anciennes. Pourtant, de façon générale, il se construit de plus en plus de maisons en zone forestière dans les Landes de Gascogne, que ce soit au sud du massif forestier ou à l'ouest de Bordeaux Métropole, où pénètre la forêt. Et ça c'est un vrai sujet", prévient-elle.

Quand l'urgence passe avant le droit de propriété

Les sinistres de cet été ont, par leur intensité, obligé les autorités à prendre des mesures radicales. En particulier avec la création de pare-feux. Hormis La-Teste-de-Buch, la forêt est cultivée et répond à une finalité économique, alimentant en particulier les usines de pâte à papier ou de construction bois. Les pins maritimes qui la composent pour l'essentiel sont plantés puis coupés à maturité, environ quarante, cinquante ou soixante ans plus tard. Avant que les parcelles coupées à blanc ne soient replantées par une nouvelle génération d'arbres. Une fonction économique et des droits de propriétés qui ont été mis entre parenthèse au plus fort des incendies, quand il a fallu abattre dans l'urgence des centaines de milliers d'arbres, probablement même plusieurs millions,  pour couper la route au feu en le privant de combustible.

Incendies Gironde Landiras juillet 2022

La forêt de Landiras a été frappée deux fois par les flammes (SDIS 33).

"Les sylviculteurs dans leur grande majorité ont compris ce que nous avons fait. Nous devions impérativement stopper la progression du feu vers le sud et le cœur du massif forestier du département des Landes. Ce qui nous a obligés à créer d'urgence deux pare-feux pour stopper la progression des flammes. Ces pare-feux ont été construits sous le régime de la réquisition, sans que les propriétaires ne soient contactés", recadre Fabienne Buccio pour La Tribune.

Gascogne et Smurfit ont réceptionné des grumes sans origine

Des mesures d'urgences qui ont fait office, pour les responsables, de dernières cartouches disponibles pour éviter une plus grande catastrophe.

"Il faut se rappeler, poursuit la préfète, que dans la nuit du 18 juillet l'incendie était si intense qu'il créait son propre vent et se déplaçait à toute vitesse vers le sud, droit sur Biscarosse... Nous avons alors vécu un de ces moments difficiles où l'on se dit qu'on ne va pas y arriver... C'est alors que nous avons décidé de créer deux pare-feux, dont le plus grand fait cinq kilomètres de long sur trois cents mètres de large ! (1) Nous avons réquisitionné des entreprises forestières pour couper le bois et évacuer les grumes jusqu'aux usines de Gascogne et Smurfit", retrace avec un rien de tension dans la voix Fabienne Buccio.

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Si le feu n'a pu continuer sa route vers le sud, les problèmes ont commencé.

"Gascogne et Smurfit avaient l'argent pour payer les propriétaires. Mais là, personne ne savait d'où venait le bois. J'ai donc ouvert un compte sous séquestre au nom de l'Etat où les deux industriels ont pu verser les fonds correspondant au prix du bois réceptionné. Ensuite, grâce à la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) nous avons pu identifier les parcelles d'origine et payer leurs propriétaires. La DDTM est capable de retrouver les parcelles et leurs propriétaires, mais connait aussi l'âge des arbres, ce qui est déterminant pour la fixation du prix", éclaire la préfète.

Fabienne Buccio incendies 2022

La préfète va réunir toutes les parties prenantes (crédits : Agence Appa)

A quel prix payer les arbres abattus ?

Point sensible entre tous, la question de la fixation du prix d'indemnisation a commencé à crisper les esprits.

"Cette question du prix a posé un nouveau problème puisque certains sylviculteurs ont exigé que l'Etat leur paie le bois au meilleur prix. Celui qu'aurait valu leurs arbres en pleine maturité, par exemple à cinquante ans alors qu'il ont été coupés à quinze ans... Une situation qui risque de générer des contentieux. Nous allons commencer à payer dès que la DDTM nous donnera le feu vert. Et puis nous sommes en contact avec le Syndicat des sylviculteurs du sud-ouest (SSSO), qui comprend notre démarche", veut rassurer Fabienne Buccio.

Pour aider les entreprises qui ont subi de forts impacts sur leur activité à cause des incendies, ces dernières ont pu bénéficier du chômage partiel, via l'activité partielle de longue durée (APLD). Tandis que plus de 7,5 millions d'euros ont été provisionnés pour indemniser les entreprises réquisitionnées. Ce qui n'empêche pas la température de monter chez les propriétaires forestiers.

 Des pompiers hués à La-Teste-de-Buch

"Certains sylviculteurs nous accusent d'avoir trop protégé les maisons et pas assez la forêt... Ils prétendent que les pompiers n'ont pas assez attaqué la tête des feux... Mais depuis la fin des incendies nous avons pu vérifier que ce travail avait bien été fait par les pompiers. C'est rassurant parce que nous devons toujours vérifier que nous sommes juridiquement dans les clous. Le ton avec ces sylviculteurs mécontents est parfois monté très haut", admet Fabienne Buccio.

La forêt usagère de La-Teste-de-Buch est à elle seule un cas particulier sur lequel nous reviendrons. Depuis cet entretien les tensions entre sylviculteurs et commandement des soldats du feu ont continué à monter au point que certains mécontents ont trouvé le moyen d'huer les pompiers à La-Teste-de-Buch mi-octobre.... Quoi qu'il en soit, la préfète de la Gironde et de Nouvelle-Aquitaine va réunir tous les acteurs impliqués dans ces incendies ce vendredi 21 octobre pour un retour d'expérience collectif, baptisé Retex, avec notamment Jean-Luc Gleyze, la DFCI, l'Office national des forêts ou encore les sylviculteurs.

(1) La densité minimale pour les plantations de pins maritimes en Aquitaine est de l'ordre de 1.200 arbres à l'hectare. Un minimum couramment dépassé avec des densités de 1.400 à 1.500 pins à l'hectare. Autrement-dit le pare-feu de 5 kilomètres de long sur 300  mètres de large (soit 150 hectares ou 1,5 million de mètres carrés)  a nécessité l'abattage de près de six millions de pins maritimes.

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Commentaires 2
à écrit le 18/10/2022 à 21:20
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Bonjour En Sarthe dont une partie est sa bleuse on a beaucoup de forêts de pins et beaucoup d'incendies. Je suppose que leurs forêts sont comme les nôtres, les fougères non enlevées, les souches non arrachées tout pour favoriser le travail d'un p...

à écrit le 18/10/2022 à 16:40
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c est sur qu il faudrait laisser bruler quelques maisons histoire que les gens apprennent a ne pas construire n importe ou et a debrousailler autour de chez eux

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