Deux ans du Covid : « On est dans le brouillard avec le vent de face mais il faut tenir » (Marc Prikazsky)

LE COVID, DEUX ANS APRÈS. Comment remobiliser ses équipes et leur donner des perspectives dans un monde qui, après deux ans de Covid, a fait un pas de plus dans l'anxiogène et l'imprévisible avec la guerre en Ukraine ? Marc Prikazsky, le PDG de Ceva Santé Animale, groupe girondin implanté notamment en Russie et en Ukraine, livre à La Tribune sa lecture du contexte actuel. "Attention à ne pas perdre les 3 à 5 % de nos salariés qui sont en grande détresse psychologique", prévient le président du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine qui, à défaut de certitudes, donne quelques clefs pour traverser cette période inédite. Entretien.
Avec Ceva Santé Animale, Marc Prikazsky est à la tête d'un groupe de 6.500 salariés dans 46 pays. Il est également président du Club des entreprises de taille intermédiaire de Nouvelle-Aquitaine.
Avec Ceva Santé Animale, Marc Prikazsky est à la tête d'un groupe de 6.500 salariés dans 46 pays. Il est également président du Club des entreprises de taille intermédiaire de Nouvelle-Aquitaine. (Crédits : Patrick Bernard)

LA TRIBUNE - Deux ans, jour pour jour, après le premier confinement en France du 17 mars 2020, comment décririez-vous l'état psychologique de vos salariés et de la population en général ?

Marc PRIKAZSKY - Il faut d'abord admettre que nous vivons depuis deux ans dans un monde où il y a des évènements extérieurs qui génèrent du stress : alors qu'on semble enfin sortir du Covid, au moins en Europe, on bascule dans une guerre sur le continent européen avec, en toile, de fond la problématique du réchauffement climatique. Tout cela crée énormément de stress et d'inquiétude pour tout le monde.

Je prends souvent l'image de la course cycliste pour décrire la période récente. On est tous ensemble dans le peloton, groupés, et on a passé le premier confinement plutôt bien, comme une montagne, comme un défi avec même de l'adrénaline et de la passion parfois. Puis il y a eu les beaux jours du déconfinement avant que nous ayons à affronter la 2e puis la 3e montagne et là c'était beaucoup moins drôle pour tout le monde. Aujourd'hui, on est dans une sorte de faux plat, dans le brouillard, avec le vent de face, sans trop savoir où est le sommet. Mais il faut tenir. C'est très dur et le gros risque c'est qu'il y en ait qui posent le pied à terre, qui abandonnent. Notre rôle c'est de les aider à redémarrer, de les pousser un peu pour qu'ils ne restent pas derrière.

Avez-vous quantifié l'ampleur de ces situations de stress au sein de Ceva Santé Animale qui compte 6.500 salariés dans près de 50 pays ?

Oui parce que nous interrogeons tous les six mois l'ensemble de nos salariés pour mieux connaître leur approche de la crise, leur niveau de stress et leur gestion de ce stress. Les derniers résultats, début 2022, peuvent être lus de différentes manières. On a 70 % des salariés qui estiment être bien informés sur la crise et la vie de l'entreprise et 81 % qui se déclarent "sereins" ou "plutôt sereins" par rapport à la crise sanitaire. Mais il faut aussi regarder ce qu'il se passe aux extrêmes et ce qui m'interpelle c'est qu'on a 19 % de salariés pour qui cette période est jugée "difficile" dont 3 % qui la qualifient de "très difficile". On peut dire que c'est beaucoup ou pas beaucoup mais, pour moi, c'est énorme ! Cela signifie que ces 3 % de personnes, qui sont peut-être 5 %, sont dans une situation de grande détresse qu'il ne faut surtout pas nier ni négliger.

Permettre aux gens de se mettre dans l'action, de se parler, d'être dans le collectif, c'est important alors même que ces évènements, le Covid et l'Ukraine, nous dépassent individuellement.

Marc Prikazsky

Quelles sont les réponses à apporter aux personnes dans ces situations de détresse ?

La première réponse c'est la bienveillance, c'est-à-dire de comprendre et reconnaître ce qu'il se passe. Ensuite, à mon sens, la meilleure chose à faire c'est de remettre les gens dans l'action. Avec les déconfinements, certains salariés ne voulaient plus revenir au travail, il a fallu les accompagner pour qu'ils reviennent et les remettre dans une dynamique d'action. Parce que rester cogiter seul chez soi, ça peut être dangereux. Pour l'Ukraine, on a organisé une grande collecte au niveau de l'entreprise pour soutenir les Ukrainiens, là aussi ça a permis aux gens de se mettre dans l'action, à leur échelle, de se rencontrer, de parler, d'être dans le collectif. C'est important alors même que ces évènements, le Covid et l'Ukraine, nous dépassent individuellement.

Comment appréhender la guerre en Ukraine et le risque nucléaire qui viennent s'ajouter à un contexte pandémique déjà anxiogène ?

Chez Ceva, on a personnalisé cette problématique puisque nous avons des équipes en Ukraine, 36 salariés, et en Russie, 70 salariés. La question s'est donc posée directement de comment aider nos collègues ukrainiens et comment ne pas stigmatiser ni rejeter nos collègues russes qui ne sont pas responsables de la guerre ! La cohésion au sein de l'entreprise est très importante mais ce que j'ai dit à tout le monde c'est que c'est un évènement qui peut durer très longtemps, c'est à dire que pour les salariés ukrainiens et leurs familles que nous proposons d'accueillir en France il faut envisager des solutions de longues durées : appartements ou résidence secondaire plutôt qu'un canapé dans le salon. Pour l'instant, presque tous les salariés ukrainiens sont restés sur place avec un courage impressionnant. S'ils viennent en France, ils pourront continuer à travailler, rester dans l'action pour essayer de conjurer le stress.

À retenir


  •  Le laboratoire Ceva Santé Animale, dont le siège est à Libourne, en Gironde, est spécialisé dans la pharmacie vétérinaire. Revendiquant la place de numéro un français et de numéro cinq mondial, le groupe emploie 6.500 salariés dans 46 pays, dont 1.500 en France, pour autour de 1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Le groupe girondin s'appuie à la fois sur la conception et la production de vaccins, en particulier pour les animaux d'élevage, mais aussi sur la création de produits pharmaceutiques et de médicaments vétérinaires.

Entre la pandémie et la guerre en Europe, comment donner des semblants de perspectives à vos équipes ?

La guerre en Ukraine est un évènement du même ordre que le Covid : on ne le maîtrise pas et on a le sentiment que ça ne s'arrêtera jamais. Sans compter le réchauffement climatique ou la hausse des prix de l'énergie. On est dans un contexte très anxiogène, c'est un truc de fou ! Face à cela, les entreprise se trouvent dans une situation où elles ont toutes ou presque du mal à recruter parce qu'au-delà de la reprise économique on voit bien qu'il y a tout une partie de la population qui veut changer de vie, changer de métier, passer à autre chose !

Maintenant, on peut se projeter sur un avenir terrifiant jusqu'à la guerre mondiale et la guerre nucléaire ou on peut tenir et voir ce qu'il se passe. Il faut être proche des équipes, créer des évènements en interne et fédérer les salariés autour du projet de l'entreprise. Tout cela permet aussi de fidéliser les salariés parce que si vous perdez un collaborateur, vous aurez du mal à le remplacer.

Pour un chef d'entreprise, quand ça tangue, c'est très rassurant d'aller voir ses équipes.

Marc Prikazsky

Pour surpasser ces difficultés, il faut communiquer inlassablement auprès des équipes et, surtout, leur faire confiance au quotidien sur leur capacité à gérer ces situations même les plus déstabilisatrices. Pour un chef d'entreprise, quand ça tangue, c'est très rassurant d'aller voir ses équipes.

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Quel est l'impact de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques visant la Russie sur vos activités ?

L'année 2022 va être mondialement compliquée don c'est impossible de le dire précisément aujourd'hui. La hausse du prix de l'énergie est un sujet très préoccupant. On a, par exemple, une unité de production en Hongrie qui fonctionne à 100 % avec du gaz russe. Soit on voit le scenario catastrophique d'un arrêt pur et simple de l'approvisionnement, mais cela signifierait probablement un scénario proche de la troisième guerre mondiale ce qui nous poserait d'autres problèmes bien plus importants ! Soit on se met au travail pour trouver des solutions alternatives une fois passées les phases de stress et de sidération.

A côté de ça, le principal sujet pour nous ce sera le doublement des prix des céréales qui vont directement pénaliser nos clients. On rentre dans la période clef des semis en Russie et en Ukraine. S'ils n'ont pas lieu, les cours du blé vont continuer à s'envoler avec des risques très clairs d'émeutes de la faim dans certains pays. Mais il ne faut pas surréagir non plus en arrêtant tous les investissements.

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Commentaire 1
à écrit le 17/03/2022 à 9:48
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Augmentez les salaires ! Ou bien diminuez le temps de travail, c'est la solution que bizarrement et systématiquement vous ignorez. Et si vous ne le pouvez pas, diminuez les salaires de vos cadres et de vous-mêmes et supprimez les parasites aux salair...

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