Le transport à voile en quête de « puissance industrielle » pour décarboner le fret maritime

ENTRETIEN. Contraint par la réglementation, le monde maritime s'intéresse enfin à la propulsion des navires par le vent. Entre ailes de kite et mâts géants, la filière française est bien fournie mais doit à présent se doter de capacités industrielles. Entretien avec Lise Detrimont, déléguée générale de l'association Wind Ship.
Le Sea Kite en phase de test à Arcachon avant d'équiper des navires marchands en 2024.
Le Sea Kite en phase de test à Arcachon avant d'équiper des navires marchands en 2024. (Crédits : Beyond the Sea)

LA TRIBUNE - La filière observe une percée de l'intérêt pour la propulsion par voile depuis le début de l'année. Les armateurs ont-ils attendu d'être contraints par la réglementation pour considérer la décarbonation ?

LISE DETRIMONT - Oui, clairement. Les technologies coûtent cher, pour eux il n'y a pas d'intérêt à avancer sans être contraint. Cette contrainte réglementaire devient de plus en plus forte : arrivent les quotas carbone et les pénalités à payer. Les navires ont accueilli de premières installations, mais à date le marché n'est pas suffisamment porteur. Les premiers qui testeront auront une avance sur les autres. Mais les quelques expérimentations restent trop peu nombreuses. Les néo-armateurs sont plus réceptifs que les anciens. Ce n'est pas de la timidité, c'est que les incertitudes sont encore énormes : on ne connait pas le coût et la disponibilité du carburant demain. Il y a beaucoup d'inconnues qui ralentissent les prises de décision des armateurs.

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Le développement de la filière vélique repose pourtant sur eux...

Il va reposer avant tout sur les chargeurs qui doivent décarboner [les entreprises manufacturières, ndlr]. Si ces chargeurs sont des industriels et décident de le faire, alors ils devront considérer le vélique car il n'y a pas d'autres solutions immédiatement. Ces commandes là vont changer la donne et entrainer les armateurs. L'enjeu de la décarbonation pour les industriels, c'est que d'un coup ils sont amenés à regarder comment le transport de leurs produits se passe. Tout transite par les mers mais le monde maritime est un domaine inconnu, fermé

Échéance 2030 pour la filière

Le réseau Wind Ship fédère une trentaine d'acteurs de la propulsion par le vent, comme des architectes navals, des structures d'ingénierie ou des constructeurs. Les technologies relèvent de mâts déployables sur des cargos, comme sur le Canopée d'Ariane Group baptisé à Bordeaux, ou de voiles de kitesurf notamment, comme celles développées en Gironde par Beyond the Sea. La filière estime un potentiel de plus de 10.000 emplois à horizon 2030 en France alors que d'ici là 10.000 navires devraient être équipés dans le monde.

La filière vélique française est-elle avantagée par rapport aux autres pays ?

Les autres pays ne bénéficient pas du même écosystème mobilisé, on a nulle part ailleurs cette association aussi large de tout un secteur. On a beaucoup de propositions technologiques performantes qui sont adossées à des industriels. En Espagne vous avez des équipementiers mais pas d'armateurs par exemple.

Les capacités de production sont-elles suffisantes ?

C'est tout l'enjeu aujourd'hui, on en a mais il faut monter en capacité. On a besoin d'une montée en puissance industrielle. Ayro a ouvert la voie en sortant ses ailes sur le navire Canopée. Mais il faut maintenant être prêt à répondre à plusieurs dizaines de demandes d'équipement de cargos dans les prochains mois.

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Sur qui allez-vous pouvoir vous appuyer ?

On a des structures de l'aéronautique et du spatial comme ArianeGroup, de l'automobile avec Michelin, ou d'autres dans la fabrication de grands ouvrages et la maintenance avec REEL. Les chantiers de l'Atlantique sont aussi spécialisés sur la construction navale ou la filière composite. Ce qui est nouveau pour ces acteurs c'est de travailler ensemble, il y a toute une structuration, une organisation à mettre en place pour qu'ils connaissent bien les forces et faiblesses de leur écosystème. Ces grands industriels ont la capacité à faire monter un portage de projet dans le monde entier. Cette diversification des activités est aussi importante pour eux, ce sont des opportunités de diversification pour aller vers des actifs décarbonés.

Les technologies prennent en compte l'enjeu de sobriété à des degrés divers. La question du soutien à un transport maritime de masse inadapté à la réduction de nos impacts se pose-t-elle ?

C'est une question extrêmement importante. On a une flotte avec des niveaux d'âge moyen assez différents. Il y en a un certain nombre qui doit se renouveler alors autant essayer d'accélérer pour éviter d'avoir des navires très émissifs qui circulent encore. Mais il ne faut pas pour autant tout envoyer à la casse. On sait qu'on sera très limité pour décarboner la flotte actuelle, on atteindra des niveaux de décarbonation qui ne sont pas optimaux, de l'ordre de 20 % maximum. On n'a pas trop le choix, il faut travailler sur le retrofit mais aussi sur des nouvelles propositions. C'est grâce à ça qu'on empêchera les émissions envoyées dans l'atmosphère aujourd'hui.

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Commentaire 1
à écrit le 22/12/2023 à 9:45
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Ben bon courage à tout ceux qui s'attaquent à tenter de bouger ce bons gros vieux mammouth qui roupille depuis des siècles qu'est le transport maritime ! Quand vous voyez ces minuscules pales pour porter 50000 tonnes de marchandises les connaissances...

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