« Nous voulons que la Rue bordelaise soit la plus évolutive possible ! » (François Agache, Apsys)

INTERVIEW. Moins de parkings, plus de logements et d'ESS et une offre commerciale négociée : le projet de la "Rue bordelaise" à Bordeaux a subi un important lifting début 2021 après les négociations avec la mairie écologiste et l'EPA Bordeaux Euratlantique. François Agache, directeur général adjoint d'Apsys, le promoteur immobilier qui porte ce projet urbain, s'en explique dans La Tribune, insistant sur le caractère non figé de ce projet à 500 millions d'euros qui va bouleverser le quartier de la gare Saint-Jean.
François Agache, directeur général adjoint d'Apsys en charge des opérations, défend le projet de Rue bordelaise entre la gare Saint-Jean et la Garonne.
François Agache, directeur général adjoint d'Apsys en charge des opérations, défend le projet de Rue bordelaise entre la gare Saint-Jean et la Garonne. (Crédits : ArtefactoryLab pour Apsys)

LA TRIBUNE - Le projet de la rue bordelaise, aussi appelé rue Saget, prévoit de percer une avenue piétonne de 600 m de long et 20 m de large entre la gare Saint-Jean et les quais de la Garonne et la création de 67.000 m2 de surfaces bâties. Est-ce un centre-commercial à ciel ouvert ou un nouveau quartier ?

FRANÇOIS AGACHE, directeur général adjoint d'Apsys - Je préfère nettement la deuxième appellation ! Parce que, bien que nous ayons chez Apsys un ADN de développeur de centre-commercial, la rue bordelaise n'est surtout pas un centre commercial à ciel ouvert. Il s'agit de vraiment de transformer un quartier existant plutôt délaissé à côté de la gare Saint-Jean en proposant une nouvelle architecture, de nouveaux espaces publics et une importante mixité d'usages. C'est un vrai quartier de ville qui n'aura rien de commun avec un centre-commercial lambda mono-programmation comme on a l'habitude d'en voir en périphérie. On pilote d'ailleurs ce projet comme un opérateur urbain.

LA TRIBUNE - Face aux premiers discours très hostiles du nouveau maire EELV de Bordeaux après les élections municipales de l'été 2020 puis aux demandes de modifications du projet, avez-vous envisagé de renoncer ?

Non, la question ne s'est pas posée dans ces termes parce que ce projet ne peut être mené que de manière partenariale et parce que ce n'est pas dans notre nature de renoncer à un projet aussi ambitieux que celui-là. Il s'agit de redessiner un quartier de Bordeaux, de créer un morceau de ville, il est donc indispensable de le co-construire avec les acteurs qui font la ville qui sont ici l'EPA Euratlantique et la ville de Bordeaux. Et cette approche partenariale fait partie de notre ADN chez Apsys.

François Agache Apsys

François Agache,

Les discussions ont-elles été compliquées avec la nouvelle équipe municipale ?

C'est un projet stratégique et les discussions qu'on a eu avec la municipalité et l'EPA ont aussi été l'occasion de réfléchir à nouveau sur la manière de mener ce type de projets de reconstruction de la ville sur la ville. Depuis l'élection municipale du mois de juin, on a donc mis toute notre énergie à convaincre de la pertinence de la Rue bordelaise et à démontrer qu'un projet porté par l'ancienne majorité municipale pouvait quand même être un bon projet ! On a beaucoup travaillé et discuté pour aboutir à des compromis, des solutions acceptables par tout le monde. Au final, je crois qu'on a su convaincre de l'intérêt de ce projet qui souffrait aussi d'être encore largement méconnu dans son niveau de détails, sa qualité architecturale, la part de végétalisation, sa mixité fonctionnelle, etc. On est donc reparti du début en réexpliquant tout en détails aux responsables politiques.

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Avec 500 millions d'investissements, dont 450 apportés par Apsys, comment se situe ce projet dans votre portefeuille ?

En termes de taille, de complexité et d'ambitions, il s'agit d'un projet majeur de reconstruction urbaine à l'échelle nationale ! C'est donc un projet stratégique à la fois pour la ville de Bordeaux et l'EPA mais aussi bien entendu pour Apsys. Dans cette perspective, le budget de 450 millions d'euros représente un investissement très significatif pour nous et pour l'EPA mais cela correspond aussi, à terme, à beaucoup de retombées économiques pour le quartier et pour toute la ville de Bordeaux.

Au-delà des aspects financiers, la Rue Bordelaise est vraiment pour nous un projet ancré dans le monde de l'après Covid-19 avec beaucoup de mixité fonctionnelle et de nouveaux usages tout en construisant un nouveau quartier de ville en centre-ville. On s'y attèle donc avec beaucoup de responsabilité et avec l'ambition d'en faire un projet exemplaire en termes d'architecture, de programmation et d'intégration urbaine et paysagère mais aussi d'offre commerciale et d'usages évolutifs. On a par exemple accepté la demande des élus d'augmenter de 50 % l'offre de logements prévue dans le projet pour la porter à 6.200 m2 dont 35 % de logements locatifs sociaux, au détriment de l'offre hôtelière [sur un total de 67.000 m2 de nouveau bâti]

Ces derniers assurent qu'Apsys a accepté de financer l'ensemble des surcoûts. Est-ce bien le cas ?

Oui, je vous confirme que nos estimations donnent bien une échelle de 10 à 20 millions d'euros pour l'impact financier supplémentaire de ces évolutions et que nous avons fait le choix de le financer intégralement à notre charge.

Il est désormais question de créer un comité des enseignes chargé de veiller à la nature de l'offre qui sera proposée dans les 25.000 m2 de nouvelles surfaces commerciales. Pourquoi avoir accepté ce nouvel outil sans base légale ?

Parce que ce comité des enseignes traduit concrètement notre approche de concertation en la poussant au maximum avec les collectivités locales. On a déjà mis en œuvre ce type de comité des enseignes, notamment au sein du centre commercial Steel, à Saint-Etienne. Mais à Bordeaux, il y a deux particularités : la première c'est d'associer davantage d'acteurs avec la ville, la Métropole, la CCI, la Chambre de métiers et l'EPA ; la deuxième c'est la possibilité de s'adosser à un comité des experts capable de produire des études d'impact régulières pour mesurer si l'offre commerciale proposée est bien cohérente avec l'offre existante et avec les besoins locaux.

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L'intérêt c'est de se projeter dans le temps puisqu'il est très difficile de dire ce que sera le commerce de centre-ville dans cinq ou dix ans. Avec la crise sanitaire, on observe la concurrence croissante entre le e-commerce et les boutiques physiques et l'évolution accélérée des usages. Tout bouge très vite donc il faut faire en sorte de créer dès le départ, c'est-à-dire dès la conception architecturale du projet, toutes les conditions pour pouvoir s'adapter le plus facilement possible à ces évolutions des usages que ce soit sur le commerce ou d'autres usages de la ville. Nous voulons que la Rue bordelaise soit la plus évolutive possible !

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Concrètement, comment cette volonté se traduit-elle ?

On mène des réflexions en profondeur sur les surfaces, les hauteurs et les volumes des bâtiments et des infrastructures pour nous laisser la possibilité de nous adapter à l'avenir. L'objectif est d'anticiper et d'éviter de se lier les mains en ayant l'architecture la moins figée possible et en gardant une certaine humilité par rapport à des évolutions et des usages que nous n'imaginons pas encore aujourd'hui.

Très concrètement, on a, par exemple, accepté de supprimer 500 places de parking en deux fois pour, dans quelques années, laisser la place à autre chose. On pense plus précisément à la possibilité d'installer des activités logistiques à la place du parking et cela signifie donc qu'il faut prévoir dès la conception de construire un parking avec des hauteurs de plafond plus importantes et des capacités de surcharge pour pouvoir potentiellement y accueillir des véhicules de plus gros gabarits et des poids lourds dans quelques années. Ce sont des questions techniques mais qui sont indispensables si on veut pouvoir garder de la marge de manœuvre par la suite sans figer le bâti, ni les usages.

L'ancien directeur général de l'EPA Euratlantique se disait convaincu que des acteurs comme Ikea auront leur place au sein de la rue bordelaise. Qu'en pensez-vous ?

Nos surfaces seront tout à fait adaptées pour permettre à ce type d'acteurs, qui ont été progressivement relégués en périphérie pour diverses raisons, de pouvoir revenir en centre-ville s'ils le souhaitent. Pour l'heure, il est trop tôt pour savoir si ce type d'implantations sera envisagé.

Les élus municipaux ont tenu à réserver 2.000 m2 aux acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) au sein des surfaces commerciales. Comment appréhendez-vous ce sujet ?

Soyons honnête, l'économie sociale et solidaire est un sujet que nous connaissions mal et nous l'avons donc abordé avec une grande humilité en commençant tout simplement par comprendre de quoi il s'agit. On a senti que l'ESS commence à s'affirmer comme une tendance de l'économie et on a effectivement eu une forte demande de la mairie. L'ESS rassemble des acteurs et des activités très variés et très larges avec, comme fil rouge, la volonté de construire des modèles économiques plus responsables et pas tournés exclusivement vers le profit. Notre volonté c'est donc de proposer à ce type d'activités relevant de l'ESS des loyers plus modestes. Cela fait partie des concessions que nous avons accepté et qui auront un impact en termes d'équilibre économique. En ce qui concerne le type d'acteurs qui seront accueillis, nous n'avons pas d'idée arrêtée à ce stade. Mais nous voulons aller chercher les projets les plus pertinents possibles en organisant des appels à manifestation d'intérêt ou des appels à projets pour sourcer et sélectionner les acteurs locaux de l'ESS les plus intéressants et complémentaires.

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Cette approche partenariale reflète-t-elle une nouvelle manière de fabriquer la ville ?

Nous avons toujours défendu une approche partenariale chez Apsys et c'est particulièrement vrai pour le projet de la rue Bordelaise. Mais, soyons clair, on ne peut de toute façon pas l'envisager autrement. A Bordeaux ou ailleurs, l'intérêt d'un opérateur comme Apsys c'est que ses projets soient appréciés par les riverains et les habitants et qu'ils soient utilisés et appropriés dans la durée, que ce soient les logements, les commerces ou les bureaux. Sinon on aura des problématiques de vacances et ça ce n'est jamais bon pour un opérateur foncier ! La concertation avec les acteurs locaux et les collectivités, c'est le meilleur moyen d'éviter cet écueil.

Quelles sont les prochaines étapes du projet ?

Nous sommes dans une période assez longue de préparation foncière et administrative menée par l'EPA avec la déclaration d'utilité publique et les expropriations pour libérer les terrains. Ensuite les travaux pourront commencer mais on est sur un horizon de livraison du projet plutôt entre 2025 et 2027 après trois à quatre ans de travaux, selon l'avancée des instructions administratives. Une enquête publique devrait se dérouler au second semestre 2021.

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