« Nous formerons 4.000 salariés pour surmonter les grands défis des ETI » (Marc Prikazsky)

INTERVIEW. Transformation numérique, urgence climatique, management et concurrence à l'export : les entreprises de taille intermédiaire, « ces champions cachés », font face à des défis structurants qui les dépassent souvent individuellement. Pour tenter de les surmonter, le Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine, lance un vaste programme de formation inter-entreprises. « Nous allons former 4.000 salariés en trois ans ! », annonce à La Tribune Marc Prikazsky, le président du Club et patron de Ceva Santé Animale. Le Club des ETI, qui fête ses dix ans, pèse désormais 74.000 emplois dans la région.
« Dans cette guerre commerciale entre l'Europe, les Etats-Unis et la Chine, on voit bien que l'Europe est en avance de phase sur ses concurrents sur le sujet du verdissement de l'économie. », prévient Marc Prikazsky, le président du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine et patron de Ceva Santé Animale.
« Dans cette guerre commerciale entre l'Europe, les Etats-Unis et la Chine, on voit bien que l'Europe est en avance de phase sur ses concurrents sur le sujet du verdissement de l'économie. », prévient Marc Prikazsky, le président du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine et patron de Ceva Santé Animale. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Quel bilan faites-vous des dix ans du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine, le premier à avoir été créé en France ?

MARC PRIKAZSKY - Nous avons été pionnier puis copié puisqu'il y a aujourd'hui huit autres clubs en France. Nous comptons 125 entreprises adhérentes qui totalisent 102.000 salariés et 22 milliards de chiffre d'affaires ! Nous sommes le premier employeur privé de Nouvelle-Aquitaine. Le développement s'est fait au fil de l'eau avec une accélération il y a trois ou quatre ans. Le pari initial avec Alain Rousset, le président du conseil régional, était de créer des liens extrêmement forts entre des entreprises en s'affranchissant des traditionnelles logiques de filières pour échanger sur des problématiques transversales. On a travaillé en confiance entre dirigeants puis progressivement entre les équipes de nos entreprises sur des défis liés à différents métiers : financements, ressources humaines, management, achats, systèmes informatiques ou encore, plus récemment, l'énergie.

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Vous lancez à l'occasion de ces dix ans l'Université des ETI, un programme de formation professionnelle continue. Pourquoi ?

Les ETI ce sont ces champions cachés de l'économie française, elles sont souvent très fortes sur le marché avec des belles performances à l'export et des vraies capacités de R&D. Elles développent chacune de leur côté des formations de qualité pour leurs salariés dont beaucoup pourraient être mutualisées permettant de gagner du temps et de l'argent. C'est très important parce qu'aujourd'hui la capacité des ETI à garder et à recruter leurs salariés est un élément absolument déterminant. Sur les profils liés au numérique, au commerce ou à l'ingénierie on a des taux de turn-over très importants, il y a une vraie bagarre et il est donc indispensable de proposer à nos salariés des formations et des parcours d'évolution professionnelle.

Et dans ce contexte, les ETI se trouvent face à des défis majeurs : la transformation numérique n'est aboutie que dans 20 % des entreprises, ce qui signifie que les 80 % restantes sont en chantier ou n'ont même pas encore commencé ! Il y a aussi la transition énergétique et écologique avec la directive européenne CSRD [sur le reporting des entreprises en matière d'impact social et environnemental] qui va représenter un mur énorme pour les entreprises et qu'il faut donc anticiper.

Quelle est la réponse imaginée par le Club des ETI ?

On a créé en consortium avec plusieurs partenaires - l'UIMM, Onepoint, Simplon et l'Ecole 42 à Angoulême - où le Club des ETI jouera le rôle de chef de file avec un poste à temps plein. L'objectif est de créer des modules et des parcours de formations mutualisées avec, notamment, des immersions dans les autres entreprises du club. Nous allons former 4.000 salariés en trois ans. Le budget est de deux millions d'euros dont 1,1 million d'euros apportés par l'État, via France 2030, et la Région Nouvelle-Aquitaine et le reste par le Club et ses partenaires. Les entreprises paieront ensuite les formations suivies par leurs salariés autour de quatre parcours : transformation numérique, transformation environnementale, management agile et usine 4.0. Un parcours pilote est déjà lancé.

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Quel poids économique régional ?

Le Club des ETI et la Datar de Nouvelle-Aquitaine ont mené une étude pour évaluer l'ampleur des retombées économiques des entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5.000 salariés et moins de 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires) à partir d'un échantillon de dix entreprises. Ces dernières ont produit 291 millions d'euros d'activité dans la région qui génèrent en cascade 470 millions d'euros de retombées via les sous-traitants, fournisseurs et salariés. Elles réalisent 61 % de leurs achats en France dont 16,5 % en Nouvelle-Aquitaine et.emploient 2.753 salariés dans la région qui, eux-mêmes, participent à la création d'environ 2.000 emplois indirects et induits.  « En moyenne, un million d'euros dépensé par une ETI en Nouvelle-Aquitaine produit 16,5 emplois et 610.000 euros de retombées supplémentaires. Les 125 entreprises du Club génèreraient donc 7,3 milliards d'euros d'activité et 74 000 emplois [directs, indirects et induits] uniquement en Nouvelle-Aquitaine », indique ainsi le Club des ETI.

Quels sont les grands défis qui préoccupent les dirigeants des ETI à l'horizon 2024 et au-delà ?

Le sujet de la sobriété énergétique et de la décarbonation est saisi par la grande majorité des entreprises. La prise de conscience est là, c'est un sujet majeur mais c'est aussi un sujet compliqué qui demande des investissements parfois importants. Les entreprises qui se portent bien sont bien positionnées mais nous travaillons aussi à un achat groupé d'électricité verte régionale entre une quinzaine d'ETI du club pour embarquer plus largement et que les uns apprennent des autres.

Mais la grande difficulté de ce sujet de la décarbonation c'est d'être en avance de phase sur le reste du monde tout en gagnant en productivité. Les ETI réalisent en moyenne 60 % de leur activité à l'export, elles évoluent donc sur des marchés concurrentiels et mondialisés où toutes les entreprises n'ont pas les mêmes contraintes environnementales ni les mêmes coûts énergétiques. De ce point de vue, les normes européennes c'est probablement le sujet le plus problématique fondamentalement. On essaie de simplifier les choses mais ça ne fonctionne pas vraiment même si les politiques semblent être davantage conscients du sujet.

Cela porte-t-il un risque pour la réindustrialisation française et européenne ?

Dans cette guerre commerciale entre l'Europe, les États-Unis et la Chine, on voit bien que l'Europe est en avance de phase sur ses concurrents sur le sujet du verdissement de l'économie. C'est bien mais la réalité c'est que nos entreprises sont confrontées à des boîtes qui n'ont pas la même logique ni le même calendrier. On sait qu'à la fin tout le monde ira vers la décarbonation mais en termes de compétitivité le timing est essentiel ! Et on ne pourra pas tout faire en même temps, il faut définir des priorités pour décarboner l'économie européenne. Dans le tableau actuel, on a un peu le sentiment que l'Europe n'est jamais gagnante d'autant que la France et l'Allemagne ont tendance à retranscrire les normes européennes par rapport à d'autres états membres. Même l'énergie qui était un avantage concurrentiel avec le nucléaire ne l'est plus aujourd'hui. On a besoin d'un chef qui sait où il veut aller et qui nous soutienne ! Mais c'est aussi à nous de défendre nos idées et nous exprimer au nom du Club des ETI et nous allons le faire davantage.

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