La stratégie d'Hynaero pour financer son avion bombardier d'eau européen

Le successeur du Canadair naîtra-t-il sur le tarmac de l'aéroport de Bordeaux ? Après avoir signé deux partenariats coup sur coup fin 2023, la startup Hynaero travaille à boucler une série A de plusieurs dizaines de millions d'euros dès 2024. En jeu ? Rien de moins que la construction d'une alternative européenne et moderne au célèbre avion bombardier d'eau face à la multiplication des méga feux de forêts.
Le Fregate-F100, développé par la jeune startup Hynaero, espère s'envoler en 2029 pour lutter contre les feux de forêt.
Le Fregate-F100, développé par la jeune startup Hynaero, espère s'envoler en 2029 pour lutter contre les feux de forêt. (Crédits : Reuters)

Dévastateurs et incontrôlables. Bien qu'en léger retrait en France, les feux de forêt ont détruit près de 400 millions d'hectares de végétation dans le monde en 2023. Des incendies qui ont tué plus de 250 personnes et rejeté 6,5 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Un désastre malheureusement appelé à se reproduire voire à s'amplifier sous les effets du dérèglement climatique avec des saisons des feux de plus en plus longues sollicitant toujours davantage des moyens aériens anti-incendie bien souvent vieillissants. À commencer par le vénérable Canadair qui peine à trouver une nouvelle jeunesse après l'arrêt de sa chaîne de production en 2015 et malgré l'intérêt de la Commission européenne.

Un premier vol dès 2029 ?

Bruxelles envisage ainsi de commander douze appareils mutualisés, et la France deux avions supplémentaires en espérant les obtenir en 2028 au plus tôt. Un calendrier extrêmement ambitieux juge le sénateur Jean-Pierre Vogel, rapporteur du budget 2024 de la Sécurité civile : « Le renouvellement de la flotte vieillissante de Canadair constitue une source de préoccupations maintes fois soulignées. [...] La livraison des premiers Canadair ne pourra pas intervenir avant 2027 et 2028 d'après les
prévisions les plus optimistes. » Les plans du Canadair sont désormais entre les mains de l'entreprise De Havilland Canada qui n'en a jamais construit. Il lui faudra donc redémarrer une chaîne d'assemblage de zéro ou presque sur la côte ouest du Canada à partir d'un avion largement conçu dans les années 1970.

Pour autant, les besoins d'avions bombardiers d'eau sont bien réels. Alors 170 appareils volent actuellement, le marché mondial est estimé autour de 300 d'ici 2050. De quoi potentiellement laisser de la place à un nouvel acteur face au célèbre Canadair. C'est tout le pari de la startup bordelaise Hynaero, créée mi-2023 pour développer un projet européen concurrent, le Fregate-F100. « Notre raison d'être c'est de répondre à une nécessité environnementale face à la multiplication des grands feux de forêts », expose David Pincet, l'un des cofondateurs passé par l'Armée de l'air, les instances de l'Otan et, surtout, la direction du groupement d'avions de la Sécurité civile de Nîmes. Assurant rester « très réaliste et humble » face à l'ampleur de ce défi, il vise un premier vol du Fregate-F100 dès 2029.

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Les chiffres du Fregate-F100

Calé sur les besoins opérationnels, le Fregate-F100 devra être capable d'emporter dix tonnes d'eau à 460 km/h, contre six tonnes à 320 km/h pour le Canadair. Motorisé avec deux fois 5.000 chevaux, Il reprendra en revanche les qualités de manœuvrabilité de son concurrent canadien pour pouvoir s'abreuver sur les mêmes plans d'eau. Proposé à un prix équivalent, autour de 70 millions d'euros, le Fregate-F100 promet un système de mission intégré, des commandes de vol électriques et une maintenance optimisée grâce au principe du jumeau numérique. Le prototype est espéré pour 2028 avant un vol d'essai en 2029/2030 puis une entrée en service en 2031.

Deux partenariats signés fin 2023

Neuf mois après sa création, la jeune entreprise accompagnée par Bordeaux Technowest a déjà paraphé deux partenariats stratégiques. Le premier, avec BT2i, sans prise de participation à ce stade, pour travailler pendant cinq ans sur la conception des gros sous-ensemble du futur aéronef. « Nous sommes enchantés de collaborer sur ce nouveau programme ambitieux, qui s'inscrit totalement dans le positionnement stratégique du groupe dans le segment "High Mix Low Volume" et de surcroît, dans notre ancrage géographique du Sud-Ouest de la France », salue Fabrice Dumas, le président de l'équipementier aéronautique qui s'est rapproché l'an dernier de JV Group. Un premier pas important pour la feuille de route d'Hynaero, comme le détaille David Pincet : « On traduira les spécifications techniques en spécifications opérationnelles, on accompagnera la conception et le design de l'avion et on pilotera la ligne d'assemblage final. Mais nous ne sommes pas un avionneur donc l'idée est de sous-traiter à des industriels la construction des différents sous-ensembles du Fregate-F100. »

Hynaero

Le Fregate-F100 aux couleurs de la Région Nouvelle-Aquitaine (crédits : Hynaero)

Le deuxième protocole a été signé avec l'aéroport de Bordeaux Mérignac, dont le patron, Simon Dreschel, cherche à valoriser dix hectares de foncier aménageable situés au sein du périmètre aéroportuaire. Après avoir attiré en septembre la startup du new space, Dark, l'aéroport ouvre ses portes à Hynaero. « L'aéroport nous offre du foncier déjà artificialisé et prévu pour des activités industrielles en bord de piste. Cela nous permettra de réduire les risques environnementaux et les délais de développement », se réjouit David Pincet, qui vise 25.000 m2 de bâti et 15.000 m2 de parking. Un atout de taille au regard de la complexité du développement des projets industriels, à l'instar de l'implantation de Flying Whales dans le nord de la Gironde.

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Le défi du montage financier

Il reste désormais à surmonter le principal obstacle à ce type de projet : réunir de l'argent, beaucoup d'argent même puisque, pour Hynaero, le chiffrage du programme atteint le milliard d'euros. Un dossier désormais prioritaire pour David Pincet et son équipe qui avancent sur deux chemins en parallèle pour cranter le montage financier d'ici la mi-2024. Le premier c'est la levée d'amorçage d'un million d'euros qui doit se conclure, pour moitié via la sollicitation d'investisseurs particuliers et de business angels et pour moitié par des subventions du conseil régional. Mais c'est ensuite que les choses sérieuses débuteront avec une série A de plusieurs dizaines de millions d'euros. « Nous travaillons avec des banques d'affaires pour lever des fonds auprès de fonds d'investissement à la fois en Amérique du Nord et en Europe pour financer l'année de développement de mi-2024 à mi-2025 », explique David Pincet, qui souhaite néanmoins doter Hynaero d'un ADN majoritairement franco-européen.*

Un critère décisif pour être éligible à la fois aux aides de la Banque européenne d'investissement et au principe de préférence européenne pour le renouvellement de la flotte d'avions bombardiers d'eau.

« Plus qu'un produit, on cherche à vendre la solution à un problème et à apporter une solution à un enjeu majeur de sécurité et de souveraineté économique pour l'Europe », appuie David Pincet. « Quand on voit l'ampleur actuelle des méga-feux canadiens, on peut craindre que la production future de Canadair ne soit absorbée par la demande nord-américaine au détriment de l'Europe, de la Turquie ou de l'Indonésie qui n'auront rien... »

La startup, qui s'apprête à emménager au sein du Cockpit de Bordeaux Technowest, à Mérignac, espère désormais « des signes tangibles du soutien du conseil régional et de l'État à un programme d'avion européen ». Autant dire que le plus tôt sera le mieux.

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