LA TRIBUNE - Vous prenez en charge un vaste portefeuille associant économie, emploi, enseignement supérieur et recherche. En cette rentrée très particulière, quelle lecture faites-vous de la santé économique du territoire métropolitain ?
STÉPHANE DELPEYRAT - En matière économique, nous voulons monter en gamme, innover et décarboner nos activités. Tout cela nécessite beaucoup de recherche dans un pays qui est malheureusement très désindustrialisé, même par rapport à nos voisins. Cela pose des questions autant économiques que politiques. On a donc besoin de booster la recherche-développement et l'innovation tout en s'ouvrant à de nouveaux domaines puisqu'on a été jusque-là très dépendant du secteur aéronautique-spatial-défense (ASD). La diversification économique du territoire est un impératif en allant vers la santé, l'alimentation et le numérique. L'hydrogène doit être une piste d'avenir à soutenir sur le territoire, y compris pour l'aéronautique, même s'il reste encore beaucoup d'obstacle à dépasser. Les matériaux biosourcés sont à développer également. Le tissu de startups est très dynamique, l'économie résidentielle aussi, la filière viticole et l'ESS doivent être soutenues puisque l'innovation doit être aussi sociale.
Il faudra aussi soutenir les sous-traitants de l'aéronautique et de l'ASD et les accompagner vers d'autres secteurs économiques pour aller chercher du chiffre d'affaires ailleurs puisque l'aéronautique va connaître au moins trois ans compliqués. Nous avons sur le territoire des compétences de très haut niveau et l'enjeu principal est de les conserver malgré les difficultés économiques. Le secteur aéronautique est donc clairement fragilisé mais l'industrie de défense permet d'équilibrer la balance.
Quelles sont vos premières pistes de travail ?
Il faut travailler de manière plus coordonnée avec l'Etat et la Région pour éviter la dispersion des moyens très inefficace que l'on a pu constaté ces dernières années. Il faut arrêter la compétition entre les acteurs publics et travailler étroitement avec le conseil régional qui a la première compétence de développement économique. Sur le fonds d'urgence, sur le repositionnement de certaines entreprises, il faut avancer ensemble. Je propose de signer une nouvelle convention sur ces sujets avec la région et de créer une cellule commune associant des agents de nos deux collectivités. La formation professionnelle sera aussi un élément déterminant et il faudra y travailler avec la Région.
Concrètement, quels leviers entendez-vous privilégier pour soutenir les entreprises du territoire ?
Quand on regarde ce qui se fait au niveau des Länders, en Allemagne, ou même aux Etats-Unis, on s'aperçoit qu'il y a un très fort interventionnisme public auprès des entreprises, y compris par du chômage partiel et des fonds publics mobilisés hors période de crise. Il faut donc se poser clairement la question de l'efficacité de notre action et de celle de l'Etat : est-ce qu'on est plus efficace en intervenant sur la trésorerie ou plutôt en mettant l'accent sur la R&D voire en entrant au capital de certaines entreprises au cas par cas ? Il faut regarder cela de manière très pragmatique, sans être timoré, et assumer un interventionnisme public sans fausse pudeur.
A court terme, quelle sera l'action de la Métropole auprès des entreprises frappées par la crise économique et sanitaire ?
Je crois qu'il faut faire attention aux effets d'annonce ! En matière de développement économique et d'aides aux entreprises, la Métropole n'intervient qu'en troisième rideau après l'Etat et la Région. Il faut mobiliser nos moyens, bien entendu, mais ils ne sont absolument pas comparables avec ceux de l'Etat ou même du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Donc soyons réalistes : notre rôle, c'est de nous intégrer le plus intelligemment possible dans les dispositifs mis en place par ces deux autres acteurs publics, ce n'est pas de vouloir tout réinventer ni de faire à leur place ! Chaque collectivité a tendance à vouloir communiquer sur l'économie en mettant son petit drapeau mais en matière économique c'est bien la région qui a la main.
Stéphane Delpeyrat (crédits : Bordeaux Métropole)
Quelle est votre approche en matière d'attractivité territoriale ?
Personne ne peut être contre l'attractivité de notre territoire et la création d'emplois mais il faut rester attentif à ce qu'on met réellement derrière tout ça. On vit un moment où il faut basculer vers un modèle différent et interroger le bilan de nos activités économiques. Si l'attractivité consiste à faire venir Amazon pour créer un entrepôt logistique, ça ne m'intéresse pas, c'est même la dernière chose à faire ! Mais les entreprises en ont conscience et sont en train de faire évoluer leurs modèles vers des fonctionnements plus écologiques et moins consommateurs. C'est là-dessus qu'il faut miser pour développer l'attractivité de la métropole bordelaise. Les entreprises qui ne prennent pas ce virage aujourd'hui n'auront plus de clients dans dix ou vingt ans. Les clients et consommateurs veulent de plus en plus savoir comment sont fabriqués les produits et services qu'ils achètent et cette tendance va se généraliser dans les années qui viennent. C'est aussi pour cela que la recherche doit tenir une place centrale dans la transition écologique.
Le nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, a promis un mécanisme d'exonération fiscale, via la Métropole et la Région, pour accompagner les entreprises dans leur transition écologique. Qu'en pensez-vous ?
Tout ce qui va dans ce sens est positif mais, encore une fois, il y a une question d'échelle. La Métropole n'est pas l'Etat et, par conséquent, les mesures d'incitations fiscales que peuvent prendre les collectivités locales n'ont pas un impact réellement déterminant sur le chiffre d'affaire ou l'activité des entreprises. Cela dit, il y a des gestes symboliques qui peuvent compter. Mais attention aux logiques de défiscalisation qui reviennent à amputer la collectivité de marges de manœuvres financières dont elle a besoin, tout particulièrement en matière de mobilité. Posons-nous la question collectivement : les entreprises préfèrent-elles des infrastructures de transport performantes ou une baisse epsilonesque de leur fiscalité locale ?
En matière d'emploi et de demandeurs d'emploi, quelle est votre philosophie ?
On se battra au maximum pour défendre et sauver les emplois et entreprises du territoire mais nous n'avons pas toutes les clefs en la matière. C'est d'abord à l'Etat [qui a présenté son plan de relance de 100 milliards d'euros ce 3 septembre] de prendre les bonnes décisions. Il ne faudra surtout pas oublier les 700.000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail. On ne peut pas à la fois sacrifier des secteurs et pans de compétences entiers et une génération. L'Etat doit jouer à plein son rôle de solidarité. S'il laisse les choses dériver, cela aura des conséquences très néfastes pour l'économie. Dans ces conditions, oui c'est très bien de vouloir industrialiser et d'encourager la "startup nation" mais il faut commencer par éviter que des secteurs industriels ne disparaissent. Il faut à Bordeaux soutenir le secteur stratégique d'excellence qu'est la filière ASD.
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Maire, DGS, directeur de cabinet : un fin connaisseur du bloc communal
Diplômé de Sciences Po Bordeaux, ce Landais de 52 ans a été élu maire de Saint-Médard-en-Jalles et de ses 32.000 habitants en juin dernier. Nouvellement élu à Bordeaux, Stéphane Delpeyrat est un fin connaisseur et un habitué du fonctionnement des communes et des intercommunalités. Saint-Médard n'est pas la première municipalité dont il prend les rênes puisqu'il a été maire de la petite commune de Saint-Aubin (500 hab.) dans les Landes de 2001 à 2019. Parallèlement, ce militant socialiste puis Générations à été directeur général des services de la communauté de communes du Pays Tarusate, toujours dans les Landes, de 1999 à 2014 avant de travailler avec Andréa Kiss, la maire du Haillan, au poste de directeur de cabinet pendant toute la mandature précédente de l'été 2014 à l'été 2020. Très occupé, Stéphane Delpeyrat est aussi élu depuis 2004 au conseil régional d'Aquitaine puis de Nouvelle-Aquitaine. Ce proche d'Alain Rousset y a notamment assumé quelques années la vice-présidence en charge des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
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