À Châtellerault, l'énigme de l'autoconsommation collective pour les industries

Sur le bassin industriel emblématique au nord de la Nouvelle-Aquitaine, l'agglomération de Châtellerault veut pousser les entreprises à engager des projets d'autoconsommation collective pour se prémunir des aléas énergétiques. Entre les contraintes de foncier, de coordination entre PME et grands groupes ou de distribution de l'énergie produite, la bonne volonté ne suffira pas.
Maxime Giraudeau
A Châtellerault, l'industriel Essity a déployé une centrale photovoltaïque au sol en 2022 face à la flambée des coûts énergétiques.
A Châtellerault, l'industriel Essity a déployé une centrale photovoltaïque au sol en 2022 face à la flambée des coûts énergétiques. (Crédits : Essity)

L'industrie pour Châtellerault, c'est une vitrine et un tissu précieux. Alors quand le secteur, qui représente 40 % des emplois du territoire, se trouve en difficulté, les élus se pressent généralement à son secours. Dernier coup de bambou en date : la flambée des prix de l'énergie à l'hiver 2022. Des factures multipliées par trois, quatre, parfois plus entend-on. Pour une agglomération qui compte une flopée de sous-traitants dans l'automobile et l'aéronautique, dans l'ombre des grands groupes, et meurtrie par les fermetures successives d'usines, il y a de quoi trembler.

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Heureusement, la collectivité avait déjà de l'expérience en matière de résilience énergétique. En 2020, elle a financé une première centrale photovoltaïque, déployée par le fabricant châtelleraudais VMH Énergies, pour alimenter ses bâtiments publics. De quoi couvrir un tiers de sa consommation. « Voir qu'il était possible d'avoir cette énergie produite en circuit-court, en même temps que nous avons observé les impacts de la crise énergétique, nous a fait dire qu'il faudrait créer quelque chose pour les industries », retrace Évelyne Azihari, vice-présidente en charge de l'énergie et du climat au Grand Châtellerault. Une bonne volonté qui a largement intéressé. Pour le moment, on en reste là.

Désigner un représentant

« C'est encore naissant, travailler ensemble n'était pas dans la culture des industriels », rappelle l'élue. L'agglomération aimerait donc pousser les industriels qui possèdent du foncier à le mobiliser pour accueillir des modules photovoltaïques. Et ça, dans le but d'une utilisation et d'un financement mutualisés entre plusieurs entreprises. Les terrains seraient ainsi mobilisés pour regagner en souveraineté énergétique et améliorer l'attractivité du territoire. Une chance pour ceux qui manquent de place au sol ou sur leurs toitures. Des études de consommation et d'opportunité ont été menées par le fournisseur Sorégies auprès de 25 industriels. Elles doivent préciser quelle est la pertinence pour chacun d'un approvisionnement énergétique en circuit-court. L'agglomération a quant à elle identifié un potentiel foncier de plus de 70.000 m2. Mais de là à jouer collectif, l'intérêt n'est pas toujours marqué.

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« Il faut que ce soit sur un bassin où les entreprises ont une pérennité, avec une exigence de retours sur investissements dans la continuité », évoque Jean Donnelly, directeur du développement de VMH Energies. D'autant plus technique que la collaboration nécessite de se regrouper sous une entité : une association, une SAS, un groupement... Et ce afin de désigner une Personne morale organisatrice (PMO). « La PMO va avoir pour but de communiquer avec le gestionnaire de réseau. Si l'installateur injecte 100 KW dans le réseau, le gestionnaire va les répartir entre les acteurs conformément à des règles définies par la PMO », explique-t-il.

L'achat groupé d'électricité du club des ETI

« On ne peut pas payer l'électricité 400 euros le MWh, c'est dix fois plus que ce que l'on payait il y a un an ! Vendez-nous de l'électricité à prix correct », imploraient plusieurs industriels du club des ETI Nouvelle-Aquitaine en 2022. Ainsi Pierre Girard, vice-président du club et dirigeant de Valorem, raconte comment est née l'idée d'un achat groupé d'électricité pour faire face à la flambée des coûts. « Je leur réponds qu'il faut un certain volume. On a mené une réflexion et avec l'aide de la Région Nouvelle-Aquitaine, on a regroupé une dizaine d'entreprises pour mutualiser les achats d'électricité verte via des contrats d'achats collectifs. » Les partenaires doivent encore déterminer les règles complexes du contrat avec l'aide d'un cabinet d'avocats.

« Marier des carpes et des lapins »

Trop long à mettre en place pour certains face à la stupeur énergétique survenue l'an dernier. C'est le cas pour Essity, le fabricant de chaussettes de compression appartenant à un groupe suédois et qui emploie 250 salariés à Châtellerault. La direction du site a posé en septembre 2022 plus de 500 panneaux photovoltaïques sur son foncier grâce aux modules de VMH Energies pour couvrir 10 % de sa consommation annuelle.« Comme on voulait aller vite, on est partis sur cette solution au sol en autoconsommation individuelle », avance Sébastien Lepontois, directeur du site. « Sur ce genre de système, la rentabilité était atteinte en 15 à 18 ans. Quand la crise énergétique est arrivée, elle est retombée à quatre ans. »

Essity dit rester attentif aux projets collectifs qui peuvent émerger alors que la loi industrie verte va favoriser la fonction énergétique des sites industriels. Mais le soutien politique est jugé insuffisant. « Avec l'obligation qui arrive pour décarboner, ça va bouger un peu, mais ce ne sont que les premiers frémissements. Il faudrait que l'autoconsommation soit subventionnée pour passer la seconde. Il y a une volonté officielle de pousser l'industriel à la neutralité carbone en 2050 mais les aides et le soutien public ne sont pas forcément alignés » , pointe Sébastien Lepontois.

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En attendant, le territoire tente de s'organiser pour faire valoir les gains potentiels pour son tissu industriel. Travail en cours. « La vraie difficulté c'est de marier des carpes et des lapins. Vous avez des grands groupes industriels multi-sites avec des modes de financement standards qui négocient leur prix d'électricité avec des brokers sur des marchés énergétiques. Et il faut arriver à les marier avec l'artisan local qui gère sa société de façon autonome, c'est très difficile », illustre Jean Donnelly.

Maxime Giraudeau

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