Face aux incendies, un projet de Canadair européen émerge à Bordeaux

Le vieillissement des flottes de Canadair et la recrudescence des feux de forêt en Europe ouvrent un nouveau marché pour de futurs avions bombardiers d'eau. L'équipe d'Hynaero, accompagnée par Bordeaux Technowest, avance ses arguments face à un défi colossal : son programme Fregate-F100 nécessitera de réunir au moins 800 millions d'euros pour tenter de succéder au célèbre Canadair.
Sur le papier, le Fregate-F100 d'Hynaero affiche une capacité de largage de plus de dix tonnes d'eau, contre six tonnes pour la Canadair actuel.
Sur le papier, le Fregate-F100 d'Hynaero affiche une capacité de largage de plus de dix tonnes d'eau, contre six tonnes pour la Canadair actuel. (Crédits : Hynaero)

L'été 2023 est à nouveau marqué par de violents feux de forêt sur le pourtour méditerranéen et même endeuillé par le crash d'un Canadair entraînant la mort de ses deux pilotes le 25 juillet. Au niveau français comme européen, la prise de conscience est là : il faut impérativement moderniser, renouveler et étoffer les moyens aériens de lutte contre les grands incendies.

« L'objet n'est pas de construire l'avion bombardier d'eau du futur mais celui qui répond aux besoins des opérateurs d'aujourd'hui et de demain. Un avion mono-mission pour combattre les feux de forêts avec des technologies modernes mais éprouvées », précise d'entrée David Pincet, comme pour atténuer l'ampleur du défi qu'Hynaero s'apprête à relever.

« Un pari très ambitieux »

Cet ancien général de l'armée de l'Air n'est qu'au tout début de l'histoire puisque le projet qu'il accompagne, Hynaero, pour Hydravions de Nouvelle-Aquitaine, est encore en cours de création en cette fin juillet. Pourtant, l'ambition est bien de concevoir puis de construire le successeur du Canadair dont la production a cessé en 2015 : « C'est un pari très ambitieux puisqu'aucun programme similaire n'a été lancé depuis 20 ans ! »

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S'il n'en est qu'à ses débuts, le projet Hynaero est déjà accompagné par Bordeaux Technowest depuis le mois de mai pour l'aider à structurer son modèle économique et sa feuille de route.

« Il y a un marché identifié et bien réel à l'horizon 2030 sans qu'il n'y ait pour autant d'acteur incontournable à ce stade. Il y a donc une fenêtre de tir pour un projet souverain européen et français et l'équipe d'Hynaero réunit une approche et des compétences pertinentes », observe ainsi Adrien Selvon, le responsable de la filière aéronautique, spatial, défense chez Technowest.

Un quatuor qualifié

Le quatuor aux commandes d'Hynaero compte des anciens d'Airbus et de Bombardier conseillés par le général David Pincet. Ce dernier est passé par l'Armée de l'air, les instances de l'Otan et, surtout, la direction d'avril 2021 à juin 2022 du groupement d'avions de la Sécurité civile de Nîmes, c'est à dire la flotte française d'une douzaine d'appareils de lutte contre le feu. Les quatre sont aussi des anciens du projet concurrent Roadfour qui, après avoir hésité entre Bordeaux, Saint-Nazaire et Ostende l'an dernier, est finalement parti s'installer en Belgique. Un choix qui a convaincu Hynaero et ses trois associés de quitter le navire pour lancer leur propre projet dans la région bordelaise en répondant à l'appel du pied de Bordeaux Technowest et de la Région Nouvelle-Aquitaine. « Nous pensons tous qu'il y a un vrai coup à jouer en implantant le projet dans le riche tissu industriel et aéronautique régional », résume David Pincet.

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Baptisé Fregate-F100, le bombardier d'eau d'Hynaero affiche ses qualités sur le papier : une vitesse d'intervention de 450 km/h contre 350 km/h pour le Canadair même si le largage doit se faire en de-dessous des 200 km/h. « Hynaero table sur une capacité de largage de dix à onze tonnes d'eau [contre six tonnes pour le Canadair, NDLR] en garantissant la capacité à remplir dans les mêmes plans d'eau que ceux utilisés par le Canadair », ajoute David Pincet. Hynearo prévoit aussi de miser sur la baisse des coûts de maintenance : « La flotte de Canadair est vieillissante avec des coûts et des délais de maintenance en conditions opérationnelles qui s'envolent. Le Fregate-F100 s'appuiera sur une structure moderne et un jumeau numérique pour faciliter la maintenance préventive et réduire les coûts », assure l'ancien militaire.

Hynaero

Le Fregate-F100 et le Canadair CL-415 (crédits : Hynaero).

Comment trouver 800 millions d'euros ?

Mais au-delà des promesses de l'avion, le premier défi d'Hynaero est d'abord financier et il ne faut pas traîner pour être au rendez-vous du marché dans une petite dizaine d'années. « Avec une approche volontariste, il est possible de tabler sur un prototype en 2030 et une commercialisation en 2032 », imagine David Pincet qui chiffre le programme autour de 800 millions d'euros. Hynaero mise sur la combinaison de fonds privés, de financements publics régionaux et nationaux et de subventions européennes notamment dans le cadre du dispositif RescUE. Ce programme de la Commission européenne participe déjà à l'achat de 12 Canadair dont le premier exemplaire pourrait être livré à la France à partir de 2026/2027 au plus tôt. De ce point de vue, De Havilland Canada qui est désormais aux commandes du programme Canadair dispose d'un temps d'avance conséquent sur Hynaero.

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Plusieurs projets, peu de concret

Outre Hynaero, plusieurs projets d'avions bombardiers d'eau sont en cours d'élaboration à des degrés divers. L'entreprise Roadfour, désormais basée en Belgique, travaille sur le sujet depuis plusieurs années avec le Seagle tandis qu'un projet d'ATR amphibie est également évoqué tout comme un projet italien ou encore les tests autour d'un A400M équipé d'une citerne amovible effectués l'an dernier par Airbus en Espagne. Enfin, les plans du Canadair, dont la production a été stoppée en 2015, sont désormais entre les mains de l'entreprise De Havilland Canada qui n'en a jamais construit. Il lui faudra donc redémarrer une chaîne d'assemblage de zéro ou presque sur la côte ouest du Canada à partir d'un avion largement conçu dans les années 1970. Le marché mondial, estimé entre 200 et 300 appareils sur la période 2030-2040, reste limité pour amortir un projet industriel de ce type où chaque exemplaire devrait coûter entre 55 et 70 millions d'euros. Il ne devrait donc pas y avoir de la place pour plus de deux acteurs, trois grand maximum en tablant sur des diversifications futures. Environ 170 avions bombardiers d'eau opèrent aujourd'hui autour du monde.

Au-delà des incertitudes qui entourent le calendrier de livraison des futurs Canadair, Hyanero est toutefois bien conscient qu'il faudra aller vite pour tisser les indispensables partenariats industriels régionaux et nationaux tout comme pour convaincre le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine de soutenir financièrement le projet comme il l'a fait par le passé avec le programme de dirigeables géants Flying Whales.

« Hynaero aura besoin de quelques millions d'euros dès l'an prochain et nous espérons lever le premier million dès le second semestre 2023 pour amorcer le projet. Ce projet coche toutes les cases de la souveraineté stratégique et de la réindustrialisation mais, si le projet ne trouve pas de financement fin 2023, l'équipe n'ira pas plus loin et passera à autre chose ! », tranche l'ancien militaire.

Et pour convaincre, l'équipe d'Hynaero avance des retombées économiques aussi conséquentes que théoriques à ce stade : 350 emplois directs, autant d'indirects et environ 2.000 emplois induits dans la supply-chain sur la durée de vie de l'avion, soit une quarantaine d'années.

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Commentaires 5
à écrit le 27/07/2023 à 23:33
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gros betise il y a un nouveau canadair cl-515

à écrit le 27/07/2023 à 14:52
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L'Europe c'est libre circulation des citoyens des biens et des idées à la con. Avec l'inertie administrative ce nouvel hypothétique bombardier d'eau entrera en service dans 20 ans et à cette comme tout aura brûlé il ne sera plus nécessaire d'arroser...

à écrit le 27/07/2023 à 8:11
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Surtout que ne pourrions nous pas les utiliser en prévention ces canadairs ? En arrosant les forêts trop sèches. Bon par contre en arrosant les forêts de feuillus trop sèches si c'est pour arroser les pins c'est totalement inutile ils peuvent bruler ...

le 27/07/2023 à 8:54
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Vu la surface des forêts gérées de façon non cupide, ça ferait quels volumes d'eau et de carburant pour maintenir les dites forêts humides ? On n'aurait presque plus d'eau au robinet, tout dans la forêt. Quand j'étais petit les gens (de mon souvenir)...

le 27/07/2023 à 9:55
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"Vu la surface des forêts gérées de façon non cupide, ça ferait quels volumes d'eau et de carburant pour maintenir les dites forêts humides ? " Toujours moins que d'essayer d'éteindre un incendie d'arbres résineux et desséchés.

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