La réindustrialisation entravée par la crise énergétique européenne

« Nos capacités d'investissement se réduisent de jour en jour », alerte le lobby France Industrie. Si la flambée des coûts de l'énergie est retombée, les industriels français s'inquiètent de son impact dans la durée sur leur compétitivité à l'export. Et Alexandre Saubot, son président, de mettre en garde contre une décarbonation trop rapide de l'économie européenne face à la concurrence chinoise et américaine. En réponse, des initiatives se préparent sur le terrain tandis que la taxe carbone aux frontières de l'Europe est entrée en vigueur ce 1er octobre.
Alexandre Saubot, le président de France Industrie, était de passage à Bordeaux le 28 septembre 2023.
Alexandre Saubot, le président de France Industrie, était de passage à Bordeaux le 28 septembre 2023. (Crédits : DR)

La crise de l'énergie est-elle vraiment derrière nous ? Si le prix de l'électricité est bel et bien redescendu depuis les pics invraisemblables atteints en 2022, cette baisse relative n'aura pas d'effets sur les tarifs avant 2024 et le prix sur le marché de gros européen reste encore très haut : de l'ordre de 100 à 150 €/MWh, contre 1.000 €/MWh au pic de l'été 2022 mais seulement 50 €/MWh début 2021. Des niveaux bien trop élevés au goût des différents industriels réunis au sein de France Industrie. « Dans l'agroalimentaire, on a des capacités d'investissement qui se réduisent de jour en jour, c'est mathématique », témoigne ainsi Stéphane Douence, co-délégué de France Industrie en Nouvelle-Aquitaine aux côtés de Nicolas Foucard.

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De passage en Gironde pour saluer les représentants régionaux de cette fédération chargée de défendre les intérêts de l'industrie, Alexandre Saublot, le président national, en a profité pour alerter sur les craintes latentes des industriels tricolores qui alertent sur le risque de voir des filières disparaître : « Il faut regarder les conséquences de long terme dans les secteurs qui n'ont pas la capacité d'influer sur les prix ou qui ont une très grosse intensité concurrentielle venant de zones où l'énergie n'a pas augmenté. Ces secteurs vont se retrouver mécaniquement fragilisés. Dans deux ou trois ans on verra les activités qui se sont arrêtées ou réduites », juge ainsi Alexandre Saublot.

La concurrence à l'export

Car la grosse peur des industriels, au sein de France Industrie ou du Club des entreprises de taille intermédiaire, c'est bien la concurrence frontale de l'international malgré les points forts de l'Europe en matière de formation, de R&D et de main d'œuvre qualifiée. « L'industrie est l'un des seuls secteurs au rendez-vous de la décarbonation mais dans un monde ouvert, cela porte un risque de désindustrialisation », pointe Alexandre Saublot. La Chine, les États-Unis ou encore l'Inde ne sont pas touchées par l'inflation énergétique et compte bien appuyer sur cette avantage au détriment du vieux continent. « On risque de passer du faire mieux au faire ailleurs et donc au plus carboné. Il faut être plus pragmatique pour protéger à la fois le pays et la planète », juge le patron de France Industrie. Après les montants records enregistrés par la France ces dernières années, il s'inquiète d'un possible tarissement des investissements étrangers dans cinq ou dix ans face au regain de la concurrence nord-américaine.

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« Dans cette guerre commerciale entre l'Europe, les États-Unis et la Chine, on voit bien que l'Europe est en avance de phase sur ses concurrents sur le sujet du verdissement de l'économie. C'est bien mais la réalité c'est que nos entreprises sont confrontées à des boîtes qui n'ont pas la même logique ni le même calendrier », pointe également Marc Prikazsky, le président du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine. Cette association a décidé de se saisir du sujet en accompagnant la création d'un consortium associant une quinzaine d'ETI de la région. Objectif : s'approvisionner en électricité renouvelable locale par la signature d'un PPA (Power Purchase Agreements), un contrat passé entre un producteur d'électricité et ces industriels qui s'engagent à lui acheter son énergie sur une période définie. Un mécanisme juridique complexe qui devrait être fin prêt pour début 2024.

Réduire les émissions de 35 % d'ici 2030

Au-delà de ce type d'initiative, des démarches de sobriété énergétique et de ciblage prioritaire des plus gros pollueurs, les représentants des industriels plaident pour davantage de pragmatisme et de hiérarchisation des priorités en matière de décarbonation. France Industrie appelle ainsi à « réduire la charge normative qui pèse sur les entreprises » et plaide pour « un contrôle de compétitivité dans le processus décisionnel européen ». S'engouffrant ainsi dans la porte ouverte par Emmanuel Macron au printemps dernier sur « la nécessité d'une pause règlementaire ».

Pour mémoire, l'industrie dans son ensemble pèse 18 % des émissions françaises de CO2 en 2022 tandis que la production d'énergie en représente 11 % de plus. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixe une diminution des émissions de l'industrie de 35 % à l'horizon 2030 et de 81 % d'ici 2050 par rapport à 2015 sachant que l'industrie manufacturière est le secteur ayant le plus réduit ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2019 (- 46 %). Pour résoudre cette équation, le gouvernement a présenté avant l'été un projet de loi sur l'industrie verte. Cinq technologies vertes seront ainsi privilégiées pour la création de nouvelles filières (hydrogène vert, batteries, éolien, pompes à chaleur, photovoltaïque) tandis qu'un « crédit d'impôt industrie verte » doit permettre d'attirer l'investissement industriel dans ces secteurs en répondant à la stratégie volontariste des États-Unis. Parallèlement, le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), instauré pour protéger les efforts de verdissement des économies européennes, est entré ce dimanche 1er octobre dans sa phase d'essai déclarative sans taxation, avant une réelle entrée en vigueur en 2026.

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